En 1992, ce journal raconte mon premier contact avec l’autre monde… et ce qui s’ensuivit.
– Chapitre 8 –
Ça se mérite !
Je le rejoins. Deux flèches en bois verni, bien proprettes : Fontaine de Jouvence, Tombeau de Merlin, et deux chemins de goudron roses, comme sur tous les autres sites… Je suis scié. Il suffisait de traverser la route pour s’épargner tout le crapahut. J’ai comme un doute : est-ce Jeff ou la Forêt qui s’est joué de moi ? Tout en cheminant vers la fontaine, je jette le doute et je garde son bénéfice pour Jeff. Mettons qu’il se soit trompé. L’errance n’est pas inutile : on a stocké une bonne dose d’énergie minérale et tellurique. A toutes fins utiles…
Un baptême celtique
Roue musicale
Barda : Jeu de mot de Jeff sur barddas, le livre des bardes, et barda, le paquetage des troufions. Le barda est la charge issue des vies antérieures; c’est le karma des asiatiques.
Lire aussi : Le baptême druidique. Les sept initiations. Les mystères d’Isis. La Vieille Religion des druides.
Nommer l’enfant
Quand l’enfant est devant lui, le druide lui impose les mains sur le crâne, et lui donne un nom. Ce nom secret servira de mantra, à l’usage du père qui seul l’a entendu. Car le père est le premier initiateur de ses enfants. A l’âge de 14 ans, le nom secret sera révélé au jeune et deviendra son premier nom. A l’âge de 21 ans, l’adulte trouvera lui-même son deuxième nom,celui qu’on lui donnera pour le reste de sa vie.
Seuls sa femme, son père, sa mère et ses intimes pourront l’appeler par son premier nom, qui a le pouvoir de le faire revenir à l’innocence, à la plénitude de l’enfance… D’où le fait que celui qui utilise le premier nom s’assure un pouvoir sur la personne qu’il nomme. En fait, ce nom secret devient, à 14 ans, nom initiatique, et reste par la suite ce qu’on peut appeler un nom tabou.
Alors le père et l’enfant rejoignent la mère qui est restée sur le seuil. Ensemble, ils s’avancent vers une sorte d’escalier, constitué de plusieurs niveaux de sièges taillés dans le flanc de la carrière, sur la gauche par rapport à l’entrée. Là se tient le barde qui va enregistrer l’état civil et l’état bardique de l’enfant.
Le barde des Celtes est un peu l’ancêtre du bedeau des églises de mon enfance. Mais contrairement au suisse ou au bedeau, le barde n’a pas qu’une tâche administrative. Et les Celtes étant de tradition orale, il ne tient pas de registres. Il entend les noms et les enregistre… dans la musique ! Il compose en effet un mantra musical qui est personnel, et qui sert à recentrer l’enfant.
Le barde est le deuxième instructeur de l’enfant : juste après le père, il vient avant le druide. Disons que si le druide sera plus tard un professeur pour l’enfant, le barde est son instituteur. Il aura souvent l’occasion de faire entendre cette musique à son élève. Chaque être a sa musique. C’est son état civil et sa carte d’identité. Mais c’est aussi une puissante magie opérative…
Quatre éléments
Ainsi, il y a purification par les quatre éléments.
Par l’eau : ondoiement du nourrisson à la Fontaine de Jouvence.
Par l’air : la musique du barde, le martèlement des pieds, le thème musical personnel.
Par le feu : la transe collective et la révélation du nom secret ou nom sacré.
Par la terre : dans l’allée couverte dite Tombeau de Merlin. Depuis, j’ai découvert une autre « carrière de baptême » dans un ensemble mégalithique comportant sources, vasques et allée couverte, dans l’Essonne. La disposition du trône, du seuil et de l’escalier s’y retrouve à l’identique.
L’initiation par la terre se faisait ensuite, à quelques pas de là, au Tombeau de Merlin. Ce mégalithe bien mal nommé est aussi, hélas, bien mal fréquenté. Devic m’a rapporté l’impression profonde qu’il y avait ressenti devant les traces d’une cérémonie sexuelle et sacrificielle d’un goût plus que douteux.
