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Le pèlerinage d’Amarnath

Inde 1975

 

Amarnath est la grotte sacrée d’où Shiva a créé le monde. Tous les shivaïtes de l’Inde font ce pélerinage au moins une fois dans leur vie. Chaque été, entre la pleine lune de juillet et celle d’août, des milliers de pèlerins se lancent à l’assaut des cimes himalayennes avec un équipement insuffisant, sinon absent. À 5000m dans les neiges éternelles de l’Himalaya, nous étions en tee-shirt et en tongs!

 

Pahalgam

Cinq jours aller, cinq jours retour, de Pahalgam à Amarnath, voilà dans quelle aventure l’ami Gilles nous entraîne, Micha et moi. Dix jours à crapahuter dans ces incroyables montagnes de l’Himalaya, sans porteurs, sans tente ni duvet montagne, sans équipement, les pieds nus dans des tongs, en short et tee-shirt dans la neige au passage d’un joli col à 5000 m. On ne savait pas que c’était impossible, alors on l’a fait. Comme des centaines d’Indiens à peine mieux lotis que nous. Tout ce beau monde escalade des falaises, traverse des névés, bivouaque dans des villages de toiles répartis sur le trajet.

C’est épuisant, souvent dangereux, toujours exaltant. Bom Shankar m’a trop alléché, je voulais absolument voir ce lieu magique, tout au bout du parcours, la fameuse grotte au lingam de glace où Papa Shiva aurait créé le monde. Gilles a tout de suite été partant. À ce que j’ai cru comprendre, il était prêt à y retourner chaque année au cœur de l’été, puisque c’est le seul moment où la haute montagne est accessible. Dans mon souvenir, ça reste le temps fort de ce voyage.

 

Aksa Lodge

Les rencontres sont innombrables, incessantes. Parfois exaltantes, voire stupéfiantes. Je me souviens de ce baba allemand rencontré à Pahalgam, dans une sorte de pension de famille baptisée Aksa Lodge. Je crains qu’elle n’existe plus aujourd’hui. Ce grand gaillard avait les cheveux très courts, et sur le sommet de son crâne circulait un lacis de bosses de la taille d’un doigt, serpentant, s’agitant parfois au rythme de l’émotion du gaillard. 

Il s’est assis en lotus, il a fermé les yeux puis il est entré en méditation, au bord de la transe profonde. Alors le plus incroyable est arrivé. Les gros spaghettis de son crâne se sont mis à grouiller, et un son incroyable est sorti de sa tête. Un son lointain, nasillard. Le type gardait les yeux fermés, il était très loin de nous. Je suis resté un bon quart d’heure à fixer les reptations de ces chenilles tonsurées. J’étais totalement captivé par les mouvements qu’elles faisaient et le son profond, irréel, qu’elles semblaient émettre. J’avais taquiné le charras, je l’avoue. Comme tous les jours. Mais aussi bon soit-il, ce shit n’est pas hallucinogène.

Un autre souvenir étrange, quoique plus trivial. Les chiottes. Elles étaient à l’extérieur, dans une petite guérite en planches disjointes. Il y avait un trou dans le plancher par lequel on pouvait voir le sol rocheux trente mètres plus bas. Le chiotte était à flan de falaise. Je n’avais pas remarqué avant d’entrer, et ça m’a fait un choc. L’avantage, c’est que les odeurs restaient en bas de la falaise, avec le reste. Mais je dois dire que faire ses besoins dans ces conditions extrêmes n’allait pas de soi…

 

 

À l’indienne

Les Indiennes ont une singulière coutume en la matière. Au petit matin, on les voit s’éloigner du village et dans la prairie, esquisser un pas de danse, sauter en tournant sur elles-mêmes. Quand elles retombent sur le sol, leur sari s’est gonflé comme une corolle et sous cette tente improvisée, elles peuvent pudiquement soulager leur vessie. Ou même pire. On peut voir toutes ces fleurs humaines parsemant avec grâce la prairie, on voudrait applaudir leur ballet… mais on se retient ! C’est un spectacle bien poétique que j’ai encore dans l’œil après toutes ces années.

