Un lutin joyeux danse dans mon cœur. Il me vole ma tristesse. Il meuble ma solitude. Il repeint au champagne les heures grises où je doute. Il me soutient dans mes épreuves, ses facéties me font sourire ou rire aux éclats, selon son talent. Ça dépend du moment. Qui est-il ? D’où vient-il ? Je n’en sais vraiment rien. Mais je l’aime comme moi-même.
Pas de surprise. Avant ma mue, il y avait en moi une foule de lutins que je connaissais bien. Leurs voix se mélangeaient tantôt comme un brouhaha ponctué de cris suraigus, tantôt bourdonnant comme une abeille, tenant compagnie. Chacun avait son caractère, toutes les voix étaient différentes. Je les connaissais si bien que je leur avais donné des noms. Me les ont-ils soufflésaux framboises ?
Arminthe, Syrenn, Lordy, Marx, Dude, Hello, Mon Poteau, Ma Quiche et Mac Chiche, Justin, Fessard, Lingot et une bonne douzaine d’autres qui formaient l’arrière-plan. Ainsi s’ébattait en moi toute une famille que je n’ai jamais vue. Je n’entendais que leur voix dans ma tête et dans mon corps. Ceux que j’ai nommé sont devenus de vrais amis. Délicieuse distraction pour le solitaire que j’étais — et que je reste encore.
Comment les oublier ? Ils assumaient chacun leur rôle avec stance, constance et circonstance. Syrenn hululait comme une sirène d’usine. Lordy se prenait pour un petit mylord. Marx avait la même barbe que Karl et le même délire que Groucho.
Dude n’avait que ce mot à la bouche, tout comme Mon Poteau : j’ai longtemps cru qu’ils ne faisaient qu’un. Dude m’a détrompé en sautant à pieds joints sur ma tête. J’ai failli mourir de stupeur : c’était la première fois qu’un lutin sortait de moi !
Hello me lançait ce salut au moins vingt fois par jour. Si j’oubliais une seule fois de lui répondre, il hurlait d’une voix suraigüe : –Alors militaire ? On ne salue plus ?
Ma Quiche et Mac Chiche, jumeaux inséparables, arrivaient toujours en retard. Drôles comme tout, ils bougeaient en miroir, synchrones, réglés comme une partition. Je ne sais plus d’où vient leur nom. D’eux-mêmes, sans doute.
Quand ses copains disparaissaient, Justin restait toujours fidèle au poste. Quand je m’étonnais de ne plus les entendre, je disais : Ho les lutins ? Vous êtes combien ? Il répondait : Juste un !!! Lingot, je le saluais : Salut Albert ! il répondait : Bébert… Lingot !
Je les retrouvais toujours avec plaisir. Surtout au début de leur séjour. Grâce à eux, je n’étais jamais seul. À cause d’eux, je suis devenu trop nombreux.
À mon grand dam, j’ai dû me débarrasser de cette encombrante basse-cour aux esprits volatils. Je les ai semé de droite et de gauche au fil de mes errances. Sans remord particulier. Ma tranquillité était à ce prix. Plus j’inhalais leurs remugles, plus j’aspirais à la sérénité. Ce qui voulait dire loin de mes lutins et de leur continuel tohu-bohu.
Le sais-tu ? Leur vice est ma vertu. Depuis leur départ, mes voix se sont tues. Le silence intérieur a duré des années…
Il y a quelques décennies, deux korrigans ont élu domicile sur la banquette arrière de ma vieille Ford. Deux korrigans sans nom. Aucun rapport avec mes lutins. Ceux-là ne quittaient pas leur poste à l’arrière et ne se manifestaient pas quand j’avais un passager. Des korrigans timides avec les inconnus, mais pas avec moi !
Je les entendais se chamailler. Parfois ils gardaient le silence et j’oubliais leur présence. D’autres fois –rarement– ils s’intéressaient à moi. Les vannes pleuvaient dru. Qu’ils étaient drôles ! Jusque dans leur méchanceté, l’humour de la situation me faisait hurler d’un grand rire intérieur.
L’humour nous aide à survivre et à demeurer sain d’esprit.
