Fusion confusion ! grondait mon benefactor. Nous l’a-t-il répété, cette formule redoutable qu’il tirait de je ne sais où. Dans toute relation amoureuse, disait-il, la fusion est une chose dangereuse parce qu’elle mène à la confusion. Fusion confusion ? Non, Flornoy, non mon ami. Je m’inscris en faux. Effusion fusion, c’est bien mieux. Infiniment préférable, absolument délectable, totalement sans danger.
Effusion ? Qu’est-ce à dire ? Écoutons Balzac. L’accent avec lequel madame d’Aiglemont prononça ces paroles peignit une effusion de cœur et une émotion intime, dont il serait difficile de donner une idée sans employer le mot de sainteté. (source)Honoré de Balzac, La Femme de trente ans, Paris, 1832 Souvenirs du catéchisme : C’est une effusion de l’Esprit Saint qui renouvellera la création.
Au sens mystique, l’effusion est une grâce, un pouvoir reçu qui libère des flots de tendresse à l’égard de toute créature vivante. On expérimente l’amour pur, que l’on nomme aussi l’amour inconditionnel. Dans une explosion de joie sereine, l’effusion se colore en désir de fusion avec l’Être Amour, notre doux Maître.
Tout ce que j’ai raconté dans ces pages pourrait être le fruit de mon cerveau malade. Le désir de reléguer cet organe à un rôle subalterne, celui d’ordinateur banal, témoigne sans doute de la connaissance secrète que j’avais de mon principal point faible. Ma passion pour Nietzsche me vaudra-t-elle son destin, finir fou ? La folie non contrôlée me guette. Pas question. J’épargnerai à ceux qui m’aiment le terrible spectacle de pareille déchéance.
Ultime pantalonnade de l’ego, mourir dignement, partir en bonne santé, tirer sa révérence au moment choisi, que s’accomplisse un destin à ma main. Soigner ma sortie de scène, cabot sous la lumière, acteur sous la poursuite. Le pape avec sa suite, l’ivrogne avec sa cuite, la cuve avec sa fuite. C’est tout moi, c’est tout de suite.
Comme on l’a dit de Monsieur de la Palice, un quart d’heure avant ma mort je voudrais être encore vivant.
N’en a-t-on pas écrit de sottises sur ce pauvre La Palice ! On en a même déformé l’orthographe de son nom. Quelle ignominie ! À la vérité, ce maréchal de France mort à Pavie était tout le contraire d’un sot. C’est grande injustice de lui prêter des truismes imbéciles, passant sous silence la bravoure dont il fit preuve dans toutes ses guerres.
Voici l’anecdote. Le mot lapalissade vient du nom de Jacques II de Chabannes, seigneur de La Palice dit « La Palisse », maréchal de François Ier. Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’a été l’auteur d’aucune lapalissade. Les soldats de La Palice, pour illustrer le courage dont fit preuve ce maréchal lors du siège de Pavie (1525) où il trouva la mort, écrivirent une chanson à sa mémoire, dans laquelle se trouve la strophe suivante :
Hélas, La Palice est mort,
Il est mort devant Pavie ;
Hélas, s’il n’était pas mort,
Il ferait encore envie
Sa veuve, Marie de Melun, s’inspirant de cette chanson fit graver comme épitaphe sur son monument funéraire :
Ci-gît le Seigneur de La Palice.
S’il n’était mort il ferait encore envie.
Il existait à l’époque deux graphies pour le s minuscule : le s rond (s) et le s long ( ſ ), ce dernier pouvant être confondu avec un f. Une erreur de lecture a fait lire « Hélas, s’il n’était pas mort, il ſerait [serait] encore en vie« . Aujourd’hui, on retrouve encore cette phrase déformée : « Un quart d’heure avant sa mort, il était encore en vie« .
