Solstice d’été

En 1992, j’ai tenu le journal de mon premier contact avec l’autre monde… et ce qui s’ensuivit.

 

– Chapitre 11 –

« La chair est triste hélas, et j’ai lu tous les livres » (source). Voilà ce que je ressens depuis quelques semaines. Dans le tarot que pratique Jeff, l’arcane 14 Tempérance illustre cette étape sur la quête de l’éveil. Il la décrit ainsi : « un bateau à l’amarre, mollement bercé par les eaux tranquilles du port… » Exactement ce que je ressens. 

 

Tempérance est une école d’endurance et d’intention. L’endurance m’a toujours fait défaut.Plus maintenant ! Voilà 12 ans que je travaille ce site ! Souvent déjà, des maîtres m’ont mis en garde contre l’impatience : « Tu es trop pressé. C’est un gros obstacle que tu mets sur ta route« . Enfant guerrier de mai 68, je veux tout, tout de suite. J’oublie seulement que la quête est un travail sur soi. Un travail de chaque instant, toujours recommencé.

Alors j’attends. Le premier voyage m’a mis la pêche pendant dix jours. Après, Paris m’a cassé. La magie est partie. N’y tenant plus, je propose à Jeff une autre ballade en forêt.
– Je peux prendre trois jours le week-end du 24 juin. C’est bientôt…
– C’est surtout le solstice d’été, me répond-il. Le vrai. Il est décalé de trois jours par rapport au calendrier actuel.
Alors ça sera un voyage solaire, ce coup-ci…
– Pas très lunaire, en tout cas. Ça coïncide avec la nouvelle lune. Les sites seront moins actifs.

Cette fois, je quitte Paris en voiture. L’autoroute jusqu’à Laval. J’ai quelque peine à trouver le chemin du Domaine. Comme tout site qui se respecte, il sait se faire désirer. Je connais mal la route, je n’ai pas de carte détaillée, je tourne en rond. Enfin je retrouve le pont sur la Mayenne. le domaine de Rochefort est juste sur l’autre rive. Mais pas du tout. De l’autre côté il n’y a rien. Le doute s’empare de moi. Aurais-je inventé toute cette aventure incroyable ? Le domaine de Rochefort existe-t-il pour de bon, oui ou merde ? Et mon pote Jeff, se peut-il que je l’ai inventé lui aussi ? Je tourne encore, désemparé, proche du renoncement. En pleine crise de folie ordinaire

Se pourrait-il que ce premier voyage n’ait jamais eu lieu ailleurs que dans ma tête ? Tandis que je roule au hasard, je tombe sur un autre pont que je reconnais aussitôt. C’est celui-là ! Je n’ai pas rêvé. Tout simplement je me suis gouré, mais ça y est, j’y arrive enfin. En franchissant le portail peinturluré, je suis aux anges.

 

 

Jeff douche mon enthousiasme. « La nouvelle lune n’est vraiment pas la meilleure période pour ces promenades. On va dépenser beaucoup d’énergie, surtout moi, sans garantie de résultat. »

Moi j’appelle ça du défaitisme. Pas un instant, je ne doute du résultat. Mais bon. Je suis déjà sous le charme. Jeff sort ses whiskys 16 ans d’âge, en avant la déguste. Un demi-doigt de chaque, dans un verre en cristal taillé… J’adore ce rituel, ça me donne faim. Deux jambons traditionnels nous attendent, d’York et de Bayonne. Jeff m’expose son plan de bataille. Vendredi soir, le 26 juin 1992, trois personnes débarquent au Domaine. Devic, Lama, et Koala.

Je connais Devic depuis la maternelle. C’est un Wotan, un Orson Welles, un ours en peluche, une bibliothèque ambulante, et le plus délicieux compagnon de virées. Organisateur né, plein de ressources et de réserves, il est fort capable, en plein désert, d’exhiber une bibine de votre marque préférée en s’excusant, toutefois,qu’elle ne soit pas assez fraîche. Lama, je la connais aussi. Depuis dix ans, au moins. Un esprit remarquable, une modestie qui ne l’est pas moins. Quant à Koala, je ne l’ai jamais vue. Tout ce que je sais d’elle tient en deux mots : petite amie de Jeff, grande amie de Vic. Ou le contraire…

Bon. Nous avons donc rendez-vous tous les cinq. J’en suis ravi. Mais… en quel honneur ?
Pour former le premier cercle, me dit Jeff. Nous sommes cinq, comme les cinq membres du premier cercle dans l’initiation celte. Quatre guerriers autour d’un mage. Tu sais, poursuit-il, j’avais invité douze personnes ce week-end. Et tu vois : vous ne serez que quatre. Les autres n’ont pas pu se libérer…

Je devrais me réjouir, mais je me méfie. « Jamais je ne ferais partie d’un club qui m’accepterait comme membre« , dit Woody Allen. Et je pense comme lui. Un silence passe comme un archange sur un planeur.
– Si ça peut te rassurer, les autres n’en savent pas plus que toi.

