Guerrier impeccable, tu as poursuivi toute ta vie un seul but. Te dépasser toi-même. Connaître la blanche lumière de l’éveil. T’y épanouir et accumuler assez d’énergie pour t’arracher à ce monde, à ce cycle, à la matière, à l’Aigle, et préserver ta conscience au-delà.
Car nous n’avons pas à combattre contre le sang et la chair, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les Seigneurs du monde, gouverneurs des ténèbres de ce siècle, contre les malices spirituelles qui sont dans les lieux célestes.
Échapper à l’Aigle, te dérober à l’implacable attraction du trou noir de classe A qui fait tourner la galaxie. Qui es-tu, guerrière sublime, à l’échelle de la Voie Lactée ? Lorsqu’elle fait tourner le soleil, et la Terre tourne avec lui, très loin du centre, infime poussière de son étoile.
Le soleil décrit une orbite de 220 millions d’années autour du trou noir central. Que les naguals appellent le Bec de l’Aigle. « Orbiter le centre de la Voie lactée prend au Soleil entre 220 et 230 millions d’années terrestres, selon Keith Hawkins, professeur d’astronomie à l’Université du Texas. » (source)
Échapper à l’Aigle pour courir d’autres aventures ? Ou les mêmes ? Nul n’en sait rien, celui qui peut le dire est un menteur. Je me contente de croire sans y croire. Je cultive gentiment une vision castanedienne de la vie, la mort et tout le bazar. Une vision soumise à d’incessantes fluctuations… Combien de millénaires te faudra-t-il attendre, immobile, impuissant témoin, avant de te réincarner ?
Ou bien rien, le néant, l’oubli sans phrase, la mort totale et basta. Ce qui revient au même. Qu’est-ce ça fout ? Vis ta vie, amuse-toi, profite, apprends, donne et reçois, mais si tu veux croire en quoi que ce soit, crois-y dur, et en même temps, n’y crois pas du tout. C’est le seul moyen d’échapper à l’ego qui te flatte et t’enferme dans des certitudes nocives. Souvent mortelles. Résiste. Réagis. Tu peux le faire, fais-le.
Tu as vaincu les trois premiers ennemis qui te barraient la route. Le premier, la peur, t’a malmené longtemps. Tu l’as tuée pourtant quand tu t’es éveillé. Elle reste là, derrière, mais tu ne l’entends plus. Tu fais ce qu’il faut faire quand l’urgence l’impose.
Le second ennemi, la clarté, fille de l’éveil, a fait de toi un insupportable donneur de leçon. Tu savais tout sur tout, intarissable bavard, plein d’ego, il t’a fallu apprendre seul de tes erreurs.
L’ego n’a plus sa place sur ton chemin, car voici le troisième ennemi, les pouvoirs. Si tu n’as pas maté l’ego, les pouvoirs te rendront tyrannique. Muré dans ton égoïsme et juché au sommet de ton sentiment de supériorité, tu y perds tes amis, ta compagne, tes enfants parfois.
Seul tu vieilliras, résistant, pénitent, seul tu affronteras l’ultime combat : la bataille contre la vieillesse. Contre la décrépitude, la déchéance, la débilité, la débine, la détresse, tu te battras des griffes et des dents pour retarder le dénouement. Qui viendra pourtant. Homme ou dieu, nul n’y coupe. L’éternel est un conte pour enfants très simplets. Y croire est fatal. Sans y croire est meilleur.
Te fondre dans la conscience universelle en y laissant la conscience de toi-même ? Ce qui revient à disparaître : Universal Mind est divisible à l’infini, toi tu ne l’es pas.
Allons mon Xavier, arrête ce flip, tu ne sais rien, nul ne connaît l’au-delà. Hormis tes rêves… Celui où tu vas de ton vivant est l’au-delà pour les vivants, ceux qui ont un corps, les organiques, les biologiques. L’autre au-delà, celui des non-biologiques, celui des inorganiques, n’a rien à voir. Tu n’as jamais rencontré un défunt dans tous tes voyages astraux. Ton ami Devic est venu te voir pendant quoi ? Quinze jours. Après ça pfuitt ! Plus de nouvelles.
Ta mère, Maman Loulou, t’avait fait une promesse, tu t’en souviens très bien. « S’il existe un moyen de communiquer avec les vivants, alors je te promets, Xavier, je viendrai te dire comment c’est de l’autre côté. » Elle n’est jamais venue.
Le pays des morts n’est pas connecté au réseau. Il n’existe aucun moyen de faire communiquer la présence et l’absence, le jour et la nuit, la chose et son contraire. Celui qui y parvient doit comprendre qu’il est mort. Je suis mort depuis le 10 juillet 2012. C’était prédit. Depuis j’utilise mon crédit de vie comme un bonus : je fais tout ce qui me plaît. Mais sans excès. L’arcane XIV a eu raison de mon déficit de modération.
Comment se représenter cette absence ? Nulle trace de matière, de temps, d’espace. Pas d’histoire puisque pas de passé. Pas d’arts, pas de modes, pas de sciences, pas de langues. Inutile d’y chercher la lumière, elle est aussi inconnue que les ténèbres. Pareil pour le vent, la mer, l’infini, le fini, l’objectif, le figuratif. Pas de corps, pas de cœur, pas d’âme ni d’esprit.
Absence du néant même — nulle trace de rien. Qui, dans son sens latin, est déjà quelque chose. Rien vient du latin res, rei qui signifie une chose. Un petit rien c’est déjà quelque chose. De même qu’un pèse-personne sert à peser quelqu’un. Si ça ne pesait personne, à quoi ça servirait ?
Le guerrier impeccable, au fil de son évolution, doit affronter trois ennemis intimes, et les vaincre. Le dernier combat ne se gagne jamais.
Les trois autres, il doit les vaincre et en sortir, non seulement indemne, mais plus fort que jamais et plus humble qu’avant. Prouesse d’équilibre qui n’est pas gagnée d’avance. Elle te demandera des années d’efforts ininterrompus. Une auto-discipline de chaque instant, et en même temps, un total lâcher-prise. Un abandon qui donne sa chance à la chance et qui honore le Hasard ton dieu. Les Égyptiens d’avant l’appelaient al Azar, Ouzir, Osiris.
Lutter, buter, muter, chuter, douter, router, coûter, croûter, brouter, prouter, puis quoi encore ? Le dernier combat ne se gagnera pas mieux pour ça. Et c’est bien ainsi. Ne sommes-nous pas nés pour mourir ? Chacune de nos joies, chaque épreuve, tous nos succès dans cette vie ne sont-ils pas un entraînement pour mieux affronter l’indicible ? Ce qui nous attend tous ? Ce dont on ne peut rien dire car ni les mots, ni les choses y ont droit de cité.
Vieillir sert dit-on à trouver la sagesse. Est-ce bien sage de se résigner à mourir ? D’accepter de vieillir ? Le guerrier lutte, en butte à tous les tours de pute, il mute, il percute et s’il chute en vue du but, minute, il reprend au débute.
Mon benefactor était le nagual de notre clan. On dit nagoual, comme guantanamera. À mon tour je suis le nagual. Mais je n’ai pas de clan et n’en aurais jamais.
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