Quant à moi, je n’ai rencontré jusqu’ici qu’une seule allée couverte polluée par des tripatouillages de ce genre. Ça m’a donné l’occasion de tester une technique de nettoyage que j’ai imaginée. Ce qu’un homme a fait, un autre peut le défaire…
Tombe joyeuse
Au Tombeau, où nous nous rendons en traversant un champ de trèfles, je trouve très vite un point de résonance extrêmement puissant. Ça sonne si creux que l’on croit se tenir au dessus d’une cave. En fait, il y a un cercle de résonance presque intact, à 2,50 m du mégalithe.
Sur les pierres veille un houx très vieux, mais vigoureux. A ses branches, de nombreuses guirlandes de fleurs et tresses votives sont accrochées, attestant de la continuité des pratiques païennes. Mais rien de glauque en vérité : tout ici respire la joie, la lumière.
Jeff tombe en arrêt, sidéré : il vient de reconnaître la plus fraîche des couronnes de fleurs : c’est exactement celle que portaient les très jeunes filles vêtues de blanc, à la fontaine de Barenton, dans la vision de ce qu’il avait appelé le rite de mai. Les fleurs sont blanches, de la famille de l’aubépine, mais les tiges,souples, n’ont pas de piquant.
Il y a quelque chose de surréaliste à retrouver dans le réel la confirmation d’une vision. Comme le gage d’amour reçu en rêve qu’on retrouve dans sa poche au réveil. La magie rend la vie plus belle. Merci, Merlin !
Un arbitrage
Ici encore, Jeff doit se livrer à un rééquilibrage des gardiens. Le houx est le gardien rapproché, ou plutôt le compagnon du Tombeau. Mais sur le deuxième cercle, à l’orée de la forêt, se trouve le vrai gardien qui vient de mourir. Inexplicablement. Jeff reconnaît l’autorité du houx, mais un compagnon n’est pas toujours le gardien idéal. Celui-ci doit être à une certaine distance du point qu’il protège. Trente mètres, soixante, cent-cinquante mètres comme le gardien de la fontaine de Barenton.
Et puis, un houx, même arborescent comme celui-ci, ça reste chétif comparé à un châtaignier ou à un chêne. Il faut donc trouver une solution. Jeff en trouve une, élégante et originale : il organise un « collectif de garde » avec tous les arbres du deuxième cercle sous l’autorité centrale du compagnon, le houx.
Comment fait-il ça ? Quand je lui demande, il me donne une réponse de Normand :
– C’est beaucoup plus simple que tu le crois. Ces lieux sont blessés. Je me contente d’écouter leurs demandes, leurs souffrances, puis je fais ce que ma main d’homme est capable de faire. Sil s’agit de régler des rapports d’arbre à arbre, je fais preuve de bon sens et de diplomatie, rien de plus; quant à la source, il suffit de lui demander ce qu’elle souhaite. Dès que j’ai vu ses souhaits, il ne me reste plus qu’à m’exécuter.
– Et tu te casses l’échine à manipuler de la caillasse, comme à Barenton…
– Les réseaux énergétiques, Hartmann et autres, sont alors rééquilibrés. Contrairement à ce que tu crois, je suis un fainéant, je fais le minimum. Que le vivant puisse revenir. Il sait trouver les solutions tout seul.
Sur ma faim
Non, cette explication ne me satisfait pas… Mais je m’écrase. Je suis à l’école. J’observe, j’apprends. Si les réponses du prof ne m’éclaircissent pas, c’est que je ne pose pas les bonnes questions. Patience ! Revenant au parking, nous croisons quatre retraités endimanchés. J’avais entendu arriver leur voiture il y a un bon quart d’heure. Tout se passe comme s’ils s’étaient poliment tenus à l’écart pour ne pas déranger.
Merci, le houx ! dit Jeff. Croire sans y croire, dirait Lama. Quant à moi, je ne sais que dire. Tout au long de ce voyage, il en a été ainsi. Jeff demandait aux gardiens de nous ménager une zone de tranquillité, ce qu’ils ont fait chaque fois. Jamais nous n’avons été dérangés par des profanes.
À ce signe, on reconnaît un site sacré : il se protège de lui-même.
(à suivre)
Prochainement
Premier chapitre : Le Rocher Bleu – Chapitre 2 : Leçon de tarot – Chapitre 3 : Chez les Fées – Chapitre 4 : Le rituel de Féline – Chapitre 5 : Le troisième cercle – Chapitre 6 : La Belle Arrivée – Chapitre 7 : L’autre côté du Miroir