Dans le nagualisme de Castaneda, l’anecdote de l’escargot occupe une place de choix. J’y ai fait allusion souvent, allons plus loin. Cheminant avec Juan Matus, Carlos Castaneda ramasse un escargot sur le sentier et le dépose à l’abri. Matus s’insurge : jamais un guerrier n’impose son « aide » à quiconque, fût-il un escargot.
Aider quelqu’un, c’est toujours s’imposer à lui. En faire un débiteur. Le rabaisser. Mépriser sa capacité à s’en sortir par lui-même, ce qui est la seule chose qui compte.
Qui sommes-nous pour décider du destin d’un autre être ? En déplaçant cet escargot, Castaneda lui a volé une victoire qui l’aurait rendu meilleur. Ou lui a évité une mort qui l’aurait libéré. Dans un cas comme dans l’autre, on ne doit pas agir ainsi.
–Je vais le remettre où je l’ai pris, répond l’apprenti penaud.
–Non, dit Matus. La bêtise est faite, n’en ajoute pas une deuxième.
En déplaçant cet escargot, Carlos Castaneda fait preuve de compassion. Il marche donc sur le-chemin-qui-a-du-cœur, comme son modèle Juan Matus. Et pourtant ce dernier le réprimande.
La compassion n’est pas un bon programme pour un guerrier de lumière. Si nous scions le compas, comment nous orienter ensuite ? Le compas n’est pas la carte, mais il pointe la direction à suivre. Et la compassion est indigne.
Comme toutes les « valeurs » chrétiennes, compatir est un masque qui cache la supériorité. En faisant preuve de compassion, on envoie ce signal : je suis plus avisé que toi. Je vois que tu as besoin d’aide, et je vois que tu n’oses pas la demander. J’en sais plus long que toi, je peux t’aider, vois : je t’aide déjà.
Ça suinte la suffisance. Ça pue la prétention. Comment pourrais-je gagner la confiance de mes stagiaires en me comportant ainsi ? Beaucoup de gourous le font, mais dans ce coin du monde, les gourous sont des cons. Il faut les fuir comme la peste.
La règle d’or : ne jamais intervenir sans une demande préalable, dûment circonstanciée. C’est ma règle et je m’y tiens. La demande faite par un autre, ou pour un autre, ou la demande faite du bout des lèvres ne suffit pas. Cette recommandation est valable pour les guérisons, elle l’est aussi pour de plus petites choses, comme déplacer un escargot.
Les sorciers ne peuvent jamais construire un pont pour rejoindre les personnes de ce monde. En revanche, si les personnes le désirent, elles doivent construire un pont pour rejoindre les sorciers.
Mais nulle étude logique ne vient à bout de l’irrationnel, de l’inconnu, du surhumain qu’est le nagual. Les ouvrages de Castaneda sont autant de mines d’or. L’étude et la description du guerrier impeccable, de l’homme de connaissance, du lieu sans pitié, du chemin-qui-a-du-cœur, de l’inventaire humain, de l’art de rêver résistent depuis 1968 et n’ont pas fini d’éclairer les chercheurs de vérité.
Je vais plus loin : même une demande honnête ne doit pas systématiquement être prise en considération. Si la personne n’est pas prête, elle pourra toujours me demander un stage initiatique ou toute autre aide comparable, je me garderai de la satisfaire.
En pratique, je ne me contente pas d’attendre la demande, je vérifie son bien-fondé. Il s’écoule parfois plusieurs mois avant que je donne suite à certaines demandes. Et souvent je refuse les personnes concernées. Elles ne sont pas claires, elles manquent de cohérence, elles ne sont pas prêtes, ou ne le seront jamais, hélas !
L’éveil est le but, toute tentative prématurée peut annuler à jamais tout espoir d’y parvenir. La prudence la plus extrême est donc de rigueur.
L’escargot enseigne la patience dans l’effort. Il ne traîne pas pour le plaisir. Il s’active. Il est tendu vers son but, sachant qu’il n’y parviendra sans doute jamais. L’essentiel n’est pas de réussir, mais de commencer. Et de recommencer. La victoire se gagne à chaque seconde, si de chaque seconde tu sais faire une éternité.
Cette jolie bête à cornes promène sa maison sur son dos, une maison bien fragile. Si la maison s’écrase, la bête est morte. Respecte l’escargot, ne l’écrase pas, ne le déplace pas, ne joue pas avec l’être vivant quel qu’il soit.
Si tu le fais, tu n’es pas meilleur que les dieux d’avant.
Tous les vivants sont dignes du respect qu’on réserve aux morts. Faut-il mourir pour le mériter ? Hâte-toi car tu n’as que cette vie devant toi. Cette vie-ci est la somme de toutes les autres. L’aboutissement. Nul ne sait d’où il vient avec certitude, nul de sait où il va non plus. Sait-on seulement où l’on est ?
Le guerrier de lumière et l’escargot s’en foutent, ils ont bien raison. Ils se hâtent de toutes leurs forces, tendus dans l’action, heureux d’exister, tout simplement.
Mais si une main meurtrière arrive, qu’importe qu’elle nous tue ou qu’elle nous déplace ? Ces deux fins se valent. Nous sommes également détruits par l’une comme par l’autre. Nul n’y échappe, quelles que soient l’énergie et la ténacité dont a il fait preuve, la main du destin réduit ses efforts à néant.
On rencontre souvent sa destinée par les chemins que l’on prend pour l’éviter.
