Le monde matériel est de plus en plus lourd. J’ai choisi de vivre aux vents de l’astral. En cette fin de Kaliyuga, ère des ténèbres, toutes les valeurs sont inversées. Ce qui est en haut n’est plus comme ce qui est en bas. L’âge sombre voit le triomphe des imbéciles et la réussite des sans scrupules. Le règne du mal s’étend chaque jour davantage et peu à peu ses ondes contaminent la planète.
De bas en haut
L’infra-monde dévore un à un les enfants des hommes pour qu’ils finissent dans les flammes des dragons d’en bas. Les visiteurs de la cave ont envahi le rez-de-chaussée. L’ombre gagne les étages. Elle atteint le grenier, d’où elle gagnera les cimes des clapiers humains. Les derniers justes quittent le plan terrestre. Hors du monde de la matière, ils habitent la stratosphère. Privée de leur lumière, la matière morte engloutit les petits dans son béton vorace.
Les justes vivent en astral où tout est possible, ouvert, lumineux. Non que le monde d’en haut soit un paradis d’où le danger est exclu. On n’y trouve pas d’angelots dodus aux fesses roses, sinon les mauvais prêtres y seraient déjà. Qu’elles soient éthériques ou physiques, les chairs corrompues n’y sont pas admises. Les archanges vengeurs sont des machines de guerre qui sèment la mort et précipitent les âmes blessées dans la poubelle de l’histoire.
Tandis que la terre se noie sous la marée humaine, il y a de la place en astral. Sans temps, sans espace, on n’y est pas à l’étroit. C’est le paradoxe de l’autre monde. Aussi ai-je déménagé. Terra la belle s’est trop enlaidie en l’espace d’une vie, je ne veux plus lutter pour elle qui ne m’a pas béni. L’air qu’on y respire m’est insupportable. Mon bonheur est ailleurs. Au-delà.
De haut en bas
Les sommets jadis inviolés des Andes et de l’Himalaya sont les dépotoirs des touristes et des lézards humains qui courent sur leurs flancs. Les geeks et les geckos sont partout, insensibles et butés. Je renonce à les aider. Trop tard pour leur greffer le cerveau qui leur manque. Pourquoi les éveiller ? Pour qu’ils se reproduisent ? Ils passeront comme la énième plaie d’Égypte. En attendant cette fin heureuse, je leur ai dit adieu. Aucun d’eux n’est visible où je suis. C’est tant mieux. Y viennent-ils que l’énergie d’en haut les réduit en bouillie. Infâme brouet.
La raison pure se prostitue. En son lieu et place, la raison du plus fort souille les âmes de son empreinte immonde. Victor Hugo n’est plus. Baudelaire non plus. Ronsard se barre. Rimbaud se noie. Leurs œuvres qu’on croyaient vives sont en réanimation. Van Gogh est aux urgences. À la morgue Cézanne. Du balai Rabelais. Mozart au placard. Piaf trahie par la môme. Les très puissants rêveurs de mondes sont perdus corps et biens.
Que reste-t-il du Cantique des Cantiques, de la Lettre à Élise, du Petit Prince, du Roi des Aulnes, des Nibelungen ? Siegfried est en haut qui fait du gâteau. Gilgamesh est en bas qui boit du chocolat. Enki a perdu son livre. Le divin Lugh a éteint sa lumière éternelle. Merlin ne veut plus sortir de son tombeau. Héraklès est blessé par le poids des travaux. Où sont-ils ? Qui sont-ils ? Comme ils sont loin du sol ! Où sont les héros de Moïtoura ? Que sont devenus les Titans de la Gigantomachie ? Comme tout a rétréci ! Que le monde est petit !
Les gens cultivent la haine dans leur jardin secret. L’Eden est un palace flottant pour crétins suicidaires. Héros fatigués, les ex-révolutionnaires ont le cœur à gauche et le portefeuille à droite. La jungle disparait. Les grandes forêts ne sont plus vierges. Impossibilité d’une île déserte. Le maquis brûle tous les étés. Le sec s’étend des deux côtés de la Méditerranée. La lune s’enrhume. Pierrot n’a plus de plume. La météo s’affole. Le chant des marchands mène la danse et l’argent mène la transe.