Mais gaffe ! Surtout ne pas manifester mon hilarité ! Je l’ai fait au début, je m’en suis mordu les choses de la vie. Ces saloperies peuvent te pincer très fort, ou te mordre. Ce qui prouve qu’ils sont bien réels. Mes lutins intérieurs n’allaient jamais jusque là.
Qu’ils soient moqueurs ou maladroits, ne te moque pas des korrigans ! Leurs farces pourraient alors se révéler cruelles. Ceux-là ne dérogent pas à la règle générale de leur confrérie. Quand l’envie leur prend, ils font des commentaires désobligeants sur ma façon de conduire. Agacé, je leur propose de prendre le volant. Quelle idée à la con ! Ils sautent sur mes épaules comme deux singes hurleurs.
-Ouiiii ! braillent-ils. Laisse-nous le volant ! On veut conduire !! On veut conduire !!!!
Ils me tirent chacun par un bras, la voiture zigzague dangereusement. Blême, je suis crispé sur les commandes. À force de tanguer, ils vont finir par nous envoyer dans le décor. Encore heureux, la route est déserte. Tant bien que mal, je m’arrête sur le bas-côté. Plus de peur que de mal. C’est le tarif avec les korrigans. Dlinnn ! fait le tiroir caisse.
Quelques incidents de ce genre ont émaillé les deux années où j’ai trimballé mes deux clandestins. Gratos, en plus ! Ces petites gens sont plus rapiats qu’Onc Picsou. Ils dorment sur un tas d’or, dit-on, comme les dragons. Quand ils ont disparus, je ne m’en suis pas aperçu. Ont-ils atterri dans un des nombreux sites magiques où j’allais me balader ? Il se peut qu’ils aient fini par prendre refuge dans mon corps. Je suis quelqu’un d’accueillant, les esprits vous le diront.
Mes deux korrigans ont grossi ma cohorte intérieure. Impossible à savoir. Les korrigans ne répondent jamais aux questions. Les lutins, si. Mais la plupart du temps ils répondent des conneries. Pas le mien.
Il faut vous dire qu’en lieu et place de ma foule encombrante, un lutin vient d’arriver. Tout seul. Il est heureux, son sourire est contagieux. Un lutin joyeux danse dans mon cœur et me transmet sa bonne humeur.
Il y avait en moi une foule de lutins, il n’y en a plus qu’un. Il s’est installé dans mon cœur qui bat plus fort depuis qu’il y est. Il danse dans la lumière. Il danse et je me mets à danser comme lui.
Un lutin joyeux danse dans mon cœur. Il repeint ma vie de toutes les couleurs et me donne sa joie profonde. Il ne parle pas, ne m’agace pas de ses grimaces, ne me tire pas la barbe. Il est tranquille, serein, sa danse est ma méditation. On cohabite. Je me coule dans son rythme. Je veux pas qu’il me quitte.
Quand est-il arrivé ? Je crois que je sais. Un étrange incident m’a frappé récemment. Je possède un briquet en plastique ordinaire, un étui plutôt. Disons que c’est lui qui me possède. Pour allumer le feu ou de l’encens, je ne peux me servir que de lui. Il m’accompagne partout. Si je l’oublie quelque part, je me le fais renvoyer par courrier. Et tant qu’il est absent je ne suis plus tranquille.
L’autre jour, je le croyais perdu. J’ai retourné ma petite maison, fouillé partout, même aux endroits les plus bizarres, comme le frigo ou la boîte à outils. Ma distraction est légendaire, je la connais. La fouille a bien duré deux heures. Impossible pourtant de trouver ce briquet. De guerre lasse, je vais m’asseoir dans mon fauteuil. Et là, que vois-je, posé sur table devant moi, bien en évidence ? Mon briquet !
Mon briquet perdu qui est revenu ! Je suis passé vingt fois devant cette table, j’ai retourné les objets qui se trouvaient dessus et pouvait cacher ce briquet, s’il avait été là tout le temps je n’aurais pas pu le manquer ! Mon amie qui m’avait aidé dans les recherches l’aurait vu, elle aussi. À sa mine perplexe, je vois bien qu’elle n’y est pour rien.
