En 1992, ce journal raconte mon premier contact avec l’autre monde… et ce qui s’en suivit.

– Chapitre 4 –

Jeff et moi, nous n’en avons pas fini avec cette magnifique allée couverte de la Roche aux fées. Sous sa direction, je vais retrouver dans la mémoire des pierres comment ce monument a été construit. Et surtout une jeune femme celte avec un rituel qui décoiffe… Ma vision se poursuit sous la voûte du mégalithe. Un jeune initié jailli du fin fond du passé semble exercer son ascendant sur les fidèles assemblés autour du monument.

Désamorcer la nef

Soudain tous les fidèles sont terrifiés. Pétrifiés. Un lourd galop se fait entendre au loin. Une troupe armée s’approche. Hostile. Elle vient ici. Que cherchent ces tueurs ? Les fidèles le savent, le jeune christ aussi. J’essaie de lire dans leurs pensées. Ils ont peur des barbares. Le temple et sa grande magie ne doivent pas tomber entre leurs mains. Ces horribles pourraient en faire un usage désastreux. Ils se rapprochent. J’entends déjà hennir les chevaux. Les fidèles sont tendus vers l’initié.

Les barbares sont là. Je n’ai pas besoin de sortir physiquement pour les voir. Ma conscience va où je la guide. Dehors, il y a une vaste clairière, limitée par un chemin circulaire. C’est le second cercle. Il est sacré. Juste après lui, à l’orée de la forêt, les guerriers sortent des arbres. Ils encerclent le monument. Les fidèles sont graves. Le silence pèse. Il est temps.

Le jeune saint prend une décision qui lui déchire le cœur : il faut désactiver ce temple. En casser une partie, pour lui ôter sa pleine opérativité. Aux yeux de l’initié, c’est une nécessité. Aux yeux du jeune homme, c’est un crime. Mais il faut s’y résoudre.

Sur son ordre, les fidèles sortent du temple. Ils entament une procession, une danse très lente. Ils tournent autour du monument, si sereins que les barbares reculent sans les toucher. Ils font de la musique. Bouche fermée, sans instrument. La musique sort d’eux comme une vapeur. Et deux pierres se couchent.

Une sorte d’explosion silencieuse. Irréelle. De part et d’autre de la nef, les deux portes des initiés sont soufflées. La porte du nord se couche sur place. Celle du sud est projetée à plusieurs mètres du monument. Un vol plané au ralenti. Elle est retombée sans bruit. Elle est restée à la même place jusqu’à nos jours. Sa jumelle aussi, toujours couchée dans la nef. Les témoins d’une énergie capable de souffler deux mégalithes comme des fétus de paille.

Les portes des initiés

De part et d’autre du temple, ces pierres formaient jadis deux étroites ouvertures. S’y glissaient les initiés. Seuls les néophytes passaient par l’entrée principale. On retrouve ces portes des initiés dans toutes nos vieilles églises. Mais on ne sait plus s’en servir. A l’époque, ils savaient. Les portes des initiés scellent la puissance du lieu. Privé de ses portes, le temple est désactivé.

Au moment précis de l’explosion silencieuse, une autre explosion s’est produite à la source de cette colossale énergie. Le cœur du jeune initié n’a pas tenu. J’ai vu l’adolescent s’écrouler, mort. II est tombé comme un sac et gît, disloqué, sur le sol.

L’assistance est en deuil. Les pierres du temple s’imprègnent de la douleur collective. On dirait qu’elles pleurent avec les hommes. Ainsi font les pierres. Elles engramment la souffrance et nous la communiquent par-delà les âges. Magnétoscopes, elles enregistrent les images et les sons. Vivantes, elles mémorisent les émotions.

Que font les barbares ? Ils sont médusés. Inoffensifs. La horde féroce est au musée Grévin. Vaincue sans combattre. Le temple qu’ils convoitaient a perdu son pouvoir. La mort du jeune initié les accable encore plus.

Pour tous, amis comme ennemis, ce personnage revêt une importance exceptionnelle. Son corps est resté sur la terre du temple, désarticulé, comme il est tombé. Personne n’ose entrer dans la nef où fume la poussière.

Dehors, pêle-mêle, les fidèles et les guerriers restent massés sur le second cercle. Personne ne fait les quelques pas qui le séparent du monument sacré…

Rêver ensemble

Cette histoire m’a complètement retourné. J’ai besoin de prendre l’air. On sort dans la prairie fumer une cigarette. Échange d’impressions. Confirmation : Jeff a tout vu. Comme moi. Mieux peut-être… Nous avons rêvé ensemble. Comme Don Juan et Castaneda. Une autre réalité. Issue du passé lointain. Ou d’ailleurs ? Mais réelle, aussi palpable que l’herbe douce. Vraie comme la vie.

