Sans Patate, vingt années ont filé dans l’égout. Je ne sais plus rien d’elles. Plus rien du temps qu’on m’a volé. Patate a disparu et tout est surpeuplé. Un seul être vous manque, il ne sait pas viser. Arrêt sur image : éternel présent.

 

Incipit. Un seul être vous manque, le maladroit, tous les autres vous touchent en plein cœur, les farceurs ! Et ta sœur ? Comment ce foutu clodo a-t-il pu disparaître ? Le traître ! J’ai mis des ans pour m’en remettre. Impossible. À la fin, je m’en suis remis au destin. Poil aux intestins. J’ai zoné, traîné, zonaillé, traînaillé. Sans but avoué, je file en douce, à la va comme je te pousse.

Je me souviens des cuites à la gnôle
Je me souviens du vent dans les saules
Je me souviens des gourbis, des taudis
Je me souviens des mots que t’as pas dit

Alors le temps passe, sans penser à mal l’animal, c’est juste pour passer le temps. La vie s’organise, le destin de désorganise, la vitesse augmente et quoi qu’on fasse, on perd le cap. On va de plus en plus vite et droit dans le mur. Tu fais pareil. Il faut du temps pour comprendre qu’on n’en a plus. Tu t’es cru immortel, tu te réveilles mort. On m’a volé des années, des tannées, des suçons, des chansons, des objets, des projets, des sujets, des rejets. J’ai, je n’ai plus. Ça ressemble à ta vie.

Idéalement la mienne rassemble des pièces venus de puzzles différents. Folie ordinaire. Rien ne s’adapte à rien. Aucune boîte n’a son couvercle. J’ai couru, crisé, bourru, brisé, j’ai baisé, câliné tant et plus, dont il ne reste rien. Gros malin. Qui trop embrasse mal étreint, qui trop étreint m’embarrasse, qui court deux lièvres à la fois vend la proie pour l’ombre avant de l’avoir tuée.

Le monde mental est un effroyable galimatias de conneries consensuelles, sempiternelles ressassées tendant à m’agacer, me lasser, me froisser, assez ! Qui pour m’en débarrasser ?

 

 

En bref, le temps assassin a passé, repassé, dépassé. Il a perdu ses belles couleurs au profit d’un ton sépia du plus nul effet, cucul à souhait, souverain poncif : tout le monde aime ça, pas moi. Rabat-joie qui s’assume.

Défenseur du bon goût.
Ooooh, s’écrie-t-elle, moi aussi j’ai beaucoup de goût !
– Ma petite, ce qui compte en matière de goût, ce n’est pas d’en avoir beaucoup, c’est de l’avoir bon.
(source)Vanne sexiste attribuée à Sacha Guitry

Royal, l’arbre du monde pousse ses branches à travers moi. Je suis la sève qui coule dans ses veines, je suis l’effervescence de l’aubier, je suis aussi le duramen lentement qui se mue en pierre.

Oui je sens mes racines profondes traverser des couches de plus en plus étranges.

Inconnues, âpres, virides et brûlantes. Je sens mes branches darder mes feuilles toujours plus haut dans le ciel électrique.

Tandis que mes racines fouaillent de plus en plus profond dans la terre magnétique.

Si je vous emmène à foison
Dans les pâtis de la raison
Vous n’écouterez mes paroles
Pas mieux qu’on écoute à l’école
Si je ne peux vous divertir

Sans la liberté de mentir
Vous n’appréciez mes histoires
Comme en passant le coup à boire
La chose est plaisante pour vous

Mais pas pour moi, je vous l’avoue.
Vous avez souri, c’est assez
Quand je m’obstine à ressasser
Qu’il faudrait se couper la tête

À faire l’ange, on fait la bête.

Négligeons la raison frigide
Et mettons-nous sous une égide
Plus aimable, oui, plus jolie
La gaîté ? L’amour ? La folie ?

Savoir mille façons de vivre
Que l’on n’apprend pas dans les livres
Connaître bien des raccourcis
Qu’ont oublié les gens d’ici

Mais depuis trois millénaires, nous vivons sous le règne d’un despote absolu : la raison. La faute aux Grecs, qui se sont crus malins mais qui n’ont pas tout compris de l’héritage divin.

Ou plus près de nous, la faute à Descartes qui a enfoncé le clou.

 

 

Yes ! Est-ce une raison pour continuer ? Faut-il parce qu’on s’est trompé depuis si longtemps se sentir obligé de persévérer dans l’erreur ? C’est ce qui arrive dans bien des sciences, quand on oublie de pratiquer le doute systématique si bien décrit par Descartes qui s’est empressé de ne pas mettre ses si belles idées en pratique. Car s’il y a un philosophe qui ne doute de rien, c’est bien lui, le traître !

Et j’entends déjà les fats me traiter de débile, car pour eux refuser la raison c’est faire l’éloge de la folie. Primo, je ne refuse pas la raison, mais son despotisme. Elle n’est pas notre unique conseillère. La mort est meilleure dans ce rôle. Secundo, la folie que je soutiens est bien connue des adeptes de la tradition sacrée, celle que je m’efforce de révéler dans ces pages. Les druides celtes l’appelaient la folle pensée. Les guerriers du nagual l’appellent la folie contrôlée.

Nu, seul, le guerrier en équilibre avance pied à pied sur un fil si tranchant que le fil d’un rasoir.

S’il doit posséder le parfait équilibre d’un papillon, la délicatesse d’une fée, la légèreté d’un elfe, il doit avoir aussi la maîtrise d’un titan et la détermination d’un cyclope. Ça ne semble pas possible, et pourtant ça l’est. Pas possible. Ce qui n’empêche pas le guerrier d’y parvenir. Car il a aussi la chance du cousin Gontran.Voir l’image si vous avez oublié son nom 

J’avais cette chance-là quand j’étais petit, avec l’aide précieuse du Vieux Patate. Grâce à lui, j’évoluais dans des sphères plus élevées que celles de l’éducation nationale. Papillon de lumière, je croquais le soleil et le fer forgé, Rimbaud en poche, Patate au cœur. Mais j’ai dû grandir.

Au début je n’y tenais pas tant que ça, et puis j’y ai pris goût.

Insidieusement. Et me vlà caduc. Frappé d’alignement.

Néanmoins septuagénaire. Dinosaure si tu veux.

Inévitablement c’est l’image qui te vient.

Bon. Mais n’anticipons pas le prochain chapitre. Héhéhéhé !

 

 

Xavier Séguin

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Xavier Séguin

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