Les guerriers du Nagual ont découvert le moyen de libérer le point d’assemblage. Il faut d’abord stopper le monde. Pour y parvenir, il y a deux conditions nécessaires et suffisantes. Effacer son histoire personnelle. Se débarrasser de l’inventaire humain. Hélas, nous sommes aussi bruyants dedans que notre monde l’est dehors.
Deviens comme un lac insondable dans son écrin de montagnes. En lui règne le calme. Fais de même. Fuis les gens bruyants, les endroits infestés d’humains. Dans la solitude des cimes, tu trouveras cette paix que tu cherches. Dans l’infini astral de cette immensité là-dehors, tu te retrouveras. À celui qui se connaît dans la totalité de être, tout devient possible. « Sois un guerrier, fais taire ton dialogue intérieur. Dresse ton inventaire, et jette-le. Les nouveaux voyants dressent des inventaires précis, puis s’en gaussent. Débarrassé de l’inventaire, le point d’assemblage se libère. » (source)Carlos Castaneda, Le feu du dedans – Témoins Gallimard, page 244
L’inventaire est le catalogue de toutes les croyances, toutes les idées préconçues, toutes les représentations du monde que nous avons reçues jour après jour depuis l’enfance. Pour accéder aux pouvoirs du nagual, il importe de s’en débarrasser. Une des questions les plus consistantes de notre inventaire est notre idée de Dieu. Cette idée est une colle forte qui maintient le point d’assemblage en place.
Pourquoi croyez-vous que je me donne tant de mal à vous expliquer d’où vient l’idée de Dieu ? Elle repose sur une confusion et sur un mensonge. Les deux sont énormes. La description que sans fin je fais des dieux d’avant, des démiurges, des terraformeurs n’a qu’un seul but : vous affranchir du concept d’un dieu unique. Il n’est ni unique ni éternel. Seul l’idée de Dieu perdure, hélas. Ce Dieu-là n’existe pas. Il n’a jamais existé. La source existe, c’est vrai. Mais contrairement au fantasme du dieu bon qui nous écoute et nous exauce, la source est impersonnelle, inaccessible, aveugle et sourde.
Oui, je crois que nous avons été créés, mais pas par ce Dieu à majuscule. Par une joyeuse bande de surhommes, professionnels de la terraformation des planètes sauvages. En les prenant pour base de départ, une sinistre bande d’allumés a inventé l’idée d’un dieu unique. Comment ça unique ? Les dieux étaient des millions sur leur vaisseau-mère ! Les rabbins, les prêtres, et les imams se sont bien payé nos tronches.
Si tu penses le contraire, c’est ton droit. Tâche pourtant de réfléchir à la source, qui existe, elle. Et qui se trouve en chacun de nous. Castaneda n’en parle pas. Il cite à la place deux notions tout aussi abstraites, l’Énergie et l’Intention. Si tu n’y crois toujours pas, si tu préfères te bercer d’illusions, grand bien te fasse. Souviens-toi que tu es mortel. Donne-toi pourtant la peine de lire ce que Castaneda apprend de la bouche même de son benefactor Juan Matus.
Si l’idée de Dieu est une colle forte, si on croit lui parler, si des apparitions confirment son existence, tout ça vient de la source, pas de Dieu. Quelle différence ? Elle est énorme ! Notre idée de Dieu vient du moule de l’homme.
C’est une matrice. Une forme d’énergie qui imprime les qualités de l’humain sur la matière biologique neutre. « Du moins est-ce ainsi que je l’ai compris, surtout quand [don Juan] m’a décrit le moule de l’homme avec une métaphore mécanique. Ce moule ressemble à une matrice gigantesque qui découpe sans fin des êtres humains sur une bande porteuse de production en chaîne. Il mime le procédé en frappant très fort les paumes de ses mains, comme si la matrice moulait un être humain chaque fois que les deux moitiés qui la composent claquent l’une sur l’autre. (source)Carlos Castaneda, Le feu du dedans – Témoins Gallimard, page 247
Chaque espèce a son propre moule, et tous les individus de chaque espèce ainsi moulé présentent les caractéristiques spécifiques à leur propre genre. Don Juan Matus se lance alors dans une explication très inquiétante. « Il me dit que les anciens voyants et les mystiques de notre monde ont une chose en commun – ils ont été capables de voir le moule de l’homme mais pas de comprendre sa nature.
