Le Tombeau et la Jouvence

En 1992, ce journal raconte mon premier contact avec l’autre monde… et ce qui s’ensuivit.

– Chapitre 8 –

Départ aux aurores pour le Tombeau de Merlin. La Fontaine de Jouvence est juste à côté. Arrêt au parking. Avisant un chemin forestier, Jeff s’y engage sans hésiter. Aucun panneau n’indique la Fontaine ou le Tombeau, mais cela ne retient pas mon attention. Je suis irrésistiblement attiré, aspiré par ce coin de forêt. Sans doute le magnétisme du Tombeau de Merlin, me dis-je.
 

Ça se mérite !

On passe sur d’un affleurement rocheux. Il émet des ondes extrêmement puissantes. Il s’agit ici d’énergie tellurique brute, non travaillée par l’homme… La mémoire de ces roches est une aventure intérieure de pierre : on y retrouve les échos de la vie bouillonnante, visqueuse et terriblement chaude des entrailles de la terre. Très bien, mais où se cache le Tombeau ? Il n’y a même plus de chemin tracé. Je me tourne vers Jeff. Il a l’air absent.
– Allons par là, dit-il sans y croire.
 
Pendant plus d’une heure, la forêt magique s’amuse à nous faire tourner en rond. Ce n’est pas désagréable, la ballade est jolie. Mais le magnétisme de la veine tellurique nous tient captifs. Pas de Tombeau de Merlin, pas de Fontaine de Jouvence. Nos efforts pour les trouver sont chaque fois réduits à néant. Vingt fois, j’escalade la même butte. Le pendule achève de nous égarer. Nos corps, magnétisés par cette source naturelle d’énergie, n’ont rien de fiable à nous dire. Après avoir bien crapahuté dans les taillis et les ronciers, bredouilles, on rentre au parking.
 
Jeff traverse la route et me hèle : – Viens, c’est par ici !
Je le rejoins. Deux flèches en bois verni, bien proprettes : Fontaine de Jouvence, Tombeau de Merlin, et deux chemins de goudron roses, comme sur tous les autres sites… Je suis scié. Il suffisait de traverser la route pour s’épargner tout le crapahut. J’ai comme un doute : est-ce Jeff ou la Forêt qui s’est joué de moi ? Tout en cheminant vers la fontaine, je jette le doute et je garde son bénéfice pour Jeff. Mettons qu’il se soit trompé. L’errance n’est pas inutile : on a stocké une bonne dose d’énergie minérale et tellurique. A toutes fins utiles…
 
Dans un voyage magique, rien n’est innocent. Le moindre détail y prend toute sa valeur dans la mosaïque parfait de l’aventure. À la fontaine, un peintre a posé son chevalet. Il nous salue courtoisement, on lui rend sa politesse. Et on va se pencher sur la vasque pour interroger la Fontaine. Écartant les lentilles d’eau, je puise une paumée d’eau très fraîche. Son goût n’est pas aussi puissant que celui de Barenton. Elle est en très mauvais état, elle aussi. Ces chemins roses apportent trop de monde.
 

Un baptême celtique

En contrebas de la fontaine, une ancienne carrière m’attire irrésistiblement. Jeff me suit, intrigué. J’explore l’endroit. Je m’assieds à divers points stratégiques. Je prends doucement possession du lieu.
 
Tout à coup, je contacte son âme-mémoire. Selon Jeff, c’est dans l’âme-mémoire que sont conservées les vies dites antérieures. L’âme-mémoire de la carrière me fait voir un rite magnifique, complet, avec un luxe de précisions.
 
Ce lieu était étroitement lié à la Fontaine de Jouvence et au Tombeau de Merlin, ancienne allée couverte dont il ne reste aujourd’hui que trois petites pierres.
 
Sur ces trois sites se déroulaient les étapes d’une cérémonie d’accueil des nourrissons. Une tradition celte dont j’ignorais l’existence. Pour faire simple, je l’appelle baptême. Il y a bien un ondoiement, mais le rite est tout à fait étranger au christianisme.
 
Cette cérémonie se tenait une fois l’an, au mois de juin. Tous les enfants nés entre juillet et mai de l’année précédente étaient baptisés à cette occasion. Voici comment se déroulait le quadruple rituel, selon les quatre éléments : d’abord une initiation par la terre dans l’allée couverte dite Tombeau de Merlin. Puis un ondoiement dans l’eau de la Fontaine de Jouvence. L’origine de ce nom vient précisément du fait que son eau était réservée aux tout jeunes jouvenceaux. La Fontaine de Jouvence n’a pas le pouvoir de rajeunir les tout-vieux, mais d’éveiller les tout-jeunes…
 
La carrière voisine était consacrée au baptême selon les deux autres éléments, l’air et le feu. Le père et la mère s’avancent jusqu’au seuil qui marque l’entrée de la carrière. Le père marche devant, la mère le suit en portant le bébé. Sur le seuil, le père tape du pied selon le rythme propre au lieu. Ce geste a une double fonction : la mise en résonance du lieu, demande d’accueil. Le maître de l’accueil siège au fond de la clairière, sur un trône taillé qui fait face à l’allée. C’est un grand druide. De nos jours, le trône a disparu, mais on peut encore en voir la trace sur le sol rocheux de la carrière.
 