Le départ d’Aksa Lodge marque le début du pèlerinage. Nous quittons la civilisation pour monter vers l’inconnu. C’est l’aurore. Gilles a fait l’emplette de deux gros sacs de graines et de fruits secs qui seront notre menu de base pendant les dix jours qui vont suivre. Il faut marcher d’un bon pas, car les étapes ont une longueur fixe. Il est impératif d’atteindre chaque soir un village de toile, si l’on ne veut pas dormir à la belle étoile. Et plus on monte, plus les nuits sont glaciales. Surtout quand on n’a pas d’équipement adapté…

La première journée de grimpette sera donc plutôt physique. On ne s’arrête que quelques minutes toutes les heures. Quand on a la chance de rencontrer une chute d’eau, à la douche ! Et on repart aussi sec, complètement trempés. Le soleil d’Inde a tôt fait de nous sécher.

Nous avons renoncé au slip occidental pour celui qui est traditionnel ici : une simple bande de tissu de coton sans ourlet, qu’on passe dans une ceinture du même matériau. Économique, simple à laver, seul inconvénient de ce string typique, la bande de coton se roule et rentre dans le sifsillon inter fessier, autrement dit l’arrêt d’Éphèse. Et ça m’est très désagréable. Mais à Rome, on fait comme les Romains…

 

D’où nous venons?

Vers le soir on arrive au premier relais d’étape. Plusieurs tentes vastes et confortables tiennent lieu d’hôtels. Comme nous sommes les premiers arrivés, nous avons droit aux honneurs : dîner de curry au Kashmiri masala, chapatis très chauds, thé idem, et puis sous les couvertures pour un dodo bien mérité. Tout ça pour quelques roupies. À peine couchés, surprise : des doigts experts nous font un massage du crâne ! C’est compris dans l’hébergement, et je dois dire que ça aide à trouver le sommeil. Nous sombrons avec délice dans les bras de Morphée.

 

 

Au matin, chapatis encore, et on prend la route. Nous ferons notre toilette au premier torrent de montagne. Le chemin est facile à repérer : il n’y en a qu’un. Impossible de se tromper. On croise des pèlerins qui redescendent vers la vallée. À chaque rencontre, on s’arrête, on se salue longuement et les questions fusent. Toujours les mêmes. Il y en a une, immanquable, qui m’amuse beaucoup : « D’où venez-vous ? » 

Eh bien on vient de Pahalgam. Forcément, comme tout le monde. Il est impossible de venir d’ailleurs. Sur ce chemin, on ne peut que monter de Pahalgam, ou descendre d’Amarnath. Pas de mystère. Gilles me remet à ma place. « Pas cool. Tu te fous de leur gueule, Xavier. Ils te demandent de quel pays tu viens. Tu n’as pas l’air d’un Indien, et ça les intéresse. Il y a ici des gens qui viennent du monde entier. »

Merde alors ?! C’est moi le con joli, dans l’histoire. Les rencontres suivantes se passeront mieux. On prend le temps de s’asseoir, on parle de la France, de l’Europe, tout en faisant circuler l’inévitable shilom. 

 

– Cabri !

L’après-midi du troisième jour de marche, nous sommes très haut dans la montagne. Sur les pentes abruptes, un gamin court après ses chèvres. À cette altitude ? Il n’y a plus d’herbe, plus de buisson, plus d’arbre, on voit passer des Kashmiris chargés de fagots et de branches pour alimenter les feux des relais et d’Amarnath. La roche est nue. Des éboulis, des filets d’eau en cascade, et tout à coup voilà ce petit berger avec ses chèvres. Surréaliste !

Il vient vers nous. Vêtu de haillons — je devrais plutôt dire : dévêtu de haillons. Dans sa main une orange. Il l’épluche et sans hésiter la partage en quatre. Un quart pour Micha, un quart pour Gilles, un autre pour moi et le dernier pour lui. « Tu vois, dit Gilles, ce gosse n’a rien. Juste cette orange. Il n’a pas hésité à la partager. Voilà l’hospitalité, la vraie. Celle qui vient du cœur. » J’y pense encore aujourd’hui. Quel amour, ce petit chevrier ! Suis-je prêt à partager tout ce que j’ai avec le premier venu ? 

