J’ai récemment posté un article sur les petits tyrans, la violence de vos réactions m’a surpris. La tyrannie domestique ou professionnelle semble être une épreuve difficilement surmontable pour nombre d’entre vous. D’où l’envie de publier ce complément.

Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage, a dit La Fontaine. Je l’écoute et je m’y remets. J’avais évoqué trois cas de tyrannie qui semblent moins terribles et moins humiliants que les supplices quotidiens vécus par certains. Je pourrais répondre tant mieux, plus la tyrannie est forte, plus le guerrier progresse. Mais cette affirmation n’a pas été comprise. Vos réactions le montrent bien. Cet article s’avère donc indispensable.

Pas de masochisme

Loin de moi l’idée de glorifier l’humiliation. Le guerrier que je suis n’est pas adepte du masochisme. Ainsi ce lecteur a souffert des tortures physiques et psychologiques d’un père indigne. Il est soulagé d’être enfin sorti des griffes paternelles. Il a 40 ans, son enfance est déjà loin derrière lui, pourtant il est à peine adulte. L’attitude du chercheur de lumière le fascine et l’attire, mais du fait de la barbarie qu’il a subie, son manque de maturité ne lui permet pas d’assumer l’impeccabilité du guerrier qu’il voudrait être.

Ce cas extrême est appuyé par d’autres, tout aussi atroces. Il y a cette femme qui a été longtemps battue par son compagnon. Ivrogne et débauché, il a fini par se suicider. Au lieu de s’en réjouir, elle ne s’en remet pas. Elle regrette que la disparition de son tortionnaire l’empêche de passer en justice. Pourtant elle n’est pas motivée par un désir de vengeance, elle éprouve juste un sentiment de profonde injustice. Un jour, souhaitons-le, elle lui pardonnera. Ensuite viendra le plus difficile : qu’elle se pardonne à elle-même.

Il y a aussi le cas de cet homme qui a souffert toute son enfance d’un total manque de tendresse. Sa mère, autoritaire et dure, ne lui donnait que des calottes. Son père, faible et souvent absent, n’avait pratiquement aucun contact avec ses enfants. Mais c’est l’absence totale de tendresse de la part de sa mère qui le marque encore, un demi siècle plus tard. Pourtant il a su être tendre et câlin avec ses enfants. La tendresse qu’on n’a pas reçue est contrebalancée par celle qu’on parvient à donner.

Le sens de la douleur

Il y a beaucoup de souffrance dans ce monde, surtout en ce moment. Aussi je ne veux pas augmenter cette souffrance, mais plutôt la détourner de son œuvre destructrice pour la mettre au service du progrès intérieur. Les Amérindiens pratiquent la douleur qui nettoie, à travers les sweat lodges ou les danses du soleil, qui sont des quêtes de vision.

Quand la douleur est féconde, elle s’efface au vu du résultat. Il en est ainsi de la douleur de l’accouchement. Nos grands mères l’appelaient le mal joli. Sitôt passé, on l’oublie. Ce qui n’empêche pas nombre de femmes de réclamer une péridurale. Peut-on accoucher en guerrière ? Oui, assurément. Faut-il le faire ? C’est le choix de chacune. Certaines feront passer leur confort ou leur douilletterie avant l’expérience qui grandit.

Je suis un homme, du moins dans cette vie-ci. Mais le souvenir prégnant de mes vies antérieures ne me quitte jamais très longtemps. J’ai vécu dans une de mes vies les douleurs d’un accouchement difficile. Et je peux encore les ressentir dans mes reins et mon sexe. La femme que j’étais s’en est servie pour ouvrir un nouveau cycle de vie. Je sais que la chose est possible, si les circonstances et ton caractère le permettent.

Le chemin du guerrier

Ce texte s’adresse aux guerrières et aux guerriers. Rien n’est jamais acquis, ni l’horreur du passé, ni le découragement, ni le goût amer de la défaite. Aucune porte ne reste à jamais fermée. Frappe, frappe, frappe à la porte du paradis. On t’ouvrira.

Le chemin du guerrier est dur et malaisé. Plein de côtes, d’obstacles, de pièges, de barrages. Il faut escalader, contourner, s’éreinter à grimper. Quand le cœur n’y est plus, on doit avancer quand même. On ne s’arrête pas avant l’étape. Après la halte, on repart du bon pied.

Un jour vient, un beau jour où tout semble facile. Plus d’obstacle, plus rien n’entrave la marche. Plus d’effort à fournir. C’est un chemin magique. Il semble se glisser sous tes pieds étonnés, il te porte, il avance et tu te fais tirer. Ce n’est plus un chemin, c’est un tapis roulant. Tu n’avais jamais vu ces murs, ces paysages. Où t’a-t-il amené ? Tu ne reconnais rien.

Au bout du doute

Mais avant ce beau jour il t’a fallu ramer, te démener, souffrir et douter trop souvent. Tu as tenu le coup. L’apathie est vaincue. Tu as bravé la faim, la douleur, le chagrin. Voici ta récompense. À présent le chemin se déroule et tu rêves. Tu crois toucher enfin le but de tant de peines, tu te réjouis, tu aimes et remercie le ciel. Pose ton sac et rit. Le ciel n’y est pour rien. Ou alors c’est le ciel qui t’a freiné avant, quand les soucis plombaient ta progression.

Douter de tout ou tout croire, deux solutions également commodes qui nous dispensent de réfléchir.

Henri Poincaré

Les épreuves n’ont rien qui t’enchante. Tu as su les traverser pourtant. On peut les surmonter en criant sa colère, on peut aussi les passer en chantant. Aujourd’hui c’est facile. Tout te paraît charmant. Tu n’as plus peur d’aimer, tu peux aller devant, courir, faire le fou, cracher contre le vent. Ta vie a pris un éclat différent.

Qu’y a-t-il de changé ? Ton cœur est au printemps. Ton esprit étincelle. Ton âme est épanouie. Tu voles. Libre enfin de tes chaînes, c’est l’amour qui t’entraîne. Il te guide, il te force à sourire, épanoui. Tu apprends, tu dis oui, tu es reconnaissant du présent qu’on te fait. Le chemin du passé fut ton petit tyran. Issu de tes souffrances, l’amour est arrivé. Saluons sa renaissance. Suffit-il donc d’aimer ? Oui. Dis-le, car tu en a envie. En vie. Tu es en vie.

L’amour enfin

L’amour, le bel amour des rêves. Au fardeau qu’on t’enlève, à la douleur enfuie, aux verres qui se lèvent, à la joie qui s’ensuit, merci. Je dis merci. On ne le dit jamais assez. On ne sait pas qui remercier, l’amour, la joie ? La vie n’a pas d’oreille et pourtant elle entend les cœurs qui s’émerveillent. Elle bénit les purs, les courageux. Sois sûr qu’elle t’entend quand tu lui dis merci. Elle aussi. C’est ainsi.

Tu peux également remercier ton tyran. C’est à lui que tu dois ton courage. À lui la force. Remercie-le pour ça, pour le sens de l’effort, pour l’opiniâtreté, le progrès solitaire et la joie d’arriver. Tous tes amis sont là, ils t’attendent. Tu n’es plus seul au monde. Donne tes maux d’hier, merci pour ton offrande. Merci pour le chemin parcouru. Merci d’être venu. C’est ici, assieds-toi. Pose ton sac à terre. Le mal est mort hier. La peine est loin derrière.

Je vous enseigne le Surhumain. L’homme n’existe que pour être dépassé. Qu’avez-vous fait pour le dépasser ?

Friedrich Nietzsche
Xavier Séguin

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