Brocéliande est une drôle de forêt. Par endroits, elle n’est plus forêt, mais terre pelée, rochers moussus sans ombre dessus, orée dorée, portière frontière entre Anaon et le monde de Merlin. Inventée il y a moins de deux siècles, rebaptisée aux noms tirés du cycle arthurien, lui-même redécouvert au Moyen Âge alors qu’il remonte à l’aube du monde, la Dark ForestSombre forêt des Anglais, sorcière des faussetés, reine des mensonges, déesse aux mille visages, est la sœur de Kali et la fille des Yugas.
J’aime explorer encore la Val sans retour, le pourtour du Miroir aux Fées, les hauteurs qui le dominent, mais le lieu que je préfère sur cette commune de Tréhorenteuc, sans discussion, sans hésitation, c’est le Jardin aux moines. Ce territoire subtil m’appartient en propre, non que j’en sois le propriétaire légal, mais le premier et le principal utilisateur astral. C’est le lieu de pouvoir des guerriers de mon clan. En tant que dernier Loup vivant, c’est mon lieu. J’y ai suivi mon benefactor au cours de mon initiation. J’y retourne enchanté dès que mes pas m’amènent en Mère Forêt.
Ma première rencontre avec ce lieu magique, vous en trouverez le récit tiré de mon journal de 1992, il y a trente ans. Depuis l’enfance, je note au jour le jour les événements de ma vie. Les jours sans rien de notable, je couvre mon journal de gribouillis ou de bouts de poèmes. Il y a une quinzaine d’années, un incendie a détruit une bonne partie de ma maison. J’y ai perdu nombre d’objets que j’aimais, c’est une bonne chose. Au nombre desquels toute ma collection de carnets, mon journal de toutes ces années. C’est une excellente chose. Une façon radicale d’effacer mon histoire personnelle.
Il y a trois Brocéliandes très différentes : celle des promeneurs du dimanche et des touristes, centrée autour de l’Arbre d’or, une merdouille pseudo artistique qui ne régale que les gogos ; celle des troufions du camp de Coëtquidan, qui font leurs manœuvres orchestrales dans le noir avec force feux de bengale histoire d’y foutre le feu ; et celle des initiés, la seule qui m’intéresse et dont je vous parlerai ici.
Le Jardin aux Moines n’a rien d’un jardin, rien à voir non plus avec des moines. Donner des noms absurdes, baptiser des mégalithes avec des surnoms médiévaux, entretenir la confusion entre la protohistoire et le 6e siècle de notre ère, telle est la spécialité de Brocéliande, qui n’est pas non plus la Brocéliande du cycle arthurien.
Ainsi le tombeau de Merlin n’est pas un tombeau, et Merlin n’y repose pas. Tout à côté, la Fontaine de Jouvence n’a jamais rajeuni personne, elle était réservée au baptême des jeunes Celtes : on devrait dire la Fontaine des Jouvenceaux. L’Hôtié de Viviane signifie la maison d’hôte. Impossible d’y loger quiconque vu sa taille, celle d’un tombeau d’enfant. Et la fée Viviane se serait bien gardé d’y mettre un seul pied, le sien ou ceux d’un invité, vu l’effroyable vibration négative enserrée dans ces quelques pierres. Aucun sensitif ne s’y risquerait. Il s’agit du point le plus négatif de ce plateau qui domine le Val sans retour. En compensation, un point vibrant très positif surplombe le Val à une trentaine de mètres. On y trouve trois arêtes dessinant un siège dans le rocher, le fauteuil panoramique qui offre une vue circulaire sur le Val et la forêt aux environs. C’est le lieu dit « un beau jour pour mourir« , ainsi que l’avait nommé mon benefactor Jean-Claude Flornoy.
Le seul monument mégalithique dont le nom ne soit pas bidon, on le trouve à deux pas : le Tombeau des géants. On y aurait trouvé un tibia humain surdimensionné…
Val sans retour dont on revient sans problème. Je veux dire nous les humains. Pour les entités du bas astral, djinns, alliés, spectres ou autres ectoplasmes, il n’en va pas de même. La fée Morgane y perdait ses amants dit la légende. Il s’agit plutôt d’un lieu négatif, une porte de l’inframonde. Morgane, comme toutes les sorcières, avait harnaché quelques alliés au sens castanedien du terme.
