Écrit en 1992, ce journal raconte mon premier contact avec l’autre monde… et ce qui s’ensuivit.

 

– Chapitre 9 –

La fidèle Citroën nous emporte vers la Maison de Viviane, où nous attend une jolie vision… Cette Maison ou Hotié de Viviane est située sur la plus haute des collines qui dominent le Val sans Retour… Jeff relève le degré Bovis à l’intérieur du Tombeau : zéro absolu. Impossible de construire quelque chose de plus négatif pour la vie.
 

Chez Viviane

L’Hotié de Viviane s’appelle aussi le Tombeau des Druides. Encore un nom de lieu qui dit la vérité à qui sait entendre… Comme nous n’allons pas tarder à le découvrir, ce monument est un caisson de momification. Il était autrefois recouvert d’une dalle et arborait la forme d’un four, ouvert à l’ouest. Quand un personnage suffisamment important pour être momifié venait à décéder, les proto-celtes y enfournaient son corps, tête la première. Le cadavre y restait quelques jours, puis on le retirait, parfaitement desséché, imputrescible, prêt à servir de relique pour quelque allée couverte.

Les dépouilles des druides ou des guerriers renommés étaient enterrés sous les allées couvertes, au pied des menhirs ou sous les dolmens. Ces lieux saints bénéficiaient ainsi de leur protection spécifique. Qu’on ne s’y méprenne pas : leur fonction première n’était pas celle-ci. Au Moyen-Age et après, on fit de même en enterrant dans les cathédrales des seigneurs ou des évêques. D’ailleurs, autre parallèle, dans l’épaisseur des murs des cathédrales gothiques des Loges de momification étaient aménagées, on les appelle des Libera-Me. Pourtant on sait bien que les cathédrales ne sont pas que des sépultures. De même, les fouilles ont permis de retrouver des ossements sous plusieurs dolmens. Aux yeux de certains archéologues, c’est la preuve que tous les mégalithes sont des tombeaux. Comme les pyramides, d’après eux… Et comme les cathédrales, je suppose ?

 

 

À présent, le caveau de momification est démantelé. Seules les pierres du fond sont encore à leur place. La couverture a disparu, et l’entrée a été murée par les pierres qui formaient autrefois un couloir d’accès. Malgré tout, l’opérativité du monument reste intacte. Et très désagréable. Quiconque entre dans le caveau se sent mal à l’aise et ressort au plus vite. Si un imprudent se risquait à y dormir, il aurait toutes les chances de ramasser une grosse saloperie qui vous bouffe de l’intérieur.

Cet aspect néfaste à la vie servait précisément à la momification. Le rayonnement anti-vie tuait les micro-organismes et faisait fuir les vers. Rien de vivant ne pouvant se développer dans le corps, il se desséchait, intact. Les cathédrales médiévales ont repris cette fonction en intégrant des niches négatives dans l’épaisseur des murs. On les appelle des libera-me, libère-moi.

 

Un fauteuil panoramique

Dans l’axe de l’Hotié, à 50 mètres, une éminence rocheuse attire mon attention. Elle est couronnée par trois dents de pierre, inclinées. Je trouve le seuil de résonance, comme je m’y attendais. Juste au pied de cette éminence, il résonne comme un tambour.

Idem, l’intérieur du Tombeau est sonore comme une peau de tambour tendue à mort. Je grimpe jusqu’aux pierres, et je constate qu’elles forment un fauteuil tout à fait confortable. Il vibre à 9.000 Bovis. Je m’y assieds sans plus de façon. D’ici,on domine le Val sans Retour et des kilomètres de forêt nous entourent.

Je commence à avoir de drôles d’images qui surgissent. Le point de vue sur le couchant est superbe. Mais ce n’est pas seulement le beauté du panorama qui me touche. Il y a autre chose. Un rituel émouvant se déroulait ici, lié avec le Tombeau. Doucement, les images s’ordonnent. Jeff ne tarde pas à me rejoindre, j’aperçois son panama qui flotte sur les buissons. A son tour, il prend place sur la chaise de roche.

 

 

Tandis que nous fumons le calumet de la paix, du fond des temps émerge une scène criante de réalisme. Nous nous asseyons à tour de rôle, nous voyons le rituel antique.
– C’est un beau jour pour mourir, dit Jeff à brûle-pourpoint.
Devant mon air inquiet, il éclate de rire.