Le désir de fusion est inhérent à l’être humain. Et ce pour une raison claire. Avant la naissance, la fusion avec le corps de la mère est source de bien-être, qui se traduit pour le fœtus par un bonheur ineffable. Cette fusion se poursuit durant quelques heures, ou quelques mois. Et puis elle disparaît et cette disparition soudaine provoque une souffrance indicible. Le petit enfant comprend qu’il n’est pas à sa place. Sa vraie place est ailleurs, où il fait bon vivre, tout simplement, jouir de chaque instant, car le moindre petit moment de la vie est un bonheur ineffable tant qu’on est relié au Grand Tout.
L’enfant grandit. La douleur ne disparaît jamais de son cœur. Dans la plupart des cas, à notre époque matérialiste et dans un monde souillé par la négligence et l’appât du gain, l’adolescent est coupé de son âme. Le désir de fusion lui fait rechercher le chemin de la réconciliation, de l’union profonde, viscérale, avec le Grand Tout, mais rien ne vient combler ce vide, rien ne vient mettre fin à cette attente insupportable. Et vient l’âge des amours.
J’étais un enfant romantique, mais trop jeune pour les amours humaines. En vérité les filles ne me comblaient pas. Les garçons encore moins. Il me fallait plus fort, plus vaste. Quelque chose qui transcende ma vie insatisfaite, mes aspirations toujours déçues. À douze ans, j’étais prêt à donner ma vie pour Jésus que j’aimais plus que tout être. Je restais de longues minutes, des heures parfois, en contemplation des peintures assez kitch qui figuraient son chemin de croix dans l’église de mon quartier. J’étais insensible à leur mauvais goût. Leur côté kitch m’était indécelable.
L’émotion me submergeait, j’étais plein de reconnaissance pour le don immense qu’il nous avait fait. Il avait sans hésiter donné sa vie pour moi. Et je le contemplais. Et je l’admirais. Je l’aimais. Quelque chose de grand ruisselait du visage du martyr jusque dans mon âme toujours prête à s’émouvoir. Oui, j’aurais sans hésiter donné ma vie pour lui.
Plus tard, je l’ai oublié. De mauvais prêtres ont étouffé en moi le germe de la prêtrise qui poussait dans mon cœur. Je ne leur en veux plus, au contraire. Ils m’ont détourné de l’erreur. J’avais grandi. Alors j’ai reporté sur les filles l’absolu de mon amour. Bouleversé, les yeux brouillés de larmes, je lisais Fournier et son grand Meaulnes, Saint-Ex et son Petit Prince, Dalens et son Prince Eric. Toute les nuits, le sommeil me fuyait. Rageur, je tapais comme un sourd sur mon Underwood à ruban. Je dédiais mes poèmes à toutes les filles du quartier. Le temps passant, mes lectures ont évolué. Cesbron, Cronin, Camus, un peu Sartre, Joyce, Proust, et puis Goethe, Die Leiden des jungen Werther. Et son alter ego Rousseau, La nouvelle Héloïse.
Et les poètes, tous les poètes. Les grands et les petits. J’étais ivre de lire. Transporté par l’écriture, je noircissais des carnets. J’étais amoureux. Je croyais toucher enfin à la fusion qui me manquait tellement depuis l’enfance. Alors j’ai connu la confusion. J’y suis resté pendant de longues années, cherchant l’inaccessible étoile, toujours refusée. Me plongeant dans une amourette de plus, persuadé que Les Yeux d’Elsa de Louis Aragon ou l’Amour Fou d’André Breton étaient la solution. J’ai écrit ainsi des kilomètres de déclarations passionnées. C’était juste davantage de confusion.
La classe de terminale philo m’a ouvert en deux. Enfin j’étais comblé, plus que par la religion, plus que par les romantiques, plus que par la poésie, plus que par l’écriture, plus que par les filles. J’ai lu Nietzsche, tout Nietzsche. Et j’ai remercié le Vivant que ce pur génie ait existé. Sans le savoir, j’étais devenu mystique. La religion de mes parents était morte pour moi, mais ma spiritualité plus vivace que jamais. Alors j’ai compris. La morale est un piège, comme la politique, comme la religion.
