*Carlos Castaneda nous a présenté sa vision du gardien — selon le point de vue du nagualisme. Rudolf Steiner nous a présenté le gardien du seuil vu par l’ésotérisme. À mon tour de vous montrer le gardien tel qu’il apparaît dans les contes de fées, sous la forme d’un dragon féroce.

 

Ces récits fabuleux nous parlent à tous, jeunes ou vieux. Ils évoquent un monde de merveilles et d’enchantements qui n’est plus accessible aujourd’hui. Plus accessible au grand nombre, en tout cas. J’ai toujours senti dans ces contes bien plus que la simple apparence.

 

L’empreinte des contes

Si la forme est magnifique, le fond ne l’est pas moins. Ces histoires pour les petits sont des pures merveilles. Des textes initiatiques décrivant des situations justes. Des portes ouvertes sur de larges avenues de verdure dans des forêts plus sacrées que des temples. Des fenêtres qui donnent sur des perspectives fleuries de mille grâces et ornées d »héroïsme. Un paradis qui n’est perdu pour personne, car il dort doucement au creux de nos cœurs battant. 

Contes et légendes anciennes agissent sur les profondeurs de l’inconscient en y imprimant des situations ou des initiations qu’il appartient à chacun de comprendre le moment venu. Les histoires-enseignements des Soufis fonctionnent de la même façon.

Sans savoir pourquoi, l’enfant qui les entend s’en souvient toute sa vie. Un jour, au cours de son parcours, une situation ou une initiation ranime en lui de lointains souvenirs. Il comprend qu’il a reçu jadis un don grâce à ces contes, et voici que ces légendes lui rendent son amour.

 

 

L’enfant qui veille en moi croit que les contes et légendes de notre enfance ont la même puissance initiatique que la voie du guerrier de Castaneda ou l’ésotérisme de Steiner. La culture vernaculaire, populaire, la culture orale des veillées au coin du feu a survécu à la télé et au réseau virtuel. Oubliez l’écran, oubliez l’écrit, voyez-moi comme je suis, oyez le conteur à l’ancienne, votre main dans la sienne, amen. Voyez l’aïeul qui vous accueille au coin du feu, moi que plus rien n’étonne en ce jardin rocheux face à la mer bretonne.

Quel dragon ?

Et le gardien, au fait ? Dans nos légendes médiévales, le gardien est parfois le terrible dragon qui veille au pied de la tour où gémit la princesse. Elle attend le prince charmant qui mettra fin à ses tourments. Quant à toi, noble chevalier, tu la délivreras. Aussitôt vue, tu l’as aimée. Ton cœur est prisonnier.

Hum ! Comme un conte soufi, cette histoire est un enseignement. Ce conte célébrissime raconte aussi autre chose. Une image au-delà des mots. Décodons, si tu veux bien. Le dragon de l’ego, tu connais ? Alors dis-moi. Qui donc enferme la princesse ? L’ego dominant ou le mâle dominant ? Qui des deux domine la faible femme, impuissante et voilée ? Son barbon barbu, baron pathétique et borné, l’ogre Barbe Bleue ? Ou plutôt son ego défaillant qui a miné sa confiance en elle ?

Pleure, la belle. Tu n’as de pire ennemi que toi. Tu es ton ennemi le plus entêté, le plus vicieux, le plus efficace. Il te connaît si bien ! Ne me crois pas sur parole. Vérifie. Traque en toi. Ne cherche pas son reflet dans les flaques. Seul un miroir de bois te renverra l’image du dragon vert qui brûle en toi.

 

 

Cœur à l’envers

Vert espérance ? Ou fruit trop vert ? Attendre, tendre vers, éviter les revers, cœur à l’envers. Tu portes en toi le dragon détestable, monstre de suffisance, boursouflure obscène, démesure malsaine, ombre dure et vilaine, bure de haine au vent mauvais qui t’emmène.

Casteneda préfère s’entourer de petits tyrans, grand bien lui fasse. Le tyran le plus exigeant est en toi. Il est toi. L’autre toi, celui qui sait ce qui va et ce qui ne va pas. Il sait que tu ne l’écoutes pas. Tu ne vis que pour toi. Il le sait, il le voit. Il se meurt d’amour dans l’attente. Un jour, las de la mésentente, ce tyran-là te quittera. De son côté il s’en ira. Et tu mourras.

Rien n’est écrit. Rien n’est acquis. Rien n’est requis. Choisis ta cible. Les deux voies sont possibles. Si tu écoutes le tyran qui te malmène et qui ne te lâche pas, si sa loi te mène, si tu te tiens coi, si tu prends sur toi, tu deviendras meilleur, plus affûté, plus puissant. La tâche est facile quand le résultat te reste indifférent. Seul l’effort mérite récompense. Que le guerrier accepte avec indifférence…

L’échec instruit mille fois plus que le succès. La victoire nourrit l’ego, l’échec développe les qualités du guerrier. Il se relève, tire les leçons, grandit. Il recommence, essaie encore, agit plus fort, tel Jean sans tort au combat corps accord.