Mon benefactor en avait aussi, au moins deux dont je me souviens très bien. Un monstre genre tigre aux dents de sabres et un homme-porte de trois à quatre mètres de haut. Il nous a flanqué de jolies terreurs avec ces saletés. Quand Morgane sentit sa mort prochaine, elle alla se défaire de ses alliés dans le Val, certaine de les y emprisonner. Car ils ne pourraient plus, par leur propres moyens, ressortir de ce gouffre sinon pour rentrer chez eux, dans l’inframonde. Voilà d’où vient le nom du Val sans retour.
Les alliés sortent de terre. Ils habitent l’inframonde, zone astrale ou réelle, je ne saurais le dire. D’après Castaneda qui est le seul à en parler aussi précisément, nous n’avaons pas le même élément dominant que ces entités. Ils sont de nature électrique, et nous aquatique. L’eau est largement majoritaire dans notre corps, tandis que l’électricité (et le magnétisme, son complément direct) domine le leur.
Je vais y revenir à propos de l’Homme Gris.
La même fable simplette affuble le Jardin aux Moines. Elle dit que des moines y venaient pour y conter fleurette à des nonnettes émoustillées. Et les culbuter dans les fougères, au mépris de leur vœu de chasteté. En guise de punition, le diable les a transformé en pierres, ces mêmes blocs qui entourent le Jardin. Pauvres moines, quelle belle réputation on leur fait ! Gourmands, pochetrons, paillards, et sans vergogne… Certes, ils n’étaient pas de bois. Mais pas de pierre non plus.
La réalité que nous avons découverte lors de nos séances de visualisation a quelque chose à voir avec cette fadaise. Quelque chose de bien ténu, mais quand même, il y a un rapport. C’était un lieu de guérison du temps des mégalithiques. Les sorciers de ces temps lointains y soignaient la folie. Ils avaient des patients en grand nombre, vu l’étrange position du point d’assemblage que ces félés affichaient alors. S’y pratiquaient des danses de transes, et des transes sans danse. Musique profonde gérée par un groupe de bardes, sous la direction d’un maître de transe.
Ces transes profondes furent la base du travail de l’arcane XIII, qu’on appelle aussi les Petits Mystères. Je l’ai pratiqué pendant quinze ans, menant mes requérants jusqu’à la catharsis libératoire, en général au bout de quatre à cinq jours intensifs. À comparer avec les dix ans et plus que dure une psychanalyse !!!!!
Mais cette initiation n’a plus de raison d’être aujourd’hui. Je peux qu’aider les personnes qui se trouvent bloquées à l’arcane XV Le Diable et n’arrivent pas à obtenir la montée d’énergie de l’arcane XVI Maison Dieu. D’après ce que je constate, il semble que cette étape évolutive soit la plus délicate à présent. Dont acte.
Pour ne pas déroger à la récente tradition des noms absurdes, je dois vous présenter l’Homme Gris, qui n’est pas vraiment gris et n’est pas du tout homme. J’ai fait sa connaissance avec Flornoy en 1992. C’était au Val sans retour, où les sorciers, avant de mourir, se débarrassent de leurs alliés. Ainsi souscrivent-ils à une tradition qui remonterait à la fée Morgane. Mais c’est une autre histoire…
Le Val sans retour est une porte de l’inframonde. Les entités du bas-astral s’y accumulent à la pleine lune. Ses parages leur sont aussi hermétiques que les barreaux d’une prison. Ainsi les alliés —qu’on appelle aussi génies, ectoplasmes ou djinns— se trouvent confinés dans les profondeurs du Val sans possibilité de se répandre sur ce plan, semant la terreur et empoisonnant l’existence d’humains incapables de s’en protéger.
L’Homme Gris n’est pas vraiment gris, je l’ai dit. Il apparaît de cette couleur sur fond sombre, la nuit, dans le sous-bois du Val. Mais là où je le retrouve à chaque fois, à l’orée du Jardin aux moines, et de jour, il apparaît blanchâtre, comme translucide. Sa silhouette est celle d’un homme de grande taille, plutôt fluet, voire fragile. Parfois on le voit se désarticuler comme un pantin et se désagréger comme une fumée qui meurt.
