Le vol du guerrier

 

La demande revient souvent dans vos e-mails : « Comment sortir de son corps ? »  Ou encore : « Pour le voyage en astral, que faut-il faire ? »  Il est grand temps que je tente d’y répondre. Histoire de redresser des a-priori enracinés et des erreurs trop répandues.

 

Vertige

Depuis que j’ai publié l’article Sortie de corps, où je relate ma propre expérience, de nombreux internautes manifestent un intérêt croissant pour cette pratique. La même année, j’ai écrit L’art de rêver, où je donne d’autres tuyaux plus généraux. J’ai voulu aller plus loin avec l’article Le voyage astral, mode d’emploi, où je donne le point de départ de cette expérience : c’est une affaire de vertige et de gestion du vertige. Apparemment ça ne suffit pas, puisque cette question revient toujours. Au lieu de me répéter en réponse à vos courriers, il vaut mieux que j’en fasse un article. Ce qui ne vous empêche surtout pas de m’écrire!

Je vais encore parler de moi. Comment je fais pour sortir de mon corps? Je ne fais rien, ça se fait tout seul. C’est le corps qui fait. Le nagual Jean-Claude Flornoy m’a répété ça vingt fois par jour pendant des années. Dès que je lui demandais comment ci, pourquoi ça, mon benefactor me barrait aussi sec : « Laisse tomber le mental. Tu poses trop de questions, ça t’empêche d’agir. Si tu ne sais pas, ton corps le sait. »

Il avait bien raison, j’en suis convaincu à présent. S’il m’entend, qu’il sache que je le bénis pour ça comme pour tant de choses. Que je suis con ! Où qu’il soit, je sais qu’il le sait. Son corps astral le sait.

 

Le vol du guerrier

Le vol du guerrier pourrait être un bouquin de Castaneda. Ethnologue défroqué des années 70, ce prince du paradoxe a ouvert la voie de la sagesse yaqui, ou plutôt toltèque, pour toute la planète jeunes. Beaucoup imité, jamais égalé, il a posé les bases d’une philosophie de l’action qui prend son sens dans une pratique de chaque instant. Nombreux sont les auteurs qui surfent sur la vague de fond du nagualisme, mais rares sont ceux qui témoignent d’une connaissance vécue.

Citons un auteur au hasardce fameux hasard qui n’existe pas  il s’agit d’un certain J.P. Bourre  (source) « Si tu veux sortir de ton corps, appelle d’abord à toi tes alliés, tes protecteurs spirituels. Sans eux, le voyage hors du corps serait périlleux, parfois même sans possibilité de retour. Ensuite, médite profondément sur ta respiration. Tu dois détacher ton âme de ton souffle, par la force de ta concentration. Tu retrouveras le vertige du vol de l’oiseau, le galop du cheval sauvage, la course du vent dans la prairie. L’homme esprit n’est pas limité à la vision matérielle du corps. Apprends à voir autrement. Essaie de concevoir ton corps comme un pur esprit, et en même temps, donne à ton esprit la réalité d’un corps. »

L’auteur cité s’inscrit clairement dans la lignée ouverte par Carlos Castaneda comme en témoigne le titre de son article :  Préceptes issus de la sagesse Amérindienne. Eh bien je ne suis pas d’accord avec lui, mais pas du tout. Cette description ne ressemble en rien à mon vécu, ni à celui de Castaneda, qui depuis quarante-cinq ans a guidé mon évolution vers le nagual. La mienne et celle de beaucoup d’autres à travers le monde.

 

 

Allié ?

Premier écueil : Bourre confond allié et protecteur spirituel. Ces deux notions s’excluent l’une l’autre, car elles proviennent d’horizons culturels trop différents : le protecteur spirituel vient du christianisme dans sa pratique historique en Europe. C’est d’abord l’ange gardien, qui veille sur le croyant à chaque instant de sa vie. Ou c’est le saint patron, qui joue le même rôle mais de façon plus ponctuelle, sur la demande du croyant par la prière. Et enfin ça peut être le prêtre confesseur, le directeur de conscience à la façon 19e siècle. De tels personnages sont étrangers à la culture amérindienne.

Par contre le terme allié fait clairement référence à Castaneda. L’allié est une entité issue d’un autre plan de réalité, celui que les ésotéristes appellent l’infra-monde. Le nagual Don Juan Matus, benefactor de Castaneda, raconte la rencontre du sorcier avec un allié. C’est très physique. L’allié vient d’un monde basé sur l’électricité, et son contact grésillant est très désagréable pour nous, créatures d’un monde basé sur l’eau.

Dans un corps à corps éprouvant, le sorcier doit soumettre son adversaire, phase que Castaneda appelle : harnacher l’allié. Une fois calmé, l’allié se transforme en vapeur et entre tout entier dans une petite gourde que le sorcier a préparé à cet effet avant la rencontre, et qu’il portera toute sa vie à sa ceinture. Mon benefactor en avait une où il tenait enfermé son allié, l’Homme Gris. Bizarrement, alors qu’il la quittait rarement, sa gourde était invisible, n’apparaissant que quand il en avait besoin. L’allié dans la gourde évoque les contes des mille et une nuits, avec le djinn dans la lampe à huile d’Aladin.

 

Protecteur?

