L’escalier commence dans ton cœur. Il te fait peur. Tu ne veux pas descendre. Pas par là ! Tout ton corps proteste comme si on t’avait plongé dans un bain trop chaud. L’eau devient bouillante. Elle se transforme en huile. L’huile bout à son tour. Tu fris. Ta peau grésille. Se révulse. Se déchire en lambeaux qui s’enroulent. Douleur surhumaine. Mourir ! cries-tu. Oui, ta propre mort serait préférable à cette horreur. Mais la mort ne vient pas.
Tu as beaucoup souffert pour en arriver là. Debout dans ton cœur tu regardes vers le bas. Tu sais très bien que la mort n’est pas là. Pas tout de suite. Pas déjà. Au prix d’un effort dont tu ne te croyais pas capable, tu as mis les deux pieds sur la première marche. Tu ne peux pas faire davantage. Pas pour l’instant. Tu sais trop bien ce qui t’attend.
Déjà l’air te manque. Ta respiration devient hachée, pénible. Le peu d’air qui te reste siffle dans ta gorge sèche. Et l’air se raréfie encore. Tes poumons halètent dans le vide. Ils se rétractent et la souffrance est indicible. L’étouffement horrible te panique. Sortir d’ici ! Toute fuite est impossible, tu le sais bien. Tu es ici de ton plein gré.
Rien à respirer. Plus d’air. L’ivresse gagne. Asphyxiante culture. Lénifiants souvenirs tronqués. Tu dois tenir coûte que coûte. Remonter c’est la fuite et demain tu devras tout recommencer. Tu regardes fixement la marche suivante. La deuxième. Elle a l’air si lointaine ! Inaccessible étape au début du supplice, il faudra continuer. Descendre. C’est ton choix. Ne t’y soustrais pas. Accepte d’en passer par là.
Il faut descendre encore. Sois fort. Mais tu peux éviter ce supplice si tu meurs avant. Quoi ! Que dis-tu là ? Mourir sans savoir ? Rester dans l’ignorance ? La mort mettra un bandeau sur tes yeux. Du ciment dans tes oreilles. Tu seras lourd. Aveugle et sourd. Muré dans les plis du néant. Il faut descendre. Pas moyen de faire autrement. Tu ne peux pas mourir avant. Mais dormir. Oublier. Sommeil réparateur qui n’est qu’un intermède. À ton réveil, la mémoire te revient. Et tu ne te souviens de rien. Tes pieds bougent malgré toi. Enfin ! Te voici sur la deuxième marche. Pas de douleur physique ici, pas pour l’instant. Tu écoutes. On dirait du vent.
Tu sais qui tu es, tu comprends ce que tu fais. Tu descends l’escalier dans ton cœur. Et c’est un paroxysme de douleur. Tu n’as descendu que deux marches et tu connais déjà deux morts atroces. Où sont ces paradis que tu veux retrouver ? N’y a-t-il que douleur au fond de ton passé ? Si souffrir c’est vivre, que sera donc mourir ? Petit poisson, menu fretin, tu as grillé dans la friture. Tu t’es retrouvé privé d’air comme un poisson par terre. Mourir tu ne peux. Vivre tu ne veux.
Mourir tu ne peux. Vivre tu ne veux.
Te reviennent ces vers de Baudelaire :
Et quand nous respirons la Mort dans nos poumons
Descend fleuve invisible avec de sourdes plaintes.
Ta tête n’est donc pas tout à fait vide. Ton cœur non plus puisque tu es dedans. Faudra-t-il longtemps descendre ? Continuer le supplice ? Ramener au prix de tant d’efforts, au fil d’un tel effroi, ces souvenirs morts qui vont te laisser froid ? Faudra-t-il encore rejouer cette immonde comédie ?
Il y a sept marches qui descendent. Comme les sept jours de la semaine. Sept jours en pente douce. Mais cette pente-ci n’est pas douce, tant s’en faut. Tu as connu lundi, tu dois vaincre mardi pour gagner mercredi. On dirait que ça y est ! Quel cran t’a-t-il fallu pour avancer d’un pas ! La douleur redoutée ne vient pas. Pourquoi ?
Tu regardes tes pieds. Ils n’ont pas bougé. Pas d’un pouce. Tes pieds pèsent un âne mort. Tu es toujours cloué sur la deuxième marche. Impossible d’atteindre la troisième. Tout ton corps freine. Il te promène à perdre haleine. Il te malmène. Le sang s’est figé dans tes veines. Amen.
La mort attendue n’est pas venue.
Les sept marches sont les sept degrés de l’inconscience. Elles sont les sept murs qui cachent ton enfance. À la dernière, tu renais. Dès la première, tu appelles ta mort comme un soulagement. Un répit. La fin de cette torture qui te tord le corps et qui dure.
Les sept degrés des souvenirs perdus. Ils ne sont pas perdus si tu sais où ils sont. Profonds. Au fond du puits sans fond. Ton cœur de beurre en fond. Perdus comme un typhon. Bouchés comme un siphon. Ainsi font, font, font. Tu es la marionnette. L’arlequin qu’on jette. Ton cœur te mène à la baguette. Souvenirs morts. Plus profonds que le sort, plus vivants que la vie, ils te griffent. Tu mords. La langue te fait mal. Tu l’as mordue trop fort.
