La princesse en sa tour

 

Quelque part au fond de la noire forêt de toi-même s’élève une haute tour. Tel est son nom, la Tour. On ne peut la voir de loin car la forêt est de haute futaie, toute semée de collines, de falaises et de ravins. Sombre est cette forêt profonde non pour ses maléfices ou pour ses sortilèges, mais parce qu’elle est si dense que la lumière intense de la claire conscience brille par son absence.

 

Au sommet de la Tour, une princesse est captive. Belle comme un soir de mai, triste comme un cœur sans le soleil d’amour, elle attend par tous les temps, elle attend de tout temps depuis la nuit des temps le preux chevalier qui doit la délivrer. La délivrance se fait attendre et son cœur reste à prendre.

Bien des aventuriers et plusieurs princes dépenaillés ont essayé de trouver la forêt. Sans succès. Quelques héros perdus de vue, égarés à côté des sentiers de la gloire, ont cherché la Forêt d’Amour. Des fous comme il y en a toujours. La plupart l’ont trouvée. Ces preux déguenillés ont repéré la Tour. Deux l’ont même approchée. Mais c’était sans compter le gardien affamé. Un dragon attaché à la Tour, à son pied. Un dragon jaloux veille sur la belle. Et les plus hardis se sont fait griller par le feu d’enfer qui sort du gosier. 

Seul le chevalier désigné par le parchemin scellé aux armes du roi son père, noble de sang et de manières, seul ce chevalier-là trouvera la forêt, découvrira la Tour, défera le dragon, délivrera la belle et gagnera sa main. Ce conte pourrait aussi bien s’appeler :

 

Le Chevalier et le Dragon

…puisque c’est le sujet. Je n’ai rien dit ni de la Tour ni de cette pauvre Princesse. Ou pas bésef. On ne la voit même pas sur la photo là-haut. Par quel mystère cette jeune fille est-elle emprisonnée ? Pourquoi son père le Roi ne la libère-t-il pas ? Il a les foies ? Le Dragon lui fait peur ? Il n’a qu’à envoyer son armée en faire de la pâtée. Il l’a envoyée ? Ah bon. Et ? – Toute l’armée a grillé. – Ah merde ! A-t-il essayé d’envoyer de la dynamite ? – Il l’a fait. – Avec une catapulte ? – Oui. Les catapulteurs ont merdé, la Tour a explosé. – Nom de Dieu ! Et la Princesse ?? – Le Dragon n’a rien eu. Sans dire un mot, il a reconstruit la Tour.

D’accord, mais la Princesse ?? – Elle était aux chiottes. Elle n’a rien eu non plus. – Un vrai coup de fion, dites donc ! – Pas sûr. La disparition de la Princesse aurait réglé le problème. – Quel problème ? – Le dragon aurait déguerpi. – Ben pourquoi donc ? – Vous n’avez toujours pas compris ? À votre avis, qu’est-ce qu’il fout là ce Dragon de merde ? Pourquoi ne rentre-t-il pas en Dragonie d’où il est venu ? – Cette connerie ! Il peut pas, il a un fil à la patte.

– Exact ! Mais pas le fil que vous croyez. La chaîne à son pied, c’est bidon. Il est libre comme l’air. Les aventuriers qui l’ont cru en laisse ne sont plus là pour en parler. La chaîne est dans son cœur. Le Dragon est amoureux de la Princesse depuis la première fois qu’il l’a vue toute nue. Elle avait trois mois. Sa mère la Reine était en train de la changer, puis elle lui a donné son bain. Tout le temps qu’a duré la toilette du bébé, le Dragon volait en cercle au dessus de la pouponnière royale pour ne pas en perdre une miette. Et ce qui devait arriver arriva.

– C’est à dire ? – Il s’est mangé un Airbus. – Aïe-aïe ! Ça fait mal ! – À l’avion, oui. Le Dragon n’a rien eu. Juste une grosse baffe qui lui a fait entrer la beauté du bébé dans la tête, dans les poumons, dans le cœur, dans le bide et ailleurs. Depuis lors, où qu’elle aille, le Dragon volait en cercle au dessus d’elle, éperdu d’amour. Le Roi a dû se résoudre à mettre la Princesse loin de son palais, là où le Dragon ne pourrait pas chier sur les passants. Là où des chevaliers et des guerriers seraient ravis d’affronter un monstre pour gagner la main de sa fille. À marier sans dot. Et ça c’est tout bénéfice.

Ou comme dit Xavier

 

 

…C’est gain!

Un Chevalier est donc attendu pour trouver la forêt, découvrir la Tour, bousiller le Dragon et délivrer la Princesse. Si le Chevalier est un Prince, c’est encore mieux, on évitera la mésalliance. Car la Princesse deviendra la légitime épouse de son noble sauveur qui sera couvert d’Or et qui héritera du Royaume.

Quand du Deux vous aurez fait le Un, et du haut le bas, alors vous irez dans le Royaume.