J’ai compris plus tard que ce fameux Homme Gris est un des alliés de Flornoy. Était, devrais-je dire, puisqu’il nous a quitté. Flornoy en possédait plusieurs, qu’il avait harnachés lui-même, selon les prescriptions détaillées que donne Castaneda. Les alliés ne sont pas à l’aise sur ce plan. c’est pourquoi l’Homme Gris reste dans les parages du Val, sa porte d’entrée dans ce monde, et aussi sa porte de sortie si le besoin s’en fait ressentir.
Longtemps je l’ai cru lié solidement à Brocéliande, plus précisément à Tréhorenteuc. Mais depuis cette époque, il s’est manifesté chez moi à plusieurs reprises, apparaissant à ma fenêtre la veille d’un voyage prévu en Mère Forêt. Une fois même, alors que je la faisais découvrir à une visiteuse du Québec, il s’est attaché à elle, la trouvant sans doute assez négative pour son goût. Il est resté dans la chambre qu’elle occupait chez moi jusqu’à son départ pour le Québec.
Figurez-vous qu’il l’a suivie dans l’avion ! De temps à autre, à la grande honte de l’Américaine, il faisait retentir un long craquement, comme une branche qu’on casse interminablement. Et ce bruit désagréable était accompagné d’une odeur pire encore : celle d’un pet foireux, bien pourri, bien dégueu. Elle m’a raconté qu’il était resté quelques temps chez elle, lui laissant régulièrement un singulier cadeau dans le lit de sa chambre d’ami : un magnifique étron tout frais, bien puant…
Si cette Québecoise me lit encore, qu’elle me pardonne et qu’elle en tire les conséquences. De telles péripéties, chez Castaneda, s’adressent à des personnes négatives, suppressives ou simplement menteuses, qui s’attribuent des mérites ou des pouvoirs qu’elles n’ont pas. Il y a des pages d’une grande drôleries qui content les facéties du puissant Don Genaro, ami de Juan Matus et sorcier comme lui. La Gorda fait les frais de sa vindicte, et le lecteur se tord de rire.
Au domaine de Rochefort, c’était mon benefactor qui jouait le rôle de Genaro. Et avec quel brio !
L’Homme Gris, selon Flornoy lui-même, était l’allié de notre clan, le clan du Loup. Un certain nombre de choses me relient à ce clan, dont je suis le seul survivant. Je n’y attachai jamais beaucoup d’importance jusqu’à la mort de mes deux chers amis. Puis apparurent des signes qui ont éveillé mon intérêt. Il semble que le Loup soit ma signature astrale, d’autres diraient mon animal totem. Mais le temps des scouts est loin, même si nous nous connaissions déjà, mes deux amis d’enfance et moi-même. Ils faisaient partie de la patrouille du Marsupilami (!) et moi de la patrouille des Castors. Il n’y avait pas de loups à l’époque, sauf celui de Tex Avery…
En ce moment, je vois des loups partout. Et je regrette de ne m’y être intéressé du vivant de mon bienfaiteur, qui avait tant à dire sur tant de sujets inconnus. Dans l’astral, quand il m’arrive d’intervenir pour arranger le coup de certains fous, le Loup est là. Il annonce mon arrivée. C’est un grand loup gris avec un collier blanc, une pointe blanche qui commence à partir de la mâchoire inférieure et descend sur le poitrail. Pelage fourni, tête fièrement dressée, il fixe droit dans les yeux. Ne baisse pas les tiens, tu perdrais son estime et le message silencieux qu’il t’envoie.
Je ne sais pas pourquoi, peut-être à cause de sa couleur, je pense que cet animal est une version personnelle de l’homme gris. Il a un gros avantage sur ce dernier : il est propre…
Je ne peux terminer cet article sans évoquer mes chers amis et fidèles compagnons de route, Jean-Claude Flornoy à Sainte Suzanne et Jean-Claude Devictor dans sa maison du Domaine de Rochefort, où nous habitions trois maisons. Chacun d’eux possédaient des alliés effrayants, même pour moi. Il paraît que j’en ai aussi. Je les contrôle étroitement, rassurez-vous. Et je prendrai soin de les laisser au Val sans retour, poubelle psychique et prison astrale, quand le moment sera venu…
D’ici là, si les Parques le permettent, j’ai encore de nombreux articles à écrire, d’autres révélations à vous faire et de nouvelles découvertes à partager.
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