Les mystiques nous ont donné, au long des siècles, des récits émouvants de leurs expériences. Mais ces récits, si beaux soient-ils, souffrent de l’erreur grossière et catastrophique qui consiste à croire que le moule de l’homme est un créateur omnipotent et omniscient; et il en va de même pour l’interprétation des anciens voyants qui désignaient le moule de l’homme comme un esprit bienveillant, un protecteur de l’homme. »
Méfiez-vous de tout, la matrice est partout, mais pas la Résistance.
Selon Juan Matus, seuls les nouveaux voyants ont la modération nécessaire pour voir le moule de l’homme et pour comprendre sa nature. Pour eux, le moule de l’homme n’est pas un créateur mais juste le modèle de tous les attributs humains imaginables et de certains autres que nous ne pouvons même pas concevoir. Le moule est notre Dieu parce que nous sommes formés par ce qu’il nous imprime. S’agenouiller en présence du moule pue l’arrogance et l’égocentrisme humain.
« En écoutant l’explication de don Juan, je me sentis terriblement inquiet. Bien que je ne me sois jamais considéré comme un catholique pratiquant, j’étais choqué par ses insinuations sacrilèges. Je l’avais écouté poliment, mais j’avais aspiré avec ardeur à ce qu’un répit intervienne dans le déluge de ses jugements blasphématoires pour changer de sujet. Mais il continuait à enfoncer le clou, impitoyablement. Je finis par l’interrompre pour lui dire que je croyais en l’existence de Dieu.
Il répliqua que cette croyance se fondait sur la foi et représentait donc une conviction de seconde main qui ne valait rien; ma croyance en l’existence de Dieu était, comme celle de tout le monde, fondée sur des ouï-dire, et non sur l’acte de voir, me dit-il. Il m’assura que même si j’étais capable de voir, je serais fatalement victime de la même méprise que celle des mystiques. Quiconque voit le moule de l’homme suppose automatiquement qu’il s’agit de Dieu. » (source)Carlos Castaneda, Le feu du dedans – Témoins Gallimard, page 248
Alors, comme à son habitude, Castaneda pleurniche et récrimine. Il se plaint que malgré tous ses efforts, il ne parvient pas à voir les choses selon le point de vue de don Juan. Le vieux nagual répond que c’est compréhensible « parce que j’étais sombre et morbide, et que nous étions, lui et moi, très différents à cet égard. Il était gai, avait le sens pratique et ne vénérait pas l’inventaire humain. Mais moi je me refusais à balancer mon inventaire par la fenêtre et j’étais donc abattu, sinistre et dépourvu de sens pratique. Sa critique acerbe m’avait choqué et attristé et m’avait plongé dans la mélancolie. Don Juan et Genaro avaient ri aux larmes.
Genaro avait ajouté qu’en plus j’étais vindicatif et que j’avais une tendance à l’embonpoint. Ils avaient ri si fort que je m’étais finalement senti obligé de me mettre à l’unisson. » (source)Carlos Castaneda, Le feu du dedans – Témoins Gallimard, page 243
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C’est ça que j’adore chez Castaneda. On y trouve une nourriture pour l’âme, un contenu solide, original, et toujours cet humour qui me fiche par terre. Voilà. Après cette lecture, vos commentaires sont les bienvenus. Vous pouvez me joindre en cliquant sur la touche contact en bas de chaque page. Je ne dispose plus de la plate-forme facebook, tant pis et tant mieux. J’ai désormais plus de temps à consacrer à la saga d’Eden. Mais le dialogue avec vous m’était précieux. Nous étudions la possibilité d’insérer des commentaires ouverts aux lecteurs. Patience, patience. D’ici là, n’hésitez pas à me mettre un mot, je vous répondrai avec plaisir.
En complément de cet article, vous pouvez lire Le moule matriciel. Un article plus récent qui vous livrera la véritable nature de ce moule.
L’exposé complet sur le moule de l’homme se trouve ici : Carlos Castaneda, Le feu du dedans, chapitre 16 – Témoins Gallimard, page 242 – ou poche, page 377
J’ai déjà reçu le pouvoir qui gouverne mon destin, Je ne m’accroche à rien, pour n’avoir rien à défendre. Je n’ai pas de pensées, pour pouvoir voir. Je ne crains rien, pour pouvoir me souvenir de moi-même. L’Aigle me laissera passer, serein et détaché, jusqu’à la liberté. Carlos Castaneda
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