Disponible

Le grand mot est lâché : disponible ! C’est ce qu’on doit être, tout le temps, quoi qu’il arrive. Toujours prêt, le petit doigt sur la couture du pantalon, ‘aaaar… davous ! Yes ma nièce. C’est ça la vie qu’on vit. Disponible et souriant. Avenant. Rendre service. Se mettre en quatre. Ou se plier en deux, c’est selon.

Jamais tranquille. Dès que tu es seul, la zique à fond, la télé, les écrans dansent, tu sors de toi. Jamais le temps pour le seul trip valable, le voyage intérieur. Hein ? T’es rieur ? Ben tiens, c’est une bouif qui fait rire. Tu es disponible à tout, tout le temps, pour tout. Disponible et disposable.

Une bien jolie position du point d’assemblage qui t’en fait voir de toutes les couleurs. Dans ces quartiers de basse déprime, on a la philosophie facile. Détachement. Beware of Maya. Tout est illusion. Méfiage,C’est pour rire ! méfiement,C’est pour rire ! enfer et méfiation.C’est pour rire ! Dans ces conditions, comme mourir paraît facile. Tu ne tiens à la vie que par un fil.

Devant toi, au ras de tes pieds, le gouffre. Noirceur, profondeur. Douceur. Le vide t’appelle. Tout plutôt que cette vie de souffrance et d’échecs. Dormir. Sans réveil, sans souci, sans problème. Ah la belle mort ! Comme elle te paraît douce ! Pouce! Tu passes ? Ou tu trépasses ?

La tasse. C’était avant. Vivant ! Tu es vivant ! Bonheur d’aimer comme tu respires. Aimer sans compter, sans te la raconter, aimer sans comprendre. Aimer sans garder, sans y regarder, aimer sans attendre.

Aimer respecter. Savoir protéger les intimités. Vive la vie privée. De quoi ? De publicité. Privé d’audience. Condamnée au silence. Pour vivre heureux, vivez cachés. Le guerrier n’est pas disponible, dit Juan Matus, le benefactor de Carlos Castaneda. Le guerrier doit se rendre indisponible. Cri du cœur à la face des convenances et de la morale convenue. Le diktat du « sois disponible » se prend comme un vent dans la face. C’est important. Ça casse. Et puis ça passe. Une façon drastique de remettre les pendules à l’heure. La bonne heure, celle de l’éveil.

Le temps passé n’est plus et le futur n’est pas / Et le présent languit entre vie et trépas / Bref, la mort et la vie sont en tout temps semblables. (Jean-Baptiste Chassignet)

Je n’y suis pour personne. Ça t’étonne ? Le guerrier doit se rendre indisponible. Il doit considérer ceux qui envahissent son espace et dévorent son temps comme des petits tyrans, et les traiter comme tels. Avec respect, douceur et distance. Le chemin du guerrier de lumière n’est pas le jolie chaussée de la sainteté. Toute pavée de bonnes intentions. L’Intention n’est ni bonne ni mauvaise. Elle est, de toute éternité. La sainteté est une farce. Une méprise. Un guerrier n’a rien d’un petit saint. La morale convenue n’est pas la Règle.

I beg your pardon
I never promised you a rose garden. (écouter)

Celle-ci n’est pas écrite, tandis que la morale bien-pensante est redite et ressassée. On en a les oreilles rebattues. Tant de réflexes conditionnés depuis l’enfance, l’école, la télé, le web, les sites sociaux… Tant de refrains sans frein qu’on finit par confondre avec la Règle du guerrier. Tant de scies sans aucun soin ni sens, si lassantes, entêtantes…  Pourquoi la Règle est-elle si importante ? Pourquoi faut-il se rendre indisponible ? Je vais vous le dire.

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Se vouloir toujours disponible pousse à se croire indispensable. Au risque, encore, de renforcer l’ego. Être disponible, accepter d’interrompre toute action à la demande. Toute interruption crée la confusion et mène à l’échec. Mène tes actions jusqu’à leur terme. N’interrompt jamais un cycle. Prends le temps de renouer ton lacet, même dans un endroit glauque propice au guet-apens.

Dans le même temps, n’en attends aucun résultat. Le lien de causalité n’existe pas. D’autres liens le remplacent en astral. Aucune cause, trop d’effets. L’effet n’est plus causal. Il est premier. Les causes ne viennent que dans le monde mental. Il faut du temps pour toute causalité. Le vrai monde est éternel. L’instant ne finit jamais.

L’éternité c’est long. Surtout vers la fin. (Woody Allen)

Y a-t-il des week-ends pour le guerrier de lumière ? Ta quête se met-elle entre parenthèses du vendredi soir au lundi matin ? Tu n’es pas sorcier aux heures de bureau. Tu ne frappes pas à la porte d’un nagual en toute candeur, sauf si ton cœur est pur. Nul ne vient chez moi par hasard. Ni sans s’être annoncé.

La disponibilité est dans le camp de celui qui s’impose. Ne manque-t-il pas de disponibilité d’esprit, celui qui exige qu’on soit toujours disponible pour lui ? A-t-il du cœur ? A-t-il du ventre ? Est-il soucieux du temps des autres ?

Cœur léger cœur changeant cœur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes jours
Que faut-il faire de mes nuits
Je n’avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m’endormais comme le bruit (Louis Aragon)

On se reposera quand on sera mort, disait Maman. Elle doit bien se reposer, maintenant. Elle a trimé toute sa vie.

Tu seras disponible quand tu seras mort. Les survivants feront de toi ce qu’ils voudront. On fait ce qu’on veut d’un mort. Il est toujours d’accord. Les morts sont bien élevés. Pas contrariants. Dociles. On s’en sert de repoussoir ou d’aimant, de drapeau blanc ou d’oriflamme. C’est selon. Et quand la mode change, on change de mort.

Ou pire, on change le mort. On l’habille autrement. L’autre ment. On détourne des vieux papiers, écrits un jour de blues, noircis par l’agonie. On invente des vices. On dit « voyez ? c’est lui« . On se moque de qui ? Pas seulement du mort, mais de la terre entière. Et croyants, et des prières.

C’est pas tout ça, faut décider
Ce qu’on va faire avec le corps
On était pourtant tous d’accord
Arrêtez de me regarder

Il y a des cendres dans les tasses
Sur la place on dirait qu’il pleut
Et dans un camaïeu de bleu
On dirait un ange qui passe (Xavier Séguin)

Ma vie durant, faites que je reste un guerrier sans importance. Toute ma vie j’ai connu ma mort. Elle et moi nous serons d’accord. Dormir. Sans réveil, sans souci, sans problème. Ah la belle mort ! Comme elle me paraît douce ! Pouce ! Je trépasse.

Tiens ? Bonjour l’éternel instant. Tu t’appelles comment ?

Laisse la vie t’arriver. Crois-moi, la vie est dans le vrai. Tout le temps. (Rainer Maria Rilke)

 

L’âge d’or est comme le bonheur : on ne le reconnaît que quand il est passé.
Lao Surlam