Le dieu des dieux, maître d’Hyperborée, empereur de Terra, le puissant Zeus est convoqué par la Grande Déesse ! Il n’a pas fallu 107 ans pour qu’elle réagisse. À sa demande expresse, Zeus doit se rendre à la maison mère, la planète Ur, système d’Alcor. C’est un stupide malentendu selon le maître de Terra. La Déesse voit tout, sait tout, dit-on. Mais Zeus croit qu’elle regarde ailleurs.
-La Déesse veut me voir ? La belle affaire ! Qu’elle se dérange !!
Zeus est la proie d’une violente colère qu’il maîtrise à peine. De justesse, il se retient de balancer ses éclairs mortels. Ana l’accuse d’avoir flingué des milliers de dieux, pas la peine d’en rajouter. Il passe ses nerfs sur une statue. Pas n’importe laquelle. Une statue de la Déesse Omnipotente git sur le sol, broyée.
–C’est la Déesse Impotente, se dit le jeune Hermès, son confident, son messager et son amant. Incrédule, il fixe son seigneur et maître.
-Je la recevrai chez moi, tu m’entends, Hermès !!!
-Ici ? Mais Puissant Zeus, comment désobéir à la Déesse ? On n’a jamais vu une chose pareille ! Elle ne viendra jamais !
-Elle viendra et je la recevrai chez moi, répète Zeus. Et rassure-toi mon bébé, le ciel ne nous tombera pas sur la tête.
Claquant les fesses de son chéri, Zeus ajoute : File me chercher le commandant d’Hyperborée.
Hermès hausse les épaules, allume son réacteur dorsal et s’envole.
Pour ne pas perdre la face