Tout se joue en nous par delà les censures sociales. Longtemps après, le chemin intérieur que jalonnent les arcanes majeures du tarot m’a apporté la même certitude tranquille. La connaissance, la seule qui compte, se joue au-delà du bien et du mal. La quête du bonheur est une illusion. La fin de la souffrance, une gageure. Se pourrait-il que Nietzsche m’ait ouvert l’âme aux valeurs du bouddhisme ? En tout cas, lassé de mes aventures amoureuses décevantes, j’avais compris une vérité que je chéris toujours. L’effusion mystique protège de la confusion affective.
Au sommet de la colline, j’ai monté trois tentes. Une pour Jésus, une pour Moïse, une pour Élie. Ils ne sont pas venus. Alors j’y ai mis le feu. Trois fois, quatre fois même, le feu a nettoyé les scories de ma vie religieuse. Les errances du passé. Les ignorances du présent. Les aspirations du futur. Et nous voilà ce soir.
Ce soir, je bouquine encore. Il s’agit cette fois d’un livre rare, comme je m’en offre parfois : Les kabbalistes chrétiens de la Renaissance, par F. Secret. Et je tombe sur la référence à un traité dont j’ignorais tout, publié en 1601 à Chieti, Italie. Le traité s’appelle De osculo, du baiser. Il porte en sous-titre : De l’accord de la philosophie ethnique et chrétienne. L’auteur, un certain Mutius Pansa de Pennara, est philosophe et médecin. Son nom, s’il ne s’agit pas d’un pseudonyme, se pourrait traduire la Panse Muette, nonobstant la faute d’accord. Je dirais même plus grâce à la langue des oisons. Mutius Pansa de Pennara deviendra : Panse Muette de Penn Ara, la peine du perroquet. Quelle est-elle ? La parole.
Le nom de cet auteur nous indique clairement qu’il ne faut pas chercher du côté du mental, mais du corps, de la panse muette. La parole n’est pas ici de circonstance. La bouche reste muette, occupée qu’elle est au baiser, osculum. Le médecin philosophe a étudié, outre le christianisme qu’il connaissait déjà, toutes les « philosophies ethniques », pour reprendre son vocabulaire. Il s’agit des mystères qu’il énumère : ceux des Chaldéens (Hébreux), ceux des Égyptiens, des Perses, des Arabes, des Grecs et des Latins. (source)F. Secret, Les kabbalistes chrétiens de la Renaissance, p. 314
Rien que ça. On ne peut que s’incliner devant son érudition. Pourtant il l’affirme, non seulement par son nom, Panse Muette, mais encore par le sujet de son étude, De osculo, Du baiser. Je donne l’accolade et le baiser de paix à celles et ceux qui me font l’honneur de me rencontrer. Il se trouve que par ce baiser, un lien s’établit, plus fort que les mots, au delà des maux. Ma paix s’installe. Celle que je porte en moi, vive et paisible. Alors, grâce à cet ouvrage sur la cabale chrétienne écrit à l’aube du 17e siècle, j’ai compris la réalité de l’effusion. D’où elle vient. Comment elle se transmet.
Sans le savoir, j’ai écrit cet article juste pour ce dernier paragraphe, à mes yeux le plus beau. Ce n’était pas prévu. Je comptais finir sur Nietzsche. J’avais une belle chute, empruntée à Jacques Brel : et nous voilà ce soir. (écouter) Mais non. Trop facile. La soirée commençait à peine. Elle allait me donner cette belle révélation. Les plus belles choses de ma vie ont toujours été imprévisibles.
Il n'y a pas quatre éléments, mais cinq. Le premier s'appelle l'éther. On l'a oublié…
Oui, perdu. Mais qu'on ne s'inquiète pas, le remplaçant est prévu.
Je vous demande un ultime effort pour sauver Eden Saga. C'est maintenant !!
L’aventure Eden Saga aura duré dix huit années. Reste encore UNE chance, la toute dernière.
Le Yi King nous est parvenu incomplet. J'ai restauré un hexagramme.
L'histoire humaine commence en Afrique avec les australopithèques, des Noirs.