Stopper le monde est la chose la plus évidente et à la fois la plus inimaginable. Tout dépend du regard qu’on y pose. Tout dépend si on essaie d’y parvenir ou si on y parvient. Tout dépend de ce qui nous arrive quand le monde est stoppé. Tout dépend de tout et inversement.
Il s’agit d’une des clés du nagualisme tel que l’expose Carlos Castaneda dans ses livres. Faut-il suivre le troupeau ? Doit-on emprunter les chemins moutonniers qui mènent au précipice ? Peut-on sortir de ce piège ourdi de longue date par le principal démon et ses acolytes ?
Aujourd’hui on les appelle anges ou démons, demain on les appellera autrement.
L’apprentissage du Voir
Dans la formation requise pour devenir un guerrier de l’Esprit ou un Nagual, l’apprentissage du voir était un point capital, que Carlos, pour des raisons personnelles, a eu bien du mal à parfaire. Or, sur le chemin du voir, le guerrier doit d’abord apprendre à stopper le monde. C’est la première porte, la première rencontre avec le gardien du seuil. Ce gardien n’est pas un autre. Ni une règle. Ni un principe moral. Ni le dragon des légendes. Il est réel. Un parasite solidement ancré en chacun de nous, il nous empêche de progresser. C’est la voix qui dit non.
Tu n’as pas d’autres ennemis que ceux que tu as mis toi-même sur ta route.
Le temps dénoue ce qu’il a noué. « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. » (source)La Fontaine Un jour, dans la vie du guerrier de l’Esprit, son gardien le laisse passer. Le monde s’arrête. Alors il peut découvrir l’infini, « cette immensité là-dehors« . (source)Castaneda
Je voudrais que la terre s’arrête pour descendre
Description
Stopper le monde constitue le premier acte du guerrier sur le chemin vers le sommet de lui-même. L’homme ordinaire se contente du monde ordinaire, qui repose sur un consensus. Depuis la naissance, chaque être humain donne implicitement son accord pour assembler ce monde gris et galère, où l’on s’ennuie. Il existe pourtant une infinité d’autres mondes possibles; chacun de nous possède en lui la possibilité de s’y rendre. « Notre réalité n’est qu’une description parmi beaucoup d’autres. » (source)Carlos Castaneda, Le voyage à Ixtlan, page 9
Il existe d’autres mondes au-dedans de celui-ci. La frontière est intérieure et le temps s’arrête ici.
Une description. Un point de vue. Une représentation. Nous ne connaissons pas le réel — s’il existe — mais une image de ce réel, une image pleine de parti-pris. Mille autres images sont possibles, un million peut-être. Et pourtant nous nous contentons tous d’une seule. Et pas la meilleure !
Stopper le monde, en définitive, est le plus sûr moyen de rendre de la mobilité au point d’assemblage, afin qu’il puisse occuper d’autres positions, pour assembler d’autres mondes, dépasser la sempiternelle réalité admise et certifiée par 7 milliards de conformistes.
La condition humaine est comme celle des troupeaux qui trottent dans la poussière, conduits à l’abattoir au son du galoubet, par d’interchangeables bergers.
Le guerrier sans passé
Carlos Castaneda était particulièrement bouché au début de son apprentissage. Son éducation, son milieu, sa formation universitaire et les préjugés de sa caste l’avaient piégé. Du coup il a résisté tant et plus aux étranges requêtes de Juan Matus. Pour le débloquer, le Nagual lui a fait absorber des kilos de mescalito et de petite fumée. J’en ai connu qui ont pris des bols d’ayahuasca et se sont tapés des dizaines de sweatlodges pour avoir une chance de stopper le monde et voir l’invisible. L’espace fugace d’un instant qui passe. Laissera-t-il des traces ?
La guerre à la drogue ne peut pas être gagnée car c’est une guerre contre la nature humaine.