Qu’on soit escargot ou dieu, tôt ou tard, tout ce qui est retourne au néant. L’espace d’un instant. L’espace d’une vie. L’espace infini qui sépare le sommeil de la veille. L’espace incommensurable qui nous sépare de nous-mêmes.
Connais-toi toi-même, a dit Machin. Et tu connaîtras les hommes et les dieux, ajoute finement Trucmuche. Plein de gens l’ont pensé, beaucoup l’ont écrit, un seul est connu pour ça.J’ai oublié qui Tous ces gens sont morts, donc éternels, figés dans l’absolu du non-temps.
Toi comme moi, nous sommes ici et maintenant. C’est notre prison. Tâche donc d’être partout et toujours, tu verras ce que je veux dire. Mes limitations m’insupportent. Nos bornes me clouent au pilori. Vivre c’est donc ça, mourir à petit feu ? Perdre un peu plus chaque jour, chaque minute, chaque seconde ? Vieillir à la vitesse de l’escargot supersonique ?
Avons-nous d’autre choix ? Pas le moindre. Mettre fin à nos jours ? C’est prévu ça aussi. Ça fait partie du plan de la prison. Seuls les gardiens l’ont en mémoire. Normal. Ils y vivent et pour beaucoup plus longtemps que nous autres, escargots mixtes que nous sommes. Difficile d’imaginer une solution inédite, nous qui vivons un siècle au mieux, face à nos maîtres qui collectionnent les millénaires ?
Nous n’avons pas le plan de la prison. Ni la force de briser nos chaînes. Ni l’énergie de nous envoler hors du temps, de couper l’image et le son, d’arrêter l’espace. Je le fais sans arrêt, en vain. Toujours je reviens. Je suis grand, sans limite, je vole et tout est beau. Je parcours des infinités de mondes, sautant de galaxies en galaxies, sans bouger du fauteuil où la sieste m’a saisi.
Il faut danser dans les chaînes.
Nous avons le compas, sinon la compassion. Mais nous ignorons comment nous en servir. Et pourquoi faire ? À quoi bon viser un but ou un autre, en définitive nous ne sortons jamais de la prison du corps. Même après la mort. Du moins si je me souviens bien.
La peur de mourir nous fait vivre quand la peur de vivre nous tue.
Escargot temporel, j’ai vécu quelques vies terrestres dont je me souviens dans mes rêves immobiles. Et j’ai vécu aussi l’attente infinie de l’âme entre deux incarnations. Hors du temps, elle ne connaît qu’un éternel instant. Elle ne peut vivre qu’en s’incarnant. Mais ce n’est pas elle qui décide. Hors d’un corps, elle est contrainte à un sort pire que la mort. L’attente hors du temps peut durer très longtemps, quoique cette phrase n’ait aucun sens, on saisit l’idée.
Il faut faire ressurgir en nous les leçons de l’escargot.
Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage.
Si oui, j’aimerais bien faire un tour à dos d’âme. Entre deux vies, entre deux corps, entre deux époques, il n’y a que le vide, l’éther, l’écran interstellaire.
L’ennui naquit un jour de l’uniformité.Jean de La Fontaine
Mais non, l’âme ne s’ennuie jamais. Comme un nourrisson, elle patiente entre deux tétées. Mais les tétées ne viendront qu’avec un nouveau corps de bébé.
L’escargot se montre infiniment patient. La reptation ventrale l’occupe assez, sinon il bouge ses antennes pour capter ses émissions préférées sur RTE, Radio Télé Escargot.
L’escargot est à la fois mâle et femelle, on l’appelle escargot mixte. Comme le cargo du même nom, il n’a pas que des marchandises dans sa coquille, il prend aussi des passagers.
Pas beaucoup, et des pas pressés. Les autres iront plus vite à pied.
Le terme escargot est un nom vernaculaire qui, en français, désigne des gastéropodes à coquille, généralement terrestres et appelés aussi des limaçons, ou colimaçons par opposition aux limaces. Le plus petit escargot mesure quelques millimètres, tandis que le plus grand atteint 20 centimètres. Un géant.
Laisse béton l’escargot. Car pour toi camarade l’escalade a merdé. Quand Casta t’a cassé, t’a poussé, t’a posé, t’as flippé ? Kessta, man ? C’est du rap, ça décape, c’est pas du rastaman. Tu regimbes dans tes limbes ? Tu te rebiffes sans tes griffes ? Je m’esclaffe, escargot. Je te mate à peiner sur les pentes escarpées. T’as fumé des tarpés? Tu te rétames ? Tu t’exclames ? Kessta, t’es décalqué ? Basta, faut te r’quinquer. Faut troquer ta face à croquer pour une gueule de roquet qui déboule au troquet. Tes antennes c’est coquet mais ça gène pour niquer. Ta coquille a craqué quand Casta t’a poussé. Escarre ? Go ! Laisse cargo.
Laisse béton l’escargot.
Jésus était dans un bon jour. Il a fait un discours : Ce que vous faites au plus petit d’entre les miens c’est à moi que vous le faites. Les miens ! Quelle suffisance ! Heureusement qu’il est inventé, parce qu’un dieu aussi fier à bras, j’en veux pas.
Castaneda lui aussi se sentait d’humeur badine. Il a prit mon petit jésus entre le pouce et l’index et l’a mis à l’index. Tout Fils de Dieu qu’il se dit, mon jésus n’a rien dit. On l’a manipulé. C’est pas ça qu’il voulait. Il a pris la tangente et ne l’a jamais rendue.
Il vivait seul depuis longtemps. Seul dans l’appartement étroit aux meubles patinés. Sans témoins.
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