Vierge Canonique
Là-haut j’ai rencontré la Vierge. Céleste, elle m’apparut dans son beau carrosse. Il est en cristal bleu, des poignées d’orichalque. C’est un modèle d’avant, 136cvp. Tiré par 136 chevaux pégasolines. Chaque cheval a trois têtes. Une tête rêveuse, une tête chercheuse et une tête de cochon. Les trois têtes ont deux ailes.
En pareil équipage, la Vierge canonique a fait son entrée des artistes. J’ai d’abord cru que le soleil s’était posé sur mon perron. Quand mes yeux shabituent, sa splendeur m’éblouit. Trois larmes passées, je la reconnais. C’est la Maman Spatiale. Vierge canonique de la tête aux pieds menus. Fille de l’éther et du vent solaire. Que vient-elle fabriquer dans ma retraite astrale ? A-t-elle perdu sa voie pourtant semée d’étoiles ?
Elle me donne le bonjour de sa douce voix lactée. Je lui réponds : « Comment peut-il être mauvais ?« Son œil étonné m’interroge.
« Ce jour est le meilleur de toutes mes vies puisque te voilà. Pourquoi es-tu là ? Cherches-tu ton chemin ? Si je peux aider… »
–C’est TOI que je cherchais. Avec TOI je vais partager la couche. C’est avec TOI que je vais célébrer mes noces.
À mon tour de béer. Je sursaute. « Mais, très sainte vierge… C’est impossible ! »
Elle poursuit : -Je viens de fêter mes cent mille ans. J’ai l’âge.
« Tu ne les fais pas, je t’assure. »
Débile ! Troublé comme j’étais, je n’ai pu dire que cette connerie. La vierge boude. Comme elle est belle !
-J’en ai marre, mon Xavier. On me prend tout le temps pour une gamine.
« Arrête ! lui dis-je. Arrête d’être une gamine. Je suis là pour ça. »
-Moi aussi.
Ôtant ses atours, elle me sourit.
Pourquoi ?
Dieux ou pas, nous sommes tous mortels et ça ne va pas s’arranger. Pourquoi doit-on mourir dans la fange et l’abjection ? Comment te supporter jusqu’à la fin, monde en déclin, planète en sursis ? Évitez, mes amis. Faites comme moi, n’hésitez pas.
Sur les sommets fabuleux de l’astral, toi qui rêves encore, tu peux vivre autrement. Te rejoindre. L’aurore va poindre, viens la voir d’ici. Un matin de folie commence à Erquy, dernière escale avant le paradis. Je reçois chez moi les reines et les rois. On y croit. On y voit le mode d’emploi. L’escabeau pour la marche à suivre. L’arche à vivre.
Demande-moi pourquoi, je dirai : pourquoi pas ? Viens, tu sauras. Cela ne tient qu’à toi.
Canonisé
Tandis qu’on baisait, elle m’a canonisé. Elle m’a oint le machin de son sang virginal. Avant qu’on y retourne, elle a dit : -Tu sais pourquoi je t’ai choisi.
Non. Je n’en sais rien. Je n’ai pas répondu, ce n’était pas une question.
Mille nuits se sont passé. Nos corps entrelacés comme serpents à sornettes, on s’en est dit des conneries ! On s’en est fait des cochonneries ! Moi qui redoutais son peu d’expérience — cent mille de solitude, pensez donc ! — ce fut tout le contraire. J’étais servi dans mon lit comme un grand saigneur.la faute est voulue La classe intersidérale.
Au bout de mille et une nuits, effeuillage à l’envers. Elle remit ses habits. Elle m’a dit : « c’est fini ». Sous mes yeux, l’univers s’est noyé. Seul survivant, je pleure des larmes amères. Pourquoi m’avoir choisi ? Je n’avais pas compris.
–Pourquoi moi ?
Elle m’a roulé une dernière pelle, taillé une dernière plume pour écrire un mot : « Désolée. Je ne parle pas la bouche pleine.«
Dieu
J’ai connu Dieu
Sous le chêne ès Villes-Bayeux
Son âge est le mien
Sur la route d’Hénanbihen.
Moi qui n’avais rien
Ne me sentais pas très bien
Dieu m’ouvrit les yeux
Depuis je vais beaucoup mieux
Alors j’ai compris. On l’appelle la Vierge Canonique parce qu’elle est canon et qu’elle nique.
Exit
Chacun sa foi dit la Mère l’Oye.