Quand Emmanuel Kant publie son œuvre maîtresse, il a 57 ans. Il n’a jamais quitté sa ville natale. Les seuls voyages qu’il a fait dans sa vie sont dans ses idées. Comme Jules Verne. Mais Jules Verne est moins prise de tête.

Dans la Critique de la Raison pure, en argot estudiantin la Cripure, en allemand Kritik der reinen Vernunft, « le philosophe prussien analyse les différentes facultés de l’esprit, et tente d’établir que notre connaissance se limite à notre expérience. » L’ennui, c’est que l’expérience de Kant se limite à bien peu de choses. Du coup, tu as déjà moins envie de lire cette somme assommante. Ce survol te suffira, crois-moi.

Rigueur et conformisme

Routier de la routine, adepte de la conformité comme du conformisme, maniaque de l’exactitude et de la rigueur dogmatique, Kant a littéralement fait chier des générations de potaches ex-amis de la sagesse.tel est le sens de philo-sophia À sa décharge, il les a presque tous dégoûtés de sa philosophie, ce qui est honnête en somme. Ce bouquin-là, son plus célèbre pensum, est devenu pour eux l’archétype du tas de bouse. Tout comme Kant est la caricature du penseur inutile.

Ce gai luron manqué n’a pas grand chose d’intéressant à dire, et pour pallier cette lacune, il invente des mots aussi creux qu’interminables – tellement longs parfois qu’ils dépassent le format d’une page. Pour les comprendre, il faut aller jusqu’à la fin du mot afin de le remonter à rebrousse-poil, ainsi que le veut le génie de la langue allemande. Quand je faisais ma maîtrise de philo – appelez-moi Maître, nous sommes entre nous – on racontait que les potaches allemands préféraient étudier la Cripure dans sa traduction française plutôt que se la farcir dans leur propre langue.  

Que sais-je ?

La Cripure pose la question des limites de la connaissance : que pouvons-nous savoir ? Ce que nous croyons savoir est-il vrai ? Toutes les théories de la connaissance l’ont posée, celles de Descartes, de Malebranche et de Spinoza, celle de Leibnitz, celles de Locke et de Hume. Nos idées correspondent-elles à quelque chose de réel, ou sont-elles fictives ? Le monde extérieur est-il réellement comme nous le pensons, et comme nous le voyons ? Nos théories sur le monde sont-elles vraies ? (source)

Fantastique ! Castaneda se demande ça aussi ! Tout comme moi, je n’arrête pas – je me le demande depuis toujours. Et je change d’avis tous les sept ans. Ou toutes les cinq minutes, ça dépend du vent. Voilà en tout cas un programme alléchant. Le vieux Kant pourrait-il nous aider à y voir clair dans le fatras ahurissant que déroule la Saga d’Eden ?

 

 

Le philosophe prussien aurait-il résolu les grandes énigmes de notre histoire ? Aurait-il démasqué les super-mensonges sur notre origine ? Pourrait-il décrypter les runes et le tudesque, ce vieil haut-allemand si proche de la langue galactique originelle, où se cachent aux yeux du profane les prodigieux secrets des dieux d’avant ? Emmanuel, le Dieu parmi nous, serait-il un guide fiable pour explorer les mille mondes de l’astral ?

Pensez-vous ! Rien de tout ça. Dès son plus jeune âge, il avait tout d’un vieux. Alors à 57 balais, bonjour le ieuv ! C’est dommage. Avec un peu moins de logique et un peu plus d’intuition, Emmanuel aurait très bien pu incarner le dieu parmi nous que nous promettait son prénom. Mais non. Il a fait dans l’abscons,Difficile à comprendre, obscur. Exemple : un langage abscons. ce con.

Je ne comprends pas pourquoi on bourre encore le crâne des gosses avec de telles cuistreries. La philo, c’est la vie.Comme la mort. C’est pourquoi on dit que philosopher c’est apprendre à mourir. Et la vie, justement, Kant n’y connait rien. Il est face à elle comme ces prêtres qui reçoivent des futurs couples pour les préparer au mariage. Triste monde et pauvre culture. Quoique j’ai connu un accordeur de piano sourd comme un pot. Du bout des doigts, il captait les vibrations harmoniques. Good vibrations.

Le cocon de l’abscons

Mais passons. Qu’aurait pu nous dire ce cher Emmanuel s’il n’avait pas été abscons comme un balai ? Bien des choses, en somme. Son interrogation est sincère, au départ. Ce sont ses réponses qui craignent. Partant du constat que la métaphysique ne peut prétendre au statut de science, à l’égal des mathématiques ou de la physique, il prétend pallier cette insuffisance en scrutant les limites de la raison. C’est astucieux, mais très insuffisant.

La raison pure n’est pas le bon instrument d’investigation quand il s’agit d’étudier les phénomènes qui se situent « au-delà de la physique » — ce que signifie le mot « métaphysique« . J’ai suffisamment dénoncé le mental – qu’on nomme aussi l’intellect. Cette fabrique de fantasmes et de raisonnements est diamétralement opposé à l’éveil. L’identité que j’ai posée entre le mental et l’ego me semble claire et définitive.

L’ego est la seule partie de l’être qui ne connaîtra jamais l’éveil, enseigne la tradition lamaïste. Pour méditer de façon pure, il importe d’avoir la tête vide de pensées et d’images. Les pensées, notamment les pensées logiques ou mathématiques, représentent le strict opposé à l’intuition. Le cerveau a deux hémisphères aux activités antinomiques et complémentaires. Mais le cerveau droit, sous-utilisé à notre époque sombre, se trouve largement annexé par l’hémisphère gauche dominant dont il est devenu le sous-traitant.

Précisons que les notions habituelles de cerveau droit et de cerveau gauche sont peu utilisées dans ce site. Je leur préfère les notions castanédienne de côté droit et côté gauche, qui s’appliquent au corps physique / corps subtil / aura, et qui se trouvent inversés par rapport au cerveau.

La philosophie nagualiste enseignée par Carlos Castaneda me paraît infiniment plus féconde que les élucubrations du vieux Kant. Parce qu’elle ne repose pas uniquement sur l’intellect. Parce qu’elle est une philosophie de l’action, alors que celle de Kant se cantonne à la réflexion. Son expérience anémique ne déborde pas les limites étroites de son cocon natal, Heidelberg, le quartier où il vit, les rues qu’il emprunte sa vie durant pour se rendre toujours au même endroit : l’école, puis dans le même bâtiment, l’université où il étudie avant d’y devenir professeur. Sad, sad song !

Réfléchir n’est pas inutile, pour peu que l’expérience en soit l’objet. Plus l’expérience sera riche et intense, plus la réflexion pourra se révéler féconde. Une expérience pauvre, un émotionnel étriqué, un vécu de zombie ou de robot ne fournissent pas de données significatives au travail d’analyse intellectuelle. Vivre d’abord, penser ensuite. Et le moins possible !

En cette fin de kali-yuga, il est impossible de compter sur son cerveau pour cheminer vers l’éveil. Pour trouver la voie, il faut se couper la tête, comme Lao Tseu l’a dit. (source) Voilà pourquoi j’ai émis l’hypothèse qui consiste à utiliser le pouvoir du ventre plutôt que ceux de la tête, faiblards, égotiques et contaminés. 

 

Xavier Séguin

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