– Tu te souviens de Little Big Man ? Tu sais, quand le vieux chef indien devine qu’il va mourir ? Il monte sur une colline sacrée pour y attendre la mort. C’est alors qu’il dit à son fils : « C’est un beau jour pour mourir ». Ici se passait exactement la même chose…

 

La mort d’un chamane

Sentant sa fin prochaine, le chamane prend le chemin de Tréhorenteuc. Devant la fenêtre du Miroir aux Fées, il s’abandonne une dernière fois à la rêverie de l’eau. Puis il remonte le ruisseau, pieds nus, à la mode celte. La fraîcheur du sous-bois apporte la paix à son vieux corps. Quand il s’est suffisamment engagé dans le Val sans Retour, il se défait de ses alliés en les rendant à la terre dont ils sont issus. Ces entités psychiques resteront dans ce val, une force les y maintiendra prisonniers jusqu’à la fin de ce monde.

Le chamane poursuit son chemin sans un regard en arrière. A présent, il gravit la colline de l’Hotié par la Vallée des Portes.  Là-haut, le spectacle le console de ses efforts, car la grimpette a été rude. La nature, autour de lui, prend l’aspect merveilleux d’un jardin de montagne, couvert de fleurs jaunes et blanches, où le soleil dessine des chemins d’ombre et de lumière. De nos jours encore, à chaque saison, cette colline change sa parure de fleurs. Il en pousse certaines que je n’ai jamais vues ailleurs…

Le chamane s’assied sur la chaise de roche et s’abîme dans une contemplation qui durera toute la journée. Le cul bien calé sur la roche sacrée, le dos tourné au Retour, la tête au vent qui vient du soleil, notre vieux chamane se prépare à la grande traversée. « C’est un beau jour pour mourir« …

Dans sa méditation, il fait ses adieux à tous ceux qu’il n’a pu revoir physiquement. Il bénit ceux qu’il aime et les confie à la garde du Vivant. Il appelle aussi ses ancêtres, les patriarches qu’il va retrouver ce soir même. Pour lui, nulle tristesse. Cette vie s’achève, une autre commence déjà. Ainsi méditant, laissant errer son regard sur ce paysage qu’il aime plus que tout autre, assis sur la Chaire où tant de sages l’ont précédé, il voit venir le crépuscule.

 

Tombeau des Druides

Entre chien et loup, quand tout devient possible, le chamane quitte son corps. A l’heure dite, par l’effet de sa seule volonté. Le corps sans vie est ensuite transportée dans le caveau de l’Hotié où il séjourne jusqu’à momification. On comprend maintenant que le nom de Tombeau des Druides, s’il n’est pas tout à fait exact, reste pleinement justifié. Ainsi finissaient les initiés. Car on ne momifie pas n’importe qui. La conservation de la dépouille présente en effet quelques inconvénients. Le plus grave est que le corps exerce sur l’âme qui l’a quitté une attraction puissante. Seuls ceux qui sont parfaitement détaché de la matière parviennent à y échapper.

D’autre part, les momies servent à faire monter la vibration positive d’un lieu. La momie d’un être insuffisamment élevé ne servirait à rien. Voyant passer tant de vieux qui sont jamais revenus, les habitants de Tréhorenteuc ont baptisé ce lieu le Val sans Retour. Le nom, traduit de langue en langue, est resté jusqu’à nous. De multiples légendes s’y sont greffées pour tenter d’en expliquer le sens. La plus célèbre est celle de la fée Morgane qui y enfermait ses amants à l’aide de sa magie. Une façon de dire que les magiciens s’y débarrassaient leurs alliés. C’est aussi par magie que ces entités de l’inframonde restent captives du Val.

 

Retour au Val

Il est 13 heures. D’un commun accord, nous retournons au Miroir aux Fées. L’endroit est désert. Nous longeons la digue jusqu’à un chêne quadruple qui se penche vers le Miroir, devant une passerelle en bois. Ses branches forment un siège au dessus de l’eau. Pour qui veut observer le bosquet des ondines où se tenait notre fée polissonne, c’est l’endroit idéal. Je m’y installe, je le baptise « l’arbre du guet » et je me promets d’y revenir de nuit. Jeff insiste pour que je questionne encore l’arbre du guet. Le chêne penché me fait savoir qu’il n’a plus rien à me donner. Il ajoute que je dois me rendre au Val sans Retour, où je suis attendu. Il est temps. Ça, je le sais déjà. Jeff aussi.
Eh bien, allons-y, conclut-il en se levant.
 
Nous reprenons le chemin où nous avons eu si peur la nuit passée. Au grand soleil, la négativité semble évaporée… Pas tout à fait cependant. Elle flotte encore dans les coins d’ombre. Elle s’accroche aux buissons comme des écharpes de brouillard, si fine, si légère qu’on la remarque à peine. Voici le bout de l’étang où se tenait l’ondine. Un bouleau fourchu était son lieu. Je m’y assieds. La fourche est trop étroite pour moi et l’inconfort m’inspire une vérité profonde: les ondines ont le derrière pointu… Demie vérité, puisqu’elles sont tellement plus petites que nous !
 