C’est une prise de contact. Personne ne sait ce que ça va donner. Surtout pas lui. Et ça l’amuse ! Jeff adore les impros. Contre toute attente, ça lui réussit. Parfois. On verra ça vendredi. J’ai trois jours devant moi, qui commencent bien. À l’heure du goûter, je me rends au Rocher Bleu. J’en avais envie depuis un moment. Histoire de me retrouver peinard dans ce coin magique, seul.

 

 

Sécheresse oblige : j’ai du mal à localiser le fil d’eau. Manifestement, il ne coule plus. Je reste vingt minutes assis clans la grotte du seuil, juste au point nodal. Il ne se passe pas grand chose. Bien sûr, c’est apaisant, mais le troisième œil ne s’ouvre pas. Légère frustration.

De l’autre côté du jardin, une pente rocheuse attire mon attention. Elle attire mon corps, plutôt. Au bout d’une minute, je n’y tiens plus. Je me lève et marche vers elle. Boudu ! La pente est raide, avec mes sandales de ville, semelles cuir, je n’ai aucune chance de l’escalader. Je zone quand même autour d’elle, comme une mouche autour d’une merde.
– Tu as raison, me dit Jeff en dînant. C’est une pierre bien fascinante : tous les gosses qui viennent ici passent leur temps à grimper dessus…
– Moi, je n’ai pas réussi à y grimper.
– Aucune importance… Elle t’a attiré, tu as senti…
– Un point nodal, c’est ça ? Comme la grotte ?
– Un point nodal, oui. Mais pas comme la grotte. Le contraire. C’est un point qui descend près du zéro Bovis.
– Bèèèrk ! J’aurais dû fuir…
– Non, me dit Jeff, indifférent à mes singeries. Les points négatifs sont aussi utiles que les points élevés. On s’en sert autrement, c’est tout.

 

La chapelle de Pritz

Jeff est discret. Trop. J’ai des questions plein la tête et il répond : « Tu verras le moment venu« . Cette histoire de point négatif, je ne l’ai comprise que deux mois plus tard. Mais comprise avec mon corps. Ça ne s’oublie jamais… C’était à la chapelle de Pritz, près de Laval. D’origine carolingienne8e-9e siècles remaniée au 12e siècle. Jolie fresque murale, en partie effacée. Christophe portant sur son dos l’enfant Jésus. Ce dernier, disproportionné, semble sortir de la fontanelle de Christophe.

La chapelle a le traditionnel plan en croix : la nef et deux absides. Sous l’édifice, plusieurs cours d’eau se croisent à angle droit. Lama et Jeff en ont dénombré sept, quand la nappe phréatique est pleine. Dans une des absides, Jeff m’a fait tenir sur le point nodal. Il vibre à 10.000 Bovis. Ici se tenait jadis le prêtre qui officiait.

Avis aux amateurs : ce point est facile à trouver. Cherchez-le dans toutes les églises, chapelles, basiliques, abbayes, cathédrales construites entre le 12e et le 14e siècles, quand les bâtisseurs des cathédrales possédaient l’art de la construction sacrée. Allez jusqu’au chœur. Le point nodal se trouve devant l’ancien autel. Il est souvent figuré sur le dallage par une rosace, pour aider les curés qui ne sentent plus grand chose. On l’appelle le point autel ou point du célébrant.

Dans l’abside de la chapelle de Pritz, le dallage ne porte aucun repère. Il faut chercher avec son corps. Avec un peu de pratique, c’est un jeu d’enfant. Je m’y suis tenu, poussé vers le ciel par une montée d’énergie scintillante.
– Cette chapelle fonctionne bien, dit Jeff. Mais viens voir par ici… Il y a autre chose.

À trois mètres de ce point, au ras du mur, dans la partie arrondie de l’abside qu’on nomme un cul-de-four, se trouve un autre point nodal. Négatif, celui-ci. Ouah ! Ça déménage ! C’est comme une succion, une aspiration vers le bas. Je me sens dégringoler dans ce vortex. Je ne m’y attarde pas.

 

 

– Pour chaque point du célébrant, on trouve non loin de lui son pendant, le point négatif, dit point dolmen. Celui-ci n’est pas indiqué sur le dallage. Parfois même, les bâtisseurs sacrés se sont arrangés pour le coller dans l’épaisseur du mur. La science sacrée est magique pour ceux qui ne savent plus sentir; pour les autres, elle apparaît d’une précision merveilleuse. Les bâtisseurs savaient comment distendre les réseaux avec leurs arches de pierre. Les cathédrales sont des dolmens géants. Maintenues en tension par le poids colossal de la voûte, elles vibrent vers le cosmos, nettoyant l’espace sacré qu’elles enferment de toute trace de réseaux Hartmann.

Un point dolmen, très négatif, n’est souvent que le croisement de réseaux doubles ou triples. En déplaçant les réseaux sur un vaste espace, les anciens savaient qu’ils créaient un pôle super-négatif, résultant du croisement de multiples réseaux. Ils savaient aussi le situer là où il ne gênerait personne.

Dans le cas de points naturels comme au Rocher Bleu, l’équilibre point autel/point dolmen se retrouve aussi. Un point nodal élevé appelle son contrepoint, proche de zéro Bovis. C’est la roche inclinée qui avait découragé mes semelles cuir.

(à suivre)

 

 

Putain ça penche ! On voit le vide à travers les planches !
Alain Souchon