Il m’a fallu du temps pour comprendre ce qu’il voulait dire, ses phrases me reviennent au fur et à mesure, et je kiffe. Toutes les options de sorcier qu’il a mis en moi surgissent au moment opportun, longtemps après sa disparition. Ces temps-ci, ça me revient si fort que je dois en parler.

 

La paix du nagual

Il était le nagual. Prononcer nagoual, comme Guadeloupe. Drôle de gaillard, il ne laissait personne indifférent. On l’aimait, on s’en méfiait, on le critiquait, on l’idolâtrait, on le détestait, on ricanait, on l’enviait, au bout du compte on ne parlait que de lui. Son enseignement était impeccable, incompréhensible, injuste. Les trois, et dans cet ordre. Avec le recul, je le trouve impeccable, d’une efficacité parfaite. Sur le moment, j’ai tout gobé sans comprendre. Par la suite, j’y fus farouchement opposé. Furieux même.

Puis j’ai enfin trouvé la paix. À mon tour, je suis devenu nagual. Un nagual est à la fois l’infini et une porte vers l’infini. Une ouverture, un appel d’air, un long tunnel vers les étoiles. L’hommeou la femme nagual étonne. Libre à toi de le suivre ou de t’en méfier. Ce nagual fait peur. Il n’est plus au monde, même s’il y séjourne encore, à de brefs intervalles. Il est un Mat, c’est à dire le Bateleur de la vie après la vie.

 

Incompressible, incompréhensible

L’enseignement d’un nagualprononcer : nagoual n’est pas compréhensible. Il ne s’adresse pas à la jugeotte, il la snobbe. Son but est de nous détacher du mental dévorant, tous les moyens sont bons qui y parviennent. C’est un enseignement au quotidien, en transmission directe, dans le concret toujours, à l’écoute du corps profond. A l’époque, il y a 25 ans, j’étais gravement bouffi de la cervelle. Victime expiatoire de la dictature des boyaux du crâne, je crawlais dans le mental, je pédalais dans l’ego, et j’étais le seul à l’ignorer. Il m’a fallu une bonne décennie pour arrêter la machine dans ma tête, faire le silence intérieur, stopper le monde, ouvrir mon cœur, libérer ma parole et guérir mes semblables. Dans cet ordre, ici encore. Le chercheur de lumière se doit d’être honnête et précis.

Mon benefactor se faisait appeler Jeff Gros-Sel. Ça venait de son goût pour le bœuf gros-sel et le poisson en croûte de sel, deux plats qu’il adorait cuisiner. Ça venait sûrement d’autre chose qu’il ne m’a pas dit. Le temps nous a été compté.

 

 

Le passant

Benefactor, dans la méta-langue de Castaneda, se dit de celle ou celui qui te fait faire les premiers pas dans l’autre monde. Il te fait pénétrer dans le nagual, tout ce qui n’est pas de ce monde ni d’aucun univers, l’inaccessible terrain de jeu des mystiques et des sorciers. Jeff était le nagual. C’est à dire que sa personne, son aura, quelque chose en lui ouvrait une porte vers le monde du nagual.

Nagual a tout l’air d’un  mot-valise. Il désigne à la fois beaucoup de choses, beaucoup d’êtres, et reste insaisissable. Ce mot qualifie à la fois l’autre monde, l’astral,plus que l’astral… et la personne qui y donne accès. Les habitués de Castaneda ont saisi. Aux autres, j’en recommande la lecture urgente. Il se trouve que mon benefactor, éveillé par la foudre, a retrouvé vivace en lui la mémoire d’un sorcier toltèque. Il a su mettre en mots ce vécu antérieur pour le transmettre. « Chacun de vous quatre devra trouver son lieu, fonder son clan de guerriers, nous a-t-il dit. Je crois me souvenir qu’il nous a assigné un point cardinal à chacun. Mais lequel ? Aucun de nous quatre ne s’en souvient. Selon mon goût, j’ai opté pour l’ouest.

La personne qui vous ouvre la porte de l’autre monde, le monde du Nagual, est votre benefactor — la plupart du temps, il est le Nagual d’un clan de sorciers. Du moins selon la Règle. Dans les livres de Castaneda, on y trouve une exception notoire : Don Genaro est le benfactor de plusieurs apprentis, mais il n’est pas le Nagual de son clan : c’est Don Juan Matus.