Roue musicale

Dès que le père du nouveau-né commence à battre la mesure, les fidèles alignés sur le premier cercle lui emboîtent le pas, sur le même rythme, en dansant d’un pied sur l’autre. Leur gestuelle évoque les danses paysannes qu’on peut encore admirer dans les fest-nozfête de nuit armoricains. Sur un seuil à gauche de l’allée d’accès, le barde pince les cordes de sa harpe. La musique devient irrésistible. Une bonne centaine de fidèles se tient en cercle autour de la carrière, en haut du flanc de taille. À mesure que le rythme opère, le cercle des fidèles est parcouru d’ondulations. Les corps en balancement synchrone créent un mouvement hypnotique, et la roue musicale engendre la transe.
 
Le spectacle envoûte. Les environs sont noirs de monde. Des enfants, des badauds sont assis sur des sortes de gradins taillés dans la roche. À l’extérieur du cercle, des femmes et des étrangers, attirés par l’aubaine, sont gagnés parla roue musicale. À ce moment, tous les fidèles présents sont centrés sur l’image de l’enfant, dans les bras de la mère.
 
Elle se tient encore sur le seuil et présente son enfant à l’assemblée. Puis elle le confie au père, qui seul a le droit de s’avancer au centre de la carrière. Si le père est absent ou mort, il est remplacé par son frère, voire son fils aîné s’il a plus de 14 ans, âge de la première initiation adulte. L’homme qui porte l’enfant au baptême devient son tuteur. C’est lui qui portera l’enfant jusqu’à la fin de la cérémonie.
 
Quand toute l’assemblée est parfaitement centrée sur l’enfant, le grand druide fait un signe et le père s’avance vers lui avec l’enfant.Puisant dans la concentration collective la confirmation de son pouvoir de vision, le grand druide voit le barda de l’enfant. Il en infère le type d’éducation qui lui convient.

Barda : Jeu de mot de Jeff sur barddas, le livre des bardes, et barda, le paquetage des troufions. Le barda est la charge issue des vies antérieures; c’est le karma des asiatiques.

Lire aussi : Le baptême druidique. Les sept initiations. Les mystères d’Isis. La Vieille Religion des druides.

 

Nommer l’enfant

Quand l’enfant est devant lui, le druide lui impose les mains sur le crâne, et lui donne un nom. Ce nom secret servira de mantra, à l’usage du père qui seul l’a entendu. Car le père est le premier initiateur de ses enfants. A l’âge de 14 ans, le nom secret sera révélé au jeune et deviendra son premier nom. A l’âge de 21 ans, l’adulte trouvera lui-même son deuxième nom,celui qu’on lui donnera pour le reste de sa vie.

Seuls sa femme, son père, sa mère et ses intimes pourront l’appeler par son premier nom, qui a le pouvoir de le faire revenir à l’innocence, à la plénitude de l’enfance… D’où le fait que celui qui utilise le premier nom s’assure un pouvoir sur la personne qu’il nomme. En fait, ce nom secret devient, à 14 ans, nom initiatique, et reste par la suite ce qu’on peut appeler un nom tabou.

Alors le père et l’enfant rejoignent la mère qui est restée sur le seuil. Ensemble, ils s’avancent vers une sorte d’escalier, constitué de plusieurs niveaux de sièges taillés dans le flanc de la carrière, sur la gauche par rapport à l’entrée. Là se tient le barde qui va enregistrer l’état civil et l’état bardique de l’enfant. 

Le barde des Celtes est un peu l’ancêtre du bedeau des églises de mon enfance. Mais contrairement au suisse ou au bedeau, le barde n’a pas qu’une tâche administrative. Et les Celtes étant de tradition orale, il ne tient pas de registres. Il entend les noms et les enregistre… dans la musique ! Il compose en effet un mantra musical qui est personnel, et qui sert à recentrer l’enfant.

Le barde est le deuxième instructeur de l’enfant : juste après le père, il vient avant le druide. Disons que si le druide sera plus tard un professeur pour l’enfant, le barde est son instituteur. Il aura souvent l’occasion de faire entendre cette musique à son élève. Chaque être a sa musique. C’est son état civil et sa carte d’identité. Mais c’est aussi une puissante magie opérative…

Quatre éléments

Ainsi, il y a purification par les quatre éléments.

Par l’eau : ondoiement du nourrisson à la Fontaine de Jouvence.

Par l’air : la musique du barde, le martèlement des pieds, le thème musical personnel.

Par le feu : la transe collective et la révélation du nom secret ou nom sacré.

Par la terre : dans l’allée couverte dite Tombeau de Merlin. Depuis, j’ai découvert une autre « carrière de baptême » dans un ensemble mégalithique comportant sources, vasques et allée couverte, dans l’Essonne. La disposition du trône, du seuil et de l’escalier s’y retrouve à l’identique.