Une vision holographique, avec son stéréo, sensation tactile et odorante, lecture des pensées et des émotions. Aucun rapport avec un rêve ordinaire. Est-ce cela rêver ?

Dis donc ? Si le temple est désactivé, pourquoi il marche encore?
– Va voir l’arche d’entrée, dit Jeff.
– Le trilithe ?
– Ces trois pierres sont arasées sur toutes les faces, contrairement aux autres. D’un travail beaucoup plus récent. Je dirais 1500 avant J.C.Jules César ? Ceux qui les ont dressés se sont donnés bien du mal pour restaurer l’allée couverte. A leur manière, ils ont réussi. Le temple a retrouvé une partie de son opérativité.

Pierre qui vole

De retour dos à ma pierre, dans la même position que tout à l’heure, je l’interroge sur son origine.  » Comment ce temple a-t-il été construit ? Et par qui ? «  Cette énigme me trotte en tête. Des blocs qui pèsent de quinze à quarante tonnes ! J’ai besoin de savoir…
 
Je vois des personnages au corps un peu flou. Un mégalithe énorme est couché sur le sol. Vu sa taille, il fait dans les vingt tonnes. Des enfants l’entourent. Une douzaine. Ils posent leurs paumes bien à plat sur la pierre, les doigts écartés. Ils sont sérieux, absorbés, mais sans tension ni concentration particulière. Une tâche habituelle qui pourtant semble facile pour eux.

Facile ?! Sans effort apparent, ils sont en train de déplacer l’énorme pierre. Elle oscille, en suspension à quelques centimètres du sol. Posées sur elle, les jeunes mains le guident comme un vulgaire ballon de baudruche. Cette pierre est en apesanteur !

Alors Jeff intervient :
– Il y a un homme avec eux. Cherche-le. Tu peux le voir ?
– Non, je ne le vois pas. Mais je sens sa présence, réponds-je.

Le son qui ôte le poids

Cette fois encore, j’ai l’impression d’être un objectif photo qui a besoin de focaliser… et une image surgit. Se précise. Celle d’un homme.
– Oui, je le vois maintenant !
– Que fait-il ?
– Il gonfle ses joues, dis-je avec stupeur. Il fait de la musique.
– Avec sa bouche ?
– Non (stupeur), la musique sort de sa fontanelle !
– C’est ça, réplique Jeff. C’est tout à fait ça… Figure-toi qu’en 1986, le pape a réuni à Assise des représentants de toutes les religions. Et dans la cathédrale,alors qu’ils méditaient, tous ont entendus ce même son. Il sortait de la fontanelle d’un moine zen !
 
Alors, physiquement, je commence à entendre le son. Un bourdonnement, avec des harmoniques parfaites. Le timbre inconnu d’un instrument à cordes frottées, quand toutes les cordes sonnent ensemble. Une musique atonale, intemporelle. Jeff l’entend aussi distinctement que moi. Dire qu’on n’a pas d’enregistreur !
 
Question : dans cet environnement de campagne bretonne, d’où peut sortir un tel bruit ? Pour toute réponse, la musique soutenue se poursuit, profonde. Jusqu’au départ. Une sensation ouatée, inoubliable. Le plus beau cadeau de cette visite qui m’en a fait beaucoup…
 
Le lendemain matin, on y revient. Deux boulistes nous ont devancés. Ils tapent la pétanque sur la prairie. Un dimanche à 9h du mat ! On croit rêver…
Jeff s’adosse au vénérable châtaignier. Il lui demande une demie-heure de tranquillité.
– Les arbres-gardiens ont ce pouvoir. Quand on leur demande gentiment, ils arrivent toujours à éloigner les gêneurs.
 
 
Un bruit de moteur qui démarre : les boulistes s’éclipsent sans faire de vagues. Merci, le gardien.

La grotte sexuelle

La paix dominicale m’offre une nouvelle vision. Invisible, omniprésent, j’assiste à la scène et je lis dans les crânes. Une jeune femme s’approche du temple. Cheveux bruns tressés, piqués de minuscules fleurs bleues. Des myosotis. Elle n’a pas d’autres ornements. Elle porte une tunique très courte, blanche, qui met en valeur ses épaules et ses jambes bronzées.
 
Sa démarche est souple,silencieuse. La tête droite, les reins cambrés. Une reine. Je l’appellerai Féline. Cette fille est celte. Beaucoup plus proche de nous que l’initié. Féline se rend au temple, comme tous les mois, car ses règles sont proches. Elles viendront dans quatre jours. La lune lui a dit.
 