Piètre pitrerie

Jeff interroge le ruisseau. Il est très concentré. Bientôt il lève la tête :
Je crois qu’il va falloir que tu y ailles tout seul, me dit-il avec un sourire d’encouragement.

Je ne peux m’empêcher de bouffonner. – Si je ne reviens pas, je tiens à te dire merci pour tout.
Puis j’improvise des dernières volontés à la con. Jeff sourit à peine. Il reste lointain, plongé dans des pensées que j’ignore.

Je m’engage sur le chemin et je découvre une nouvelle signification pour le Val sans Retour : le passage au terme duquel le chercheur sait qu’il ne peut reculer. Un point de non-retour dans la quête de vérité… Inutile de dire que j’ai tous les sens en alerte. Et même mieux… A vrai dire, je m’attends au pire.

Aussi ai-je bondi de vingt bons centimètres quand j’ai senti une douche glacée me traverser le corps. C’est une vibration négative, très intense, pleine d’ombre et de froid. Je remarque une énorme roche le long du chemin. C’est une porte. Voilà l’origine de cette sensation négative. Je poursuis ma route et cette pénible impression se dissipe.

À cinq reprises, je franchis une porte semblable. Je ne ressens pas la peur, mais j’en ai tous les symptômes physiques. Tous mes poils se hérissent, un long frisson me parcourt l’échine, ma nuque se bloque. Je dois insister pour continuer mon chemin. Dire que je n’ai pas peur serait mentir. Mais cette peur-ci n’a rien à voir avec celle d’hier, pesante et glauque.

 

 

Le saut dans le vide

Au soleil, les oiseaux chantent plus gai que les crapauds sous la lune. Mes pas m’ont mené à une quatrième porte. Elle crève les yeux.voir photo ci-dessus C’est un ancien barrage, défoncé en son milieu. Le chemin le traverse comme une allée coupe un portique. La muraille est envahie par le lierre et la mousse. Sa masse sombre, d’un vert palpitant, me fascine.

Passé le barrage, un autre monde commence. Les verts sont plus tendres, les senteurs plus fines. Tout sourit. Je devrais faire de même. Quelque chose me retient. Peut-être ce grand corbeau qui me regarde sans rien dire. Il est trop sûr de lui sur son herbe trop verte. Je n’aime pas son genre. Il me laisse approcher, puis, comme à contre-cœur, s’envole dans un grand rire. Ça n’amuse que lui.

Je marche sur un nuage, des questions plein la tête. Une colline escarpée me fait de l’œil. Je l’escalade. Mon corps est une mécanique étrange qui obéit à je ne sais qui. Je souffle, je fume trop. Une pause à mi-hauteur; vu d’ici, le Val grouille de vie.

Des fumées, je grimpe encore. Ma tête se vide avec mon souffle, mon cœur s’emplit. Au sommet, je contemple. Cette colline domine deux vallées. Des flaques d’ombre s’y incrustent comme des menaces. Les ailes ouvertes sur l’azur, je reçois un conseil : la chasteté. Serait-ce ma voie, dorénavant ? Un instant, le diablotin se voit moine. Il fait la gueule.

L’abstinence ? Mais non, crétin ! On ne refuse pas ce qui fait tant de bien. Il s’agit plutôt d’une mutation de la sexualité. Le jeu devient entraînement de guerrier. Je ne drague plus pour moi, j’aime pour elles. Ça vaut le coup d’essayer. Je respire un grand coup. Vertige. Je suis au bord du gouffre. Aspiré par les frondaisons noires du Val à mes pieds. Comme Castaneda sur une mesa mexicaine, dans Le don de l’Aigle, je me sens un instant capable de voler.

Heureusement, j’ai déjà connu ce genre de merde hallucinatoire; je me ressaisis à temps. Une main secourable me tire en arrière. Merci, la vie ! Des gus comme moi, quel boulot pour les anges gardiens !

 

(à suivre)
 

Précédemment

Premier chapitre : Le Rocher Bleu  –  Chapitre 2 : Leçon de tarot  –  Chapitre 3 : Chez les FéesChapitre 4 : Le rituel de FélineChapitre 5 : Le troisième cercleChapitre 6 : La Belle ArrivéeChapitre 7 : L’autre côté du MiroirChapitre 8 : Le Tombeau et la Jouvence

 
Xavier Séguin

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