Il y a ceux qui sont au pouvoir, et ceux qui ont le vrai pouvoir. Carlos Castaneda ne s’intéresse pas aux premiers. Il ne fait pas de politique. Quant aux seconds, il les appelle des hommes de pouvoir. Il y a deux anneaux de pouvoir. Tout le monde porte le premier. Le second est l’apanage des sorciers. Porter le second anneau de pouvoir signifie être seul. Comme Frodon.
Mais contrairement à ce que nous raconte J.R.R. Tolkien dans son Seigneur des Anneaux, les deux anneaux de pouvoir dont parle Castaneda ne se mettent pas au doigt. Don Juan Matus, le benefactor de Castaneda, nous explique ce qu’il faut entendre par anneaux de pouvoir.
Don Juan disait que le cœur de notre être était l’acte de percevoir, et que la magie de notre être était l’acte de prendre conscience. Pour lui, perception et prise de conscience formaient une cellule fonctionnelle unique, compacte, une unité qui avait deux domaines. Le premier était « l’attention du tonal » c’est à dire la capacité des gens ordinaires de percevoir et de situer leur conscience sur le monde ordinaire de la vie quotidienne. Don Juan appelait également cette forme d’attention notre « premier anneau de pouvoir », et il le décrivait comme notre capacité – formidable mais tenue pour banale – de mettre de l’ordre dans notre perception du monde quotidien.
Le second domaine était « l’attention du nagual » ; c’est à dire la capacité des sorciers de placer leur conscience sur le monde non ordinaire. Il appelait ce domaine de l’attention « le second anneau de pouvoir », c’est à dire la capacité tout à fait prodigieuse -que nous avons tous, mais que seuls les sorciers utilisent- de mettre de l’ordre dans le monde non ordinaire. (source)Carlos Castaneda, Le second anneau de pouvoir, Gallimard, p. 225
On a compris que le premier anneau est porté par tous les humains. Il se pratique depuis l’enfance. Dans les premières années de la vie, le jeune enfant perçoit indifféremment avec l’un ou l’autre anneau. Sa mise en forme du monde ordinaire n’est pas faite. Il navigue dans tous les mondes possibles avec une égale aisance, mais il n’est pas capable de les différencier. La fixation de son attention sur le premier anneau de pouvoir est l’œuvre de l’éducation. Le contact permanent avec d’autres humains, ses parents, ses frères et sœurs, l’école maternelle vont parachever sa mutation. L’éducation nationale appelle ça la phase de socialisation et elle y attache beaucoup d’importance. Moi j’appelle ça entrer dans le moule. Vers l’âge de quatre ans au plus tard il aura perdu sa faculté d’assembler d’autres mondes en utilisant la seconde attention.
La magie se referme, il faut apprendre la vie ordinaire. Car la seconde attention – ou second anneau de pouvoir – n’est utilisée que par les sorciers du nagual. Et par les très jeunes enfants. C’est comme ça. Bien sûr, il ne tient qu’à tous de s’en servir, mais la capacité de fixation sur la première attention est si forte que seuls ceux qui suivent un entraînement spécial, intense et prolongé, ont une chance d’y parvenir. À la longue…
Notre premier anneau de pouvoir est impliqué très tôt dans notre vie. Nous vivons sous l’impression que c’est tout ce qu’il y a pour nous. Notre second anneau de pouvoir – l’attention du nagual – reste caché pour l’immense majorité d’entre nous. C’est seulement au moment de notre mort qu’il nous est révélé. (source)d’après Castaneda, Le second anneau de pouvoir, op. cit.
Il existe cependant une voie pour l’atteindre. Elle est à notre disposition à tous, mais seuls les sorciers la suivent. Cette voie passe par le « rêve« . Inutile de préciser qu’il ne s’agit pas du rêve ordinaire, mais de l’art de rêver des sorciers yaquis. C’est la pratique assidue du vol du guerrier. C’est transformer des rêves ordinaires en événements impliquant la volonté. (source)d’après Castaneda, Le second anneau de pouvoir, op. cit. On peut parler du rêve conscient, mais l’art de rêver est bien davantage. C’est l’art de diriger son rêve et d’en faire une réalité plus réelle que la vraie. C’est le contrôle du rêve qui fait entrer le guerrier dans l’autre monde, le monde de la folie contrôlée.
La folie contrôlée est la voie du milieu entre raison pure et folie totale. Faut-il agir sur soi et sur les autres pour y parvenir ? Oui, c’est indispensable. A-t-on le droit de le faire ? Oui, s’il s’agit de soi-même. Et oui aussi, s’il s’agit d’un autre, car la personne visée est protégée par son libre-arbitre. Même si vous agissez à son insu, elle reste libre d’accepter ou de refuser votre influence, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Que peut-on attendre comme résultat de nos actions ? Aucun. Mais on doit agir tout de même. « Tous nos actes sont inutiles, et malgré tout nous devons faire comme si nous ne le savions pas. C’est ça la folie contrôlée du sorcier. » (source)
L’arme que le guerrier doit fourbir sans cesse est sa volonté. Elle est le précieux auxiliaire de l’intention. « Je continue à vivre parce que c’est ma volonté. J’ai maîtrisé ma volonté toute ma vie pour qu’elle soit claire et parfaite. Maintenant il ne m’importe plus que rien ne soit important. Ma volonté contrôle la folie de ma vie. » (source)
Malheureusement ce contrôle prend trop d’énergie. Le plus puissant des guerriers n’a pas assez de pouvoir pour maintenir durablement sa folie contrôlée. Sans ce contrôle, la folie n’est plus contrôlée. Le guerrier sombre dans la démence. Maintenir en place la seconde attention demande une grande quantité d’énergie. Seul le Nagual et la femme Nagual disposent de ce pouvoir-là. Il est vrai que les enfants l’ont aussi, dans leur premier âge. Ils ont toute l’énergie pour ça. Mais ils n’ont pas la volonté assez ferme ni l’intention assez claire pour diriger leur rêve.
La meilleure façon d’obtenir de l’énergie, c’est de faire pénétrer le soleil dans ses yeux, surtout l’œil gauche. Don Juan a enseigné à Carlos la manière de procéder. Il s’agit de déplacer lentement la tête d’un côté à l’autre, tout en prenant la lumière du soleil avec les yeux mi-clos. Cet exercice est dangereux. Si le guerrier ne l’accomplit pas correctement, avec un parfait sens du timing et toute la modération nécessaire, il risque de se brûler la rétine et peut en devenir aveugle.
Juan Matus disait qu’on pouvait utiliser non seulement la lumière solaire mais n’importe quelle lumière susceptible de frapper les yeux. (source)Castaneda, Le second anneau de pouvoir, op. cit. Là encore, choisir soigneusement la source lumineuse. Certaines lampes comme les ampoules au sodium ne peuvent être regardées à l’œil nu. Elles demandent des lunettes de protection sous peine de causer de sérieux dommage à la vision.
Il est évident que ces indications ne sont pas des conseils. Il est clair dans mon esprit qu’elles ne s’adressent pas aux personnes ordinaires, mais seulement aux guerriers, ceux et celles qui ont fait le choix de vivre selon la Règle non-écrite évoquée dans tous les ouvrages de Carlos Castaneda.
« Nous ne choisissons qu’une fois, dit Juan Matus. Nous choisissons soit d’être des guerriers, soit d’être des hommes ordinaires. Il n’existe pas de seconde possibilité de choisir. Pas sur cette terre. » (source)Castaneda, Le second anneau de pouvoir, op. cit.
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