En ourdou, Gilles lui demande son pays. Il répond : « Cabri » en montrant son petit troupeau. Je suppose qu’il n’a pas compris la question. Gilles me détrompe. Il y a trois pays qui se touchent ici. Cet enfant ne sait pas auquel il appartient, ni dans lequel il se trouve en ce moment. D’ailleurs il s’en fout. Son pays, c’est là où le mènent ses chèvres. D’où sa réponse, « cabri ».

 

 

Le col qui tue

On arrive sur une prairie d’herbe épaisse qui fait penser aux alpages. des chevaux sauvages s’y promènent le long de sentiers, tout un lacis de chemins étroits qu’ils ont creusé à force d’y passer. À certains carrefours, il y a un poteau avec une pancarte écrite en hindi. Le plus drôle, c’est de voir un cheval s’arrêter devant les pancartes, lever les yeux comme pour les lire, et reprendre son chemin sérieux comme un pape. Je me dis que c’est un village pour chevaux sauvages. Trop beau.

Le quatrième jour, nous arrivons dans la zone des neiges éternelles. Elles sont réduites en cette saison, la seule de l’année où l’accès est praticable. Nous sommes quand même obligés de traverser un névé où nos tongs (!) glissent dangereusement. Nous nous mettons nus pieds pour éviter une chute mortelle dans le gouffre. Gilles nous annonce que nous allons passer un col à 5000 mètres d’altitude. Plus haut que le Mont Blanc !

La neige est profonde où s’enfoncent nos pieds nus. C’est moi qui ferme la marche. Plus on s’approche du col, plus la grimpette est dure. Je suis à la traîne, et je n’y peux rien. J’ai le souffle court. Mon cœur bat la chamade. Mes pieds pèsent une tonne, je ne peux plus les soulever. La tête me tourne. Je m’écroule dans la neige. Micha me regarde en souriant. Gilles se retourne vers moi. Ils s’imaginent que je déconne, comme ça m’arrive souvent. Mais non, je suis vraiment au bord de la syncope.

 

Fourmis

En voyant leur mine réjouie, le démon de la déconne me reprend malgré mon malaise. À plat ventre dans la neige, j’étends le bras vers eux et je m’écrie : « Abandonnez-moi là, je retarde votre marche ! » Longtemps j’ai attendu mon heure : depuis des années j’avais envie de dire ça. Je suis content de moi. Ils reviennent sur leurs pas, m’entourent de soins affectueux. Je bois un coup, je grignote quelques graines de cajou.

Le moral revient. Mais ils vont m’aider à franchir le col. Dès que nous descendons sur l’autre versant, je retrouve ma forme intacte. Eux deux ne semblent pas avoir souffert du tout. J’ai compris : je viens d’atteindre ma limite d’altitude. Nous en avons tous une. La mienne est à 5000 mètres.  Heureusement le plus dur est fait : Amarnath culmine à (seulement !) 4500 mètres. Ça ira pour moi.

Quelles montagnes grandioses !  Nous venons de franchir un col à 5000m — donc plus haut que le point culminant des Alpes, le Mont Blanc et ses 4807m. En passant ce col, des sommets nous dominaient encore de 3000 mètres. L’impression d’immensité est indescriptible. Elle renforce du même coup le sentiment de notre petitesse. Dans ces étendues ahurissantes, les êtres humains se sentent comme des fourmis sur le mont Saint Michel. 

La nuit suivante, on a trop bien dormi. Le lendemain, départ aux aurores, Amarnath nous attend !

 

 

Un minuscule troupeau

L’ultime étape se déroule comme dans un  rêve. D’ailleurs c’en est un. Nous attendait une surprise de nature à me faire oublier ce col que j’ai eu tant de mal à franchir. L’altitude, je la préfère en astral !

On s’est arraché de nos couches peu avant le lever du soleil. Comme chaque matin, nous sommes les premiers à quitter le village de toile. Le chemin – le raidillon devrais-je dire – est désert à cette heure. Pourtant sur l’autre versant j’aperçois un minuscule troupeau de chèvres pas plus grosses qu’un insecte. Sans leurs gambades, je ne les aurais pas remarquées. Là, derrière elles, trotte un chevrier. Notre ami de l’autre jour ? C’est possible. À vol d’oiseau, il est à un kilomètre de nous. Mais s’il fallait le rejoindre, ça nous prendrait la journée.