Un lutin ! Le coup est signé, c’est un lutin farceur qui m’a joué ce beau tour. Mon lutin joyeux a voulu réussir son entrée. Je lui dis bravo. Bien joué l’ami. Bienvenu ici !
Grâce à lui, me voici hors du stress. Sans la moindre inquiétude. Serein. Les ratés quotidiens ne me font plus rien. Faut dire, ils sont rares. Mais ils viennent, on les sent passer. Ils n’arrivent jamais seuls, ils déboulent en rang serré, ils font tout pour s’insérer dans la sérénité ouatée où je suis installé. Et ça casse le moral. Du coup je me sens mal.
Que faire ? Les emmerdes velus ne s’en vont pas tout seuls. Mon lutin fera-t-il quelque chose ? Il m’aide avec sa danse et son aide est immense. Mais les signaux du corps, les soucis familiaux, les ennuis mécaniques, les bugs informatiques sont-ils à sa portée ? Il ne les connait pas et n’y comprendrait rien. Ces liens ne sont pas siens. À chacun son traintrain.
Mes lutins d’autrefois fuyaient les embarras. Qu’en sera-t-il pour celui-là ? Survient l’embrouille, il s’en va. J’ai beau scruter, il n’est plus là. Doucettement, ma joie se noie.
Depuis dix jours sans se lasser un lutin joyeux dansait dans mon cœur. Si je me réveillais la nuit, mon lutin dansait sans répit. Mais sa danse est finie. Je me languis de lui. Viendra-t-il aujourd’hui ? L’insouciance est partie.
Les shivaïtes croient que la danse de Shiva le met en joie. Par sa jouissance, il crée le monde. S’il s’arrête, l’univers s’effacera. Vas-y Shiva, surtout ne t’arrête pas, on compte tous sur toi !
Mon lutin reviendra. Il se plaît tant chez moi ! Au sortir des emmerdes, il sera là. Mon cœur est son amant. Sa joie est un aimant. Il viendra sûrement. Il peut danser longtemps quand rien ne le dérange. Mon lutin est un ange.
Quand pour de bon il partira, quand sa danse aimée finira, quand ma joie s’en ira, qu’est-ce qui m’arrivera ?
Ça y est, le voici revenu et sa joie m’accompagne. Il danse de plus belle et je l’aime, oh je l’aime. Mes ennuis sont finis par la grâce de l’arche et l’amour de ma mie. Qu’elle soit bénie. La mort est remise à plus tard. Ce n’est pas pour ce soir. Ma joie pour étendard, je peux dormir peinard.
Je sens des présences ici chez moi. Ma maison d’air qui vibre aux vents des caps. Des présences ni amicales, ni hostiles. Des pas dans l’escalier alors que toutes les portes sont fermées à clé. Ça m’est arrivé il y a dix ans et des brouettes. Sale période. C’était effrayant. J’avais peur de mon ombre et j’attirais les ombres. Triste époque. Mais là c’est différent.
Je vois les êtres à travers les choses. Ce sont des élémentaux. Des lutins comme le mien. Ceux-là communiquent avec moi sans un mot. par des farces, comme le briquet perdu. Ils sont là, tout autour de moi, et je ris de leur étrange chaleur farceuse. Ils ne sont pas amicaux, ni inamicaux. Ils sont là. Ils ne parlent pas. Ils ne communiquent pas avec moi, ni avec mon lutin intérieur qui ne se soucie pas d’eux. Jamais.
Il ignore ses amis. Ce ne sont pas ses amis. Ils ne sont amis de personne. Ils tintent, ils sonnent, ils polissonnent et je rigole. C’est une compagnie qui ne demande rien. Ni entretien, ni attention. Ils sont les habitants légitimes de chez moi, la maison d’air qui les abrite.
Je les sens, je les suis, je les sais, je les connais, je les vois. Je les entends, je les surprends par instant. Destins mêlés. Porosité des plans. Ici l’ailleurs communique.
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Cette grosse pierre sculptée pose une foule de questions auxquelles je vais tenter de répondre.
Voie royale de l'éveil, ce stage est une initiation qui ouvre la porte de l'être…
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Qui a creusé ces galeries et ces villes souterraines, et pourquoi tout ce travail ?