 

 

L’exploit de Georges

Le Gardien des légendes est cet ego féroce qui te pousse et te drosse. Écoute-le rugir et mugir à loisir mais laisse-le radoter. L’ego tape à côté. Veux-tu l’éliminer ? Tue-le et tu mourras. Tu ne peux que le tondre, le tordre, le pousser, le chasser, le tenir à distance comme Saint Georges l’a fait, menaçant de sa lance le dragon courroucé. 

 

Pour nous autres humains, l’ego revient toujours. Il est rivé à notre corps mortel, il nous vole nos ailes, il nous colle avec zèle. Sans cesse il nous emmêle. L’ego triomphant, dragon menaçant, colère et tourments, l’ego du dedans te lâche pourtant. Il suffit d’aimer.

Laisser fleurir en toi la fleur fragile et sa senteur sublime. Elle s’épanouit si bien et se sent de si loin que le dragon s’endort. Il passerait pour mort s’il ne ronflait si fort. Quand l’ego dort, l’amour danse la valse, le tango argentin, le slow langoureux et la java coquine.

Mon ami, si ton ego t’encombre, quitte ton masque sombre. Souris-moi, sors de l’ombre. Rengaine ta rapière. Va boire à la rivière. Tes déboires d’hier sont changés en prière. Sois fort. Ton ego dort. Mets ton cœur en accord majeur.

 

Le gardien des rêves

Et souviens-toi qu’il y a plusieurs gardiens intérieurs. Car il y a plusieurs combats à entreprendre. Plusieurs portes à ouvrir. Plusieurs mondes à explorer. Les étapes du chemin intérieur sont décrites par les arcanes majeurs du tarot de Marseille, ou tarot initiatique. Au seuil de chacune d’elles, tu rencontreras son gardien. Il veille sur le pont levis et la lourde porte. Il ne te donnera pas la clé sans combattre.

Le plus infranchissable est celui qui garde ta forteresse intérieure. Et pourtant tu dois le vaincre ou l’esquiver pour y pénétrer. Tu devras l’affronter en combat singulier avant d’âtre admis dans ta lumière intérieure. Pour devenir enfin celui que tu es de toute éternité, il faudra te vaincre toi-même.

Car il y a deux toi. Le petit, le teigneux, l’ego dominant, celui qui t’a permis de survivre et de te faire une place au soleil, celui qui fut utile, et qui est futile.

Et puis il y a Toi, ton double incarné, ta véritable Personne, ta perfection, ton âme. Un combat s’engage, pour le premier c’est perdu d’avance, mais il ne veut pas s’y résoudre. Il meurt, enfin. Alors tu crois mourir. Mais non, tu es vivant. C’est juste l’arcane XIII. Un rite initiatique que la Moyen-Âge appelait les Mystères d’Isis, ou les Petits Mystères.

 

En profondeur

Il s’agit d’explorer les profondeurs de ton inconscient. De visiter les blocages issus de ton enfance, afin de libérer les énergies qu’ils mobilisent. Sous la couche émotionnelle, il n’y a pas que le fond de la piscine. Creuse! Tu peux descendre encore. Entre la conscience claire et les abîmes de l’inconscient, il y a une bonne couche de béton vibré avec inclusion de silex. Il s’agit de briser cette chape pour parvenir aux tourments et aux délices de la zone émotionnelle.

Derrière, il y a les rêves. Le pouvoir. La maîtrise de soi. Tu vas quitter les ténèbres, la confusion, le sentiment d’impuissance et la colère. Des émotions positives vont te porter. Tu te sens d’attaque pour revivre. Pour tout reprendre à zéro. Et à terme, pour entrer dans ta lumière intérieure. Habiter ta forteresse. Régner sur toi-même. Vibrer à l’unisson de l’univers vibrant.

Cette chape dure, ce béton solide, tel est le dernier gardien. L’ultime. Peut-être le plus difficile à vaincre. Surtout si tu te sers de tes ongles…

 

Volonté infrangible

Il faut en vouloir. Mon benefactor disait: En avoir marre, c’est indispensable. Si tu n’en as pas marre de cet état où tu te traînes depuis si longtemps, jamais tu n’auras le courage nécessaire pour briser le béton qui te sépare de toi-même.

Il ajoutait: En avoir marre ne suffit pas. l’état d’esprit qui convient à cette quête est au-delà. Il faut en avoir marre d’en avoir marre.

 

 

Xavier Séguin

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