Jésus

 

Pour accomplir cette mission, il faut être motivé par bien plus que l’appât du gain. La Princesse est-elle aussi belle que son père le croit et que le Dragon la voit ? Les mastiffs ne sont pas objectifs, qu’ils soient père ou dragon, de Flandre ou d’Aragon, la dernière souillon en fait deux beaux couillons. La Princesse est surévaluée. L’Or ne suffit pas. Ni le Royaume. Que faut-il au héros pour engager sa vie ?

Il faut avoir compris le plan. Se nourrir des sucs du conte. Il faut voir que le Chevalier n’est qu’un des aspects du Moi. Comme la Princesse. Comme la Tour. Comme le Dragon…

Ce conte de fée ne te parle de rien d’autre que de toi-même. Tout à la fois tu es chacun des personnages. Ils s’invectivent en toi, parfois ils se provoquent. Tu regardes les duels, tu te bats contre toi. Tu t’émeus pour la Belle, l’aimes-tu si c’est toi ? Marrant quand on y pense… tu es ta récompense.

Le Chevalier incarne ton désir d’éveil. Il est mû par de nobles sentiments, un idéal élevé et un profond respect des valeurs positives. Il a pour devise :

 

Agir sans attente

C’est exactement ce qu’il fait. Il agit tant et plus, non de manière compulsive ou irréfléchie, il agit parce qu’il aime ça. Le chevalier n’a pas d’attente, il n’espère nul salaire pour sa peine, quelle peine ? Il aime. Il n’attend aucun résultat. Le résultat est déjà là. Depuis toujours, le résultat se voit comme une force qui va. Il y croit.

La Forêt est le lieu où tu dois exercer tes talents. Ta carrière, ton métier, ton cadre de vie, voilà ce que désigne la Forêt. Avant d’entreprendre la Quête, il te faut trouver ce cadre de vie, ce chemin professionnel qui sera ton yoga. Quoi que tu fasses, fais-le avec cœur. Ne fais rien pour de l’argent. Fais pour le plaisir, pour apprendre, pour le goût de donner. S’il y a quelque argent par dessus le marché, empoche l’aubaine et dis merci. Cet argent servira ta Quête. Avoir pour agir, et non agir pour avoir.

Ton idéal n’est pas d’amasser. Laisse cette chimère aux matérialistes. Ils croient que l’argent fait le bonheur. Oui, mais il fait surtout le bonheur des autres. L’argent que tu donnes illumine ton chemin. Oublie ce que fait ta main droite, ne te soucies pas de tes mérites, la Force s’en fout. L’Énergie s’en tape. L’Intention s’en branle.

N’attends nulle récompense de tes actions. Est-on sûr qu’elles soient bonnes ? Agir sans escompter aucun résultat. Mais tu dois agir quand même en sachant cela.

La Tour est le temple de ton corps où l’Esprit divin va s’incarner. Le Dragon est ton ego, dominateur, destructeur, autoritaire et arbitraire. Il faut t’y faire. La Princesse si belle, si triste dans le prison de son corps qui dort encore, elle s’épanouira quand tu seras délivré(e) du redoutable…

 

…Gardien du Seuil

Franchir le Seuil c’est faire un pas dans l’autre monde. Qu’est-ce qui te retient ? Le Gardien. Qui est le Gardien ? Ton ego. Pourquoi s’oppose-t-il à ton évolution vers la lumière ? Il sent venir sa fin. L’ego est la seule partie de l’être qui ne soit pas soluble dans l’éveil.

Dès que l’ego revient pour prendre les commandes de moi-même, l’Esprit s’envole hors de mon corps, je ne suis plus éveillé. Pour ce que j’en ai vu et vécu, l’éveil n’est pas gagné pour toujours. Il va et vient. On ne sait jamais s’il sera là demain.

J’ai connu une brillante sorcière qui devenait la plus stupide connasse dès qu’elle regagnait la réalité ordinaire. Elle n’avait aucun souvenir de son autre personnalité, persuadée au contraire que je lui contais des conneries. Il faut l’avoir vécu pour mesurer le choc qu’on éprouve face à la schizophrénie, la première fois qu’on la voit. Depuis j’en ai vu bien d’autres…

C’est là toute la difficulté des trips dans l’autre monde. Le vol astral est grisant surtout si on s’en souvient en rentrant. Rêve et réalité, les deux mondes sont séparés pour tous. Seuls certains d’entre nous peuvent passer de l’un à l’autre. Deux sortes de gens : les sorciers et les fous. D’ailleurs s’agit-il de deux sortes ? Tous les fous sont des sorciers. Et vissez vers ça.

 

Petit Malin prend son reflet pour double, son costume pour pouvoir et son ego pour âme. Petit Malin est si crétin, comment donc est Petit Crétin ?

 

Quand tu auras désappris d’espérer, je t’apprendrai à vouloir.
Sénèque