 

La Règle

On ne comprend les livres de Castaneda qu’après avoir vécu ce qu’il raconte. C’est dans la Règle. Je m’aperçois aujourd’hui que tout dans ma vie s’est déroulé selon la fameuse Règle non-écrite dont parle Castaneda. Non écrite ? pas si sûr. La Règle est engrammée au plus profond de nos cellules. Le guerrier en quête de la liberté totale n’a d’autre choix que la suivre. Les commandements de la Règle sont clairs, ils scintillent.

Kant le rigide les a clairement perçus quand il écrivit : « La loi morale brille au fond de nos cœurs comme les étoiles au fond du ciel. »  C’est ainsi que ça se vit, tout à fait. Sauf que le père Kant confond morale et impeccabilité. La Loi ou mieux la Règle au fond de nos cœurs n’a rien à voir avec la morale bourgeoise bien-pensante, chrétienne ou autre, qui couvre tous les mensonges, tous les stupres et tous les crimes.

 

 

Une précieuse carte

La Règle s’impose à toi. Tu en fais ton affaire personnelle. Ne pas la suivre t’expose à une déconvenue. Première erreur : une baffe. Refais l’erreur et la baffe est plus forte. Ton ego de merde fait obstacle à l’éveil. Il t’a permis de vivre, voilà qu’il t’empêche de sur-vivre. Sur-vivre, c’est vivre au-dessus, au-delà. Survivre c’est suivre la Règle. Je sais, ça peut t’agacer de prime abord, mais c’est comme ça. Aussi fort qu’il soit, le petit ego ne fait pas le poids contre la puissance hallucinante de l’Intention. On n’est rien sans l’Énergie suprême, ni rien sans l’Intention.

Le nagualisme a nourri mon âme, il le fait encore. La Règle m’a donné une carte géographique de l’astral –je préfère astral ou encore autre monde à nagual. Selon mon vécu, il s’agit de la même réalité perçue à travers le filtre de deux cultures très diverses. « Il existe un autre monde au-dedans de celui-ci. La frontière est intérieure et la peur s’arrête ici. » (source)Que le lecteur pardonne ce triste étalage de suffisance, ce sont les paroles d’une de mes chansons. Oh ! ça ne se fait pas de se citer soi-même ! C’est maaaaaaal !!

Je réserve donc le mot Nagual au titre qque la culture toltèque décerne au chef de clan, celui qui guide un groupe de guerriers et de sorciers, et les mène dans les prairies éternelles de l’autre monde… de leur vivant !!

Si tu ne meurs pas de ton vivant, tu mourras en mourant.

Devise des Chevaliers Teutoniques

 

Téléguidés

Je comprends d’autant mieux les leçons vivantes de mon benefactor que je me trouve à présent dans sa position. Il a quitté ce plan depuis des années. Je ne peux pas me faire à l’idée qu’il n’est plus. Souvent je l’interroge sur telle ou telle question que je me pose, ou qu’on me pose. J’entends sa réponse dans ma tête. Je reconnais sa voix, son timbre, son intonation, ses inflexions, et la ponctuation régulière de son petit rire secoué. Si ça se trouve, c’est du revécu.

Cette phrase, il me l’a dite voici un quart de siècle. Toutes ces années, la phrase et son contexte sont restés stockés dans mon inconscient, quelque part dans mon corps ou dans mon aura. Son sens profond ne se révèle qu’aujourd’hui, dans l’action, quand j’en ai besoin. Voilà le principe des options de sorcier.

Bien involontairement, je fais comme lui. Je donne des options de sorcier à ceux qui me lisent et à ceux qui viennent me voir.  Certaines phrases sortent de ma bouche sans savoir pourquoi je dis ça, sans même être sûr que c’est moi qui parle. Parfois c’est tout à fait hors contexte, je m’en rends bien compte, pourtant je m’obstine à décrire une réalité que je vois et qui n’est pas encore. Mais le plus souvent je ne vois rien du tout, la phrase sort de ma bouche et basta.

Pareil pour mes contes. Ils sortent du clavier comme si mes doigts savaient mieux que moi ce qu’ils ont à faire, ils vont trop vite pour que je puisse rectifier ni même comprendre ce qu’ils tapent. Quand je lis, découverte, je suis sur le cul. Pas possible ! Je n’ai jamais écrit ça ! Faut croire que si…

On est téléguidé, mes chéris. Plus on se sent paumé, plus le programme est visible. On avance à tâtons, on se cogne tant que ça peut. Le labyrinthe a des parois transparentes, d’autres parois sont des miroirs sans tain. Derrière, les dieux nous matent. Ils parient sur nos chances de sortir du labyrinthe et ricanent quand on se mange une vitre. 

 

 

Une première version de cet article a été postée en février 2018. Ce dernier intègre mes plus récentes découvertes.

 

Xavier Séguin

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