 

– Au moins deux jours de marche, tu veux dire, corrige Gilles. Tu as vu la profondeur de cette gorge ?
Effectivement, la faille qui nous sépare dégringole jusqu’à une étroite vallée qu’il faudrait atteindre au péril de nos vies avant de grimper la falaise d’en face. Comment font ces gamins ? Ils ont la même agilité que leurs chèvres, et comme elles, ne connaissent pas le vertige.

– Si ça se trouve, il n’est plus en Inde. La frontière doit passer par ici, je ne sais pas où.
Un paquet de frontières, en fait. Celle de la Chine au nord, celle de l’Afghanistan à l’ouest et entre les deux celle de l’URSS – aujourd’hui celle du Tadjikistan.et non pas Talvikistan! On peut même ajouter le Pakistan au sud ouest. Plus loin vers l’est, la frontière népalaise. Comme on s’en doute, ce carrefour en haute montagne est le lieu de toutes les contrebandes.

 

Les gardes rouges de Mao

Il y a deux jours, nous avons croisé une troupe de gardes rouges. Ils nous ont détaillé sans aménité, arme au poing, visage fermé, et sont repartis sans un mot. Gilles nous a fait remarquer qu’ils ont franchi illégalement la frontière indienne. Mais la légalité est le cadet de leurs soucis. Leur priorité est de traquer les passeurs et les réfugiés politiques qui fuient le divin régime de Mao Tsé Toung.

Je sais qu’il faudrait écrire et dire Mao Zedong ou Mao Ze Dingue mais ça fait ièch et je fais ce qui me plaît. Tiens, je vais l’appeler Mao sur la montagne! Micha et moi, nous venions de séjourner à Macao, en Chine Portugaise. Elle n’avait de portugaise que le noms, dirigée qu’elle était par un représant du PCC Parti Communiste Chinois. En sous mains, bien entendu, mais sans se cacher le moins du monde. Chaque fois que le gouverneur portugais de la presqu’île avait à prendre une décision, il se tournait vers le Chinois tout de noir vêtu qui ne le quittait jamais d’un seul pas.

Après un bref palabre, le Portugais annonçait la décision, non de Lisbonne, mais de Pékin. Et tout le monde y trouvait son compte.

 

Prasad

Nous marchons d’un bon pas. Gilles annonce une pause. Il déballe un nouveau sachet de graines, et on picore avec la satisfaction béate de trois poulets fermiers. Le spectacle est magnifique. Gilles a bien choisi l’endroit de la halte.

Avec un geste de magicien, il nous tend religieusement trois pils d’acide pour magnifier notre salut à Shiva. Nous les gobons sans hésiter. Puis il fait jaillir de son sac plusieurs petits carrés de soie qu’il étale sur le rocher débarrassé de toute saleté. Ensuite il verse dans chaque carré une joli tas de graines et de fruits secs. Micha et moi l’observons avec intérêt et curiosité. De quoi s’agit-il ?

Gilles fait son mystérieux pendant quelques instants encore, le temps de nouer bien soigneusement chaque petit paquet. Il en remet un à Micha, qui le prend comme une eucharistie. Ensuite il m’en donne un autre et empoche le dernier.

Il daigne enfin s’expliquer. « Nous allons bientôt monter l’escalier qui conduit à la grotte sacrée. Là-haut se trouve un sadhu dont le rôle est de garder le lingam sacré. La coutume est de lui remettre un prasad, une offrande de nourriture, car elle est rare à cette altitude. Sans les offrandes des pèlerins, les sadhus qui veillent sur Amarnath se trouveraient vite sans ressource. »

Donner ces offrandes est une coutume très répandue. Ça s’appelle « faire prasad ». Offrir un présent. Pour les saddhus qui veillent sur la grotte sacrée, le prasad est vital. Et pour les pèlerins, le prasad librement consenti attire des bénédictions. Et nous en avons bien besoin sur ces pentes incertaines.

 

Amarnath, la grotte de Shiwa Baba, Inde 1975

 

Le roi des gongs

Bien sûr. Tout ce qui est mangé, bu ou brûlé ici doit nécessairement venir de Pahalgam, après une escalade de cinq jours, exactement comme nous l’avons fait.

Pahalgam. A serene haven in the Himalayas,Un hâvre de sérénité dans l’Himalaya disent les pubs touristiques. C’est vrai que c’est beau comme bled.