En toi comme en tout être, il y a plusieurs compartiments. Plusieurs vies. La plupart des gens n’en connaissent qu’une seule. La vie normale. Le quotidien banal. Ordinaire. Primaire. Camembert. Le côté droit du corps, le tonal de Castaneda. Ça ne te suffit pas.
Certains êtres sont comme toi. Ils veulent connaître l’autre monde. Trouver un sens à toutes ces simagrées qui m’agréent. M’agréent-elles ? dit le canard. Au contraire. Elles m’horripilent. Elles m’ébouriffent les plumes. J’ai des envies de lune en contemplant la brume sur les eaux. Je veux sortir du zoo.
Tout être insatisfait aspire à d’autre cieux. Songe creux. Prends en mains ton destin. Cherche à pas lents le chemin de ton cœur. L’issue de tes malheurs. Tu n’as pas deviné l’escalier qui descend. Tu vivras dans ton cœur longtemps avant de regarder par terre. Au début c’est trop sombre, on ne distingue rien. Peu à peu le jour vient. Et juste devant toi tu vois l’escalier noir. Tu ne veux pas le voir, mais trop tard. As-tu compris déjà ?
Le tonal ne te suffit pas
Les sept parties de toi sont à reconquérir. Elles se sont endormies l’une après l’autre à mesure que tu as grandi. Le petit enfant que tu fus pouvait aller partout. Rien n’était un secret pour lui. Ce temps a fui. Les années filent. Les sept portes se sont fermées. Derrière leurs verrous, le blindage épais, elles cachent l’orée dorée d’une vie différente. Plus libre. Signifiante.
Le quotidien banal ne signifie rien d’autre que le manque. D’où la drogue. Le cinéma qu’on se fait, tous les films qu’on voit et qu’on ne vivra pas. Pour supporter ce néant si frustrant, tu te drogues. Il est toujours l’heure de s’enivrer, crie Baudelaire.
La guerre à la drogue ne peut pas être gagnée car c’est une guerre contre la nature humaine.
Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous.
Et si quelquefois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront : « Il est l’heure de s’enivrer ! Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. »
Charles Baudelaire – Le Spleen de Paris, XXXIII
Magnifique poète. Beau de l’air qu’il nous donne.
L’escalier n’a rien de dangereux. Sauf par temps pluvieux. Il devient glissant. Mais il ne conduit pas vers la mort, il ne s’enfonce pas dans les ténèbres. Aux premières marches, oui, on peut avoir cette impression. Il faut traverser la lourde couche des moments bannis. L’émotionnel. Le mal qu’on a fait, les peines infligées, les douleurs données sans raison, juste pour le plaisir de voir souffrir. Les enfants font ça, et souvent même. La honte efface, mais on s’encrasse. Ce gros paquet chagrin te plombe la vie. Faut se le fader. Le subir à tâtons. Le soulever, cet émotionnel déchirant qui pèse et te baise.
L’ombre ? Une idée qu’on se fait. Plus tu descends, plus la lumière est claire. Seule ta peur t’empêche de vivre. cette peur lourde, cette sourde angoisse qui te lie à tes drogues, t’abandonne à tes plaisirs fous. Chacun creuse l’oubli de soi, l’inconscience quotidienne, l’horreur sans nom d’une vie pour rien. Tu as faim, mais tu ne dis rien. Tu te plains, mais tu ne fais rien. Le temps passe, à la ramasse, de guerre lasse on perd sa trace, on s’efface.
Au bout de l’escalier qui descend dans ton cœur, il y a la douce lumière. L’envers du mystère. Tu peux chercher les trous dans le gruyère, il n’y en a pas. Tu confonds avec l’emmental. Le mental. Lui il a des trous en pagaille. Descends jusqu’au fond. Et là, creuse encore. Le monde lumineux de l’énergie étend ses merveilles sous les nuages terrifiants de l’émotionnel. La somme de toutes les peurs de l’enfance est tapie dedans. Mais à l’étage en dessous commence le monde du grand ailleurs. C’est là qu’on peut vivre libre. En guerrier de lumière.
N’aie pas peur de toi-même. Ne refuse pas ta lumière intérieure. Ne fuis pas tes peurs d’enfant. Tu es grand. Vois la vie en grand. Il est temps. Non de t’enivrer, mais de t’éveiller. Ce monde glauque et gris, sans horizon, sans grandeur, ta vie à la merci du caprice des puissants, tes angoisses qu’ils entretiennent, rien de tout ça n’existe vraiment. Le chemin vers toi-même est caché dans ton cœur. Oublie ta peur. Il est temps de s’éveiller.
Qui a creusé ces galeries et ces villes souterraines, et pourquoi tout ce travail ?
"J'en ai haussé des femmes ! J'en ai osé des flammes !" (Cahiers Ficelle, inédit)
En 1312, l'empereur du Mali regagne l'Amérique, le continent de ses lointains ancêtres.
Le symbole suggère, l'image montre. Que montre le caducée, arme d'Hermès ?
Ils viennent de la littérature, de la bd, de la pop, de ce qui court,…
Leur mouvement permet la vie, leur ouverture permet la clarté, leur vigueur permet l'éveil.