Souple comme un chat, elle fait le tour du temple. Elle entre dans le narthex. Puis dans la nef. Elle va s’accroupir dans la première chapelle latérale. Les femmes ne vont pas plus loin. Le chœur est réservé aux initiés masculins. Cette chapelle est pour les femmes. Jeunes ou vieilles, belles ou laides, saines ou malades, elles y vont toutes. Et toutes au même moment du cycle menstruel : quatre jours avant les règles.
 
Il se passe alors quelque chose de particulier dans le corps féminin. Une importante modification hormonale. Ce jour-là, les femmes sentent et voient mieux que quiconque. Elles expérimentent des états de conscience extrêmes qui leur restent normalement inaccessibles.
 
Essayez donc, les filles. Soyez précises : quatre jours avant. Ça marche toujours. Sauf si on n’y croit pas. Ou plutôt, ça marche quand même, mais on ne le voit pas. On se dit : « Je me suis fait des idées, tout ça,c’est mon imagination » et autres blocages.
 
Ça remet dans le droit chemin de la conscience ordinaire. Ça rassure. On retrouve le quotidien archiconnu. Il est chiant comme la pluie mais au moins il ne fait pas peur. On est tellement coincé dans le mental. On pue de la tête. Tant de merveilles dont on se prive !
 
Comment faire entrer le vaste monde dans notre petit cerveau ? En se creusant la tête, on y arrive. On y croit. On se coule dans le moule. « Nos sens nous trompent. Je pense donc je suis. » Merci Descartes. Il a des excuses, il était stone. Moi je dis « La tête nous tue. » Et Jeff ajoute : « Écoute ton corps. Il sait.« 
 
Dans la chapelle, Féline est assise. La nuit tombe. Bientôt la lune sera levée. Et la transe descendra. Le dos contre la roche, les pieds et les fesses au sol, les cuisses écartées, elle attend. Elle contemple une pierre levée.
 

Amanite et Datura

Au village, Féline a bu une drogue. Amanita muscaria ou Datura stremonia. Elle s’en sert pour voir plus loin. Plus fin. Longuement, sans hâte, elle fait le vide dans sa tête et dans son corps. Elle attend d’être emplie de lumière. Elle attend la lune.
 
Les heures passant, elle est prête. La transe vient. Elle la sent dans son ventre. Elle perçoit les champs d’énergie par le vagin. Son sexe est une antenne. Un émetteur-récepteur. Les bras levées, toujours assise, la femme danse pour la pierre levée. Je vois son corps qui ondule. Qui se donne.

Alors la pierre penche vers elle. La femme frémit. La pierre, menaçante, la domine comme pour l’écraser. Puis elle se redresse, et la femme s’épanouit. Ses bras s’envolent, serpents charmés. L’énergie qui l’unit à la pierre branlante est un flux phosphorescent. Une toile que la femme tisse avec son corps. Et la pierre penche. Se redresse. Penche encore.

À cet endroit, la voûte du mégalithe laisse voir un triangle de ciel. Quand la pierre penche, elle cache le triangle. Quand elle se redresse, elle montre le ciel. Et la pleine lune s’encadre dans ce triangle. Nuit noire, clair de lune, nuit noire. Ombre et lumière. La transe bat son plein. La forme de ce triangle, sexe féminin sertissant la lune, tel un écrin mouvant… L’oscillation phallique de la pierre sur la femme… La position adossée, cuisses ouvertes… Le rôle des règles… Les perceptions vaginales… Tout indique le pouvoir sexuel à l’œuvre dans ce rituel.

 
Je me suis assis au même endroit, dans la même position qu’elle. Ainsi je peux voir avec tout mon corps. Mais je suis un homme. Soudain je ressens cette évidence stupéfiante. Dans la peau de mes couilles. Quoi de si étonnant, au fait ? C’est à l’aide des sensations de son vagin que la femme dirige sa transe et bouge la pierre. Écouter son corps…
 
A quoi sert ce rituel ? Difficile d’en juger. Le vécu sexuel de ces lointaines époques est bien différent du nôtre. Pour comprendre ce que cherchait cette femme, je dois me contenter d’analyser l’image. Les allées couvertes sont des grottes sacrées. Elles incarnent les symboles telluriques, féminins, magnétiques, tandis que les menhirs travaillent les forces cosmiques, masculines, électriques. Les deux symboles se retrouvent ici. Une pierre levée dans une grotte… Lingam dans Yoni
 
La chose n’est pas rare. Ni celte. A Amarnath, dans l’Himalaya indien, un pèlerinage shivaïte attire chaque année des milliers de fidèles. Trois jours de crapahut, un col à 5000 mètres, pieds nus dans les neiges éternelles. Et là-haut…
 
 
 
Xavier Séguin

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