L’allié et le protecteur spirituel n’ont strictement aucun point commun, et les confondre dénote, ignorance, légèreté ou les deux.  En mêlant indûment la culture nagualiste amérindienne et la culture chrétienne d’Europe, loin d’aider les néophytes, on les roule dans la farine du synchrétisme

En deux mots, le synchrétisme est la fusion de différents cultes ou de doctrines religieuses; en particulier, tentative de conciliation des différentes croyances en une nouvelle qui en ferait la synthèse. (source)

Deuxième écueil: Après avoir si mal défini l’encadrement, d’une façon telle que personne ne peut s’en servir dans la pratique, Bourre ajoute avec humourinvolontaire : « Sans eux le voyage hors du corps serait périlleux, parfois même sans possibilité de retour. »  Bourre se goure. Laissons tomber cet ignorant.

 

Bienvenue en astral!

Je me garderais d’omettre la plus importante catégorie de vols astraux : ceux qui nous arrivent sans prévenir. Dans ce cas, de loin le plus répandu, on a autre chose à faire que d’invoquer son ange gardien ou son confesseur. On doit gérer la situation dans l’urgence, sans savoir pourquoi on se retrouve dans un autre monde, où le corps ne pèse rien, où l’on se déplace à la vitesse de la pensée dans un non-espace et dans temps qui n’existe pas vraiment.

Après des décennies de pratique (éveillé à 16 ans, j’en ai bientôt 70) je suis toujours incapable de dire si dans la seconde qui suit je ne vais pas me retrouver en astral, plus haut que le vol des oiseaux. Ignorer cette constante dénote une absence de pratique. L’auteur parle de ce qu’il n’a pas vécu lui-même. En ce cas, il est inutile, voire dangereux, d’écouter ses conseils.

 

Dans les yeux

Des conseils qui ne tiennent pas la route, d’ailleurs. Des mises en garde inutiles qui te foutent la pétoche sans solution pratique, ça pue la fête du flip. Les oiseaux de malheur qui jouent à nous faire peur. Ne te fais pas de souci. L’évolution intérieure passe par des phases qui échappent à l’observateur extérieur, mais que le guerrier ressent parfaitement en lui-même et dans sa façon d’être. La sortie de corps consciente, ça t’arrivera quand tu seras prêt. A ce moment-là, tu sauras comment faire. Ton corps le saura.

Tout se passe dans les yeux. Tes yeux changent, ils deviennent plus brillants, ils laissent filtrer au dehors la lumière qui est en toi. A force de brillance, l’espace d’un instant, tes yeux vont se transformer en une flaque de lumière, comme le reflet d’une lumière vive sur une plaque d’acier poli.

Alors, tout devient possible. Sortir du corps, planer dans l’infini, assembler d’autres mondes, habiter d’autres corps humains ou animaux… et bien d’autres merveilles dont la liste n’en finit pas. Comment faire pour que tes yeux changent ? Rien que tu puisses contrôler avec ton mental ou ta volonté. Le seul viatique du guerrier est son impeccabilité. Elle seule ouvre les portes de la perception. 

 

Rentrer chez soi

Pour regagner ton corps, pas de difficulté particulière. Ne laisse pas ta peur te gouverner. Laisse faire ton corps, seul maître à bord. D’ailleurs, sortir de ton corps, tu le fais toutes les nuits, et dans ton sommeil il n’y a pas ce fichu mental pour te foutre la trouille. Alors tout se passe le mieux du monde. C’est aussi simple que respirer.

Ceux qui éprouvent des difficultés à regagner leur corps physique se sont laissé dominer par la peur, et leur peur les a paralysé. Le corps se laisse volontiers gouverner par les émotions. Efforce-toi de les bannir, ne t’étonne de rien pour pouvoir t’émerveiller de tout. Il faut banaliser, rendre anodin les merveilles où tu évolues comme un poisson dans l’eau, jusqu’au jour où ton monde véritable sera l’autre monde, celui de l’astral. Dans le monde de la réalité ordinaire, tu seras comme un poisson gueule ouverte sur la berge. Comment y parvenir ? Arme-toi de patience, tout à vient à son heure.

 

Vivre l’instant présent

Ne te soucie de rien d’autre. N’attends pas des merveilles futures, ce serait négliger celles que tu vis en ce moment. Ne sois pas attiré par les pouvoirs, ils viennent sans prévenir et s’en vont malgré ta volonté. Accueille-les avec simplicité, ne refuse jamais un cadeau du vivant, mais ne t’en émeus pas outre mesure : les pouvoirs ne sont rien, les attendre est crétin, les vouloir ne vaut rien. Ils sont venus, ils s’en iront. Comme l’étincelle de la vie qui s’allume à ton insu et s’éteint à son terme.

Tu veux devenir le plus puissant ? Tu te sentiras longtemps misérable et tu mourras frustré. Tu veux guérir tes semblables ? Commence par te guérir de tes infirmités. N’as-tu pas encore compris que ce n’est pas toi qui décide ? Ton ego ne peut rien, sinon te ralentir dans ton évolution. Va ton chemin, petit scarabée. Le jeune padawanvoir plus bas ne se prend pas pour un chevalier jedi.

 

 

Langue des oisons

Padawan, dit l’âne en pleurnichant. Il veut dire : Pas d’avoine. Et ça le désole.

 

La condition humaine est comme celle des troupeaux qui trottent dans la poussière, conduits à l’abattoir au son du galoubet, par d’interchangeables bergers.
Henri de Monfreid