On s’assied au pied de l’escalier interminable taillé à même le roc et qui se perd dans la brume légère. Là-haut, la merveille nous attend. Nous n’avons pas de hâte particulière à grimper vers la grotte. Nous passons de longs instants à converser avec un sadhu sympa qui entretient un feu de bienvenue. Il gratte soigneusement les braises qui recouvrent une grosse bûche. Elles tombent en grésillant, et tandis qu’il repose la bûche sur elles, son feu repart de plus belle.

Il est né le divin instant. Sur une colline qui à Vézelay s’appellerait Montjoie, les effets délirants de l’acide et du lieu se font sentir et je m’assieds. Micha m’imite aussitôt. Gilles a pris un peu d’avance. Il revient sur ses pas en esquissant des entrechats et près de nous s’assoit, énigmatique baba.

Face à nous, la grotte domine un vallon. En ce temps-là, il n’y avait pas le village de toile qu’on y trouve aujourd’hui. Juste la file des pèlerins vannés par les journées de marche et qui retrouvent des ailes en sentant l’arrivée.

Un gong résonne, longuement, puissamment. Gilles nous explique. Chaque fois qu’un pèlerin atteint la grotte et touche le lingam, un sadhu frappe le gong qui résonne dans toute la vallée. 

Celui-là fait une taille exceptionnelle, à se demander par quels efforts surhumains il a pu être hissé dans la grotte par un escalier glissant aux marches taillées dans la falaise. Mais nous n’en sommes pas encore là.

 

Lucy in the Sky with Diamonds

À notre droite, une falaise interminable monte jusqu’au ciel. Et dans les tourments de la roche, tous les trois ensemble, nous voyons des personnages de pierre, finement sculptés, adorablement sexy, qui dansent en ondulant avec grâce leur corps souple et leurs membres déliés, magnifiques.

Transportés nous sommes. En extase. Les hallussix nations s’intensifient. Lucy in the Sky with Diamonds…

Je sors de mon sac la caméra qui ne m’a pas quitté. Pendant de longues minutes, je filme ce spectacle à couper le souffle. La montagne entière est une sculpture, une œuvre d’art tantrique, la façade d’un temple dédié à l’amour, au coït, à l’orgasme, à Shiva. J’ai filmé de longues minutes dans les gloussements et les cris d’admiration de Gilles et Micha.

Longtemps après, de retour en France, nous avons regardé le film. On ne peut pas filmer les hallus. On s’en souvient. Le film agit comme un pense-bête, et parfois, quand l’humeur s’y prête, on peut avoir des remontées d’acide. Là je revois ces corps splendides, ces danses érotiques, et dans le silence de l’âge, je me souviens. Mon point d’assemblage se remet à la position qu’il avait à l’époque.

Nous allons enfin nous lancer dans l’escalier, quelque peu vertigineux je l’avoue, mais on n’a rien sans rien. Prodigieuse combinaison de l’exaltation et de l’effort physique, tandis que nous entamons la dernière ascension vers Shiwa Baba – j’écris Shiwa pour parler comme Bom Shankar.

Cher Papa Shiv! Qu’il soit béni comme sa caverne, lingam dans le yoni, phallus dans la grotte. Comment créer le monde autrement que par l’accouplement? Et comment l’accouplement ne serait-il pas divin? Bonheur des cimes, l’ivresse décime. Lucy est en haut avec Ses Diamants : elle laisse dés.

 

 

Nous avons vaincu la dernière montée, le grand escalier taillé dans la roche, et le gong là-haut qui salue le terme de notre voyage vers Shiva. L’émotion fut grande. L’un après l’autre, nous avons donné en prashadoffrande au sadhu gardien le sachet de graines et de fruits secs. Et l’un après l’autre, nous avons touché le lingam de glace, stalagmite aux formes évocatrices, symbole et présence réelle de Shiva créateur, père de tous les dieux de l’Inde et du reste du monde.

Adieu Shiwah Baba! Je n’ai jamais aimé aucun dieu de la sorte. Aussi fort. Aussi doux. C’est fou.

 

 

C’était l’Inde

Le texte que vous venez de lire est extrait d’une série d’articles racontant ma découverte de l’Inde il y a un demi siècle.

 

Revenez vite!

 

Xavier Séguin

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Xavier Séguin

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