L’initiation par la terre se faisait ensuite, à quelques pas de là, au Tombeau de Merlin. Ce mégalithe bien mal nommé est aussi, hélas, bien mal fréquenté. Devic m’a rapporté l’impression profonde qu’il y avait ressenti devant les traces d’une cérémonie sexuelle et sacrificielle d’un goût plus que douteux.

Quant à moi, je n’ai rencontré jusqu’ici qu’une seule allée couverte polluée par des tripatouillages de ce genre. Ça m’a donné l’occasion de tester une technique de nettoyage que j’ai imaginée. Ce qu’un homme a fait, un autre peut le défaire…

 

Tombe joyeuse

Au Tombeau, où nous nous rendons en traversant un champ de trèfles, je trouve très vite un point de résonance extrêmement puissant. Ça sonne si creux que l’on croit se tenir au dessus d’une cave. En fait, il y a un cercle de résonance presque intact, à 2,50 m du mégalithe.

Sur les pierres veille un houx très vieux, mais vigoureux. A ses branches, de nombreuses guirlandes de fleurs et tresses votives sont accrochées, attestant de la continuité des pratiques païennes. Mais rien de glauque en vérité : tout ici respire la joie, la lumière.

Jeff tombe en arrêt, sidéré : il vient de reconnaître la plus fraîche des couronnes de fleurs : c’est exactement celle que portaient les très jeunes filles vêtues de blanc, à la fontaine de Barenton, dans la vision de ce qu’il avait appelé le rite de mai. Les fleurs sont blanches, de la famille de l’aubépine, mais les tiges,souples, n’ont pas de piquant.

Il y a quelque chose de surréaliste à retrouver dans le réel la confirmation d’une vision. Comme le gage d’amour reçu en rêve qu’on retrouve dans sa poche au réveil. La magie rend la vie plus belle. Merci, Merlin !

 Un arbitrage

Ici encore, Jeff doit se livrer à un rééquilibrage des gardiens. Le houx est le gardien rapproché, ou plutôt le compagnon du Tombeau. Mais sur le deuxième cercle, à l’orée de la forêt, se trouve le vrai gardien qui vient de mourir. Inexplicablement. Jeff reconnaît l’autorité du houx, mais un compagnon n’est pas toujours le gardien idéal. Celui-ci doit être à une certaine distance du point qu’il protège. Trente mètres, soixante, cent-cinquante mètres comme le gardien de la fontaine de Barenton.

Et puis, un houx, même arborescent comme celui-ci, ça reste chétif comparé à un châtaignier ou à un chêne. Il faut donc trouver une solution. Jeff en trouve une, élégante et originale : il organise un « collectif de garde » avec tous les arbres du deuxième cercle sous l’autorité centrale du compagnon, le houx.

Comment fait-il ça ? Quand je lui demande, il me donne une réponse de Normand :
– C’est beaucoup plus simple que tu le crois. Ces lieux sont blessés. Je me contente d’écouter leurs demandes, leurs souffrances, puis je fais ce que ma main d’homme est capable de faire. Sil s’agit de régler des rapports d’arbre à arbre, je fais preuve de bon sens et de diplomatie, rien de plus; quant à la source, il suffit de lui demander ce qu’elle souhaite. Dès que j’ai vu ses souhaits, il ne me reste plus qu’à m’exécuter.
– Et tu te casses l’échine à manipuler de la caillasse, comme à Barenton…
– Les réseaux énergétiques, Hartmann et autres, sont alors rééquilibrés. Contrairement à ce que tu crois, je suis un fainéant, je fais le minimum. Que le vivant puisse revenir. Il sait trouver les solutions tout seul.

 

 

Sur ma faim

Non, cette explication ne me satisfait pas… Mais je m’écrase. Je suis à l’école. J’observe, j’apprends. Si les réponses du prof ne m’éclaircissent pas, c’est que je ne pose pas les bonnes questions. Patience ! Revenant au parking, nous croisons quatre retraités endimanchés. J’avais entendu arriver leur voiture il y a un bon quart d’heure. Tout se passe comme s’ils s’étaient poliment tenus à l’écart pour ne pas déranger.

Merci, le houx ! dit Jeff. Croire sans y croire, dirait Lama. Quant à moi, je ne sais que dire. Tout au long de ce voyage, il en a été ainsi. Jeff demandait aux gardiens de nous ménager une zone de tranquillité, ce qu’ils ont fait chaque fois. Jamais nous n’avons été dérangés par des profanes.

À ce signe, on reconnaît un site sacré : il se protège de lui-même.

(à suivre)

Prochainement

Premier chapitre : Le Rocher Bleu  –  Chapitre 2 : Leçon de tarot  –  Chapitre 3 : Chez les Fées  –  Chapitre 4 : Le rituel de Féline  –  Chapitre 5 : Le troisième cercle  –  Chapitre 6 : La Belle ArrivéeChapitre 7 : L’autre côté du Miroir

Pour qu’une chose mérite d’être dite, il faut qu’elle soit bonne, utile et vraie. Les trois, et dans cet ordre.
adage gnostique