D’autres sont tombés dans la marmite quand ils étaient petits. Ceux-là n’ont besoin d’aucune potion pour voir. Et ils comprennent très vite comment stopper le monde. Leurs auras souvent sont inédites. Leurs auras sont indigo, cristal, arc-en-ciel, ou autre merveille encore. Leurs corps subtils sont équipés de dispositifs, sortes d’organes externes en compléments de chakras énormes et très actifs. Depuis quinze ans ou plus, de nombreux bébés sont dans ce cas. Quels miracles feront-ils quand ils sauront utiliser leurs pouvoirs ?
Le besoin fait naître de nouveaux organes de perceptions. Homme, accrois donc ton besoin afin de pouvoir accroître ta perception.
Ces êtres-là grandissent vite. Ils vont changer l’avenir de cette planète. La plupart d’entre eux sont à pied d’œuvre ou le seront bientôt. Agiront-ils ? Choisiront-ils de s’isoler loin des moutons et des fous ? Arriveront-ils à stopper le monde qui s’emballe ? Ils sont notre dernière chance. Pour eux comme pour les autres, la première étape consiste à effacer son histoire personnelle.
Tu ne vas pas être si facilement capable de t’arrêter. Je sais que tu es têtu, mais cela importe peu. Plus tu seras têtu, meilleur tu deviendras quand tu auras enfin réussi à changer.
Sacrifices
Deviens invisible. Insaisissable. Fuis ceux qui te connaissent, ceux qui te fixent dans l’ancien monde. « Tu es obligé de renouveler ton histoire personnelle en racontant à ta famille et à tes amis tout ce que tu fais. Par contre, si tu n’as pas d’histoire personnelle, il n’y a pas une seule explication à fournir à qui que ce soit, personne n’est déçu ou irrité par tes actes. Et surtout, personne n’essaie de te contraindre avec ses propres pensées. » (source)Castaneda, Le Voyage à Ixtlan
Comme d’habitude, Castaneda regimbe. Le sacrifice lui paraît trop lourd pour un bénéfice illusoire. Il ne peut admettre qu’il faille abandonner le vieux monde pour connaître l’autre. Et pourtant tous les guerriers du nagual sont passés par là.
Un guerrier traite le monde comme un mystère infini, et ce que les gens font comme une folie sans bornes.
En le voyant buté qui se met à bouder, son benefactor hurle de rire. Du rire de Merlin, bien sûr. Il explique gentiment. « Toi, par exemple, tu ne sais pas quoi penser de moi parce que j’ai effacé ma propre histoire. Petit à petit, autour de moi et de ma vie, j’ai créé un brouillard. Maintenant personne ne peut savoir avec certitude ce que je suis ou ce que je fais. » (source)Castaneda, Le Voyage à Ixtlan
Mais Castaneda ne supporte pas que quiconque, fût-ce son benefactor, modifie sa ligne de conduite. A ce point de son évolution, l’élève est encore possédé par son ego, « rempli de merde » selon la forte expression de Juan Matus.
L’ego est la seule partie de l’être humain qui ne connaîtra jamais l’éveil.
Carlos voit que Don Juan doit faire de grands efforts pour dissimuler son hilarité. Il se vexe car il ne voit pas que sa conduite est aberrante, que ses progrès sont obérés par ses engrammes, que sa mauvaise foi et ses enfantillages ne sont pas dignes d’un guerrier de lumière. C’est tout ça qui fait rire Juan Matus.
Nous sommes tous pleins de merde, nous passons toutes par les mêmes ornières, nous nous faisons toutes piéger aux mêmes coulées… Mais un jour le monde fabriqué s’écroule. Le guerrier voit…
La vraie sagesse de la vie consiste à voir l’extraordinaire dans l’ordinaire.
Alors commence une nouvelle épreuve : ne pas succomber aux sortilèges de la clarté qui t’inonde. C’est le deuxième ennemi du guerrier.
Tu n’as pas d’autres ennemis que ceux que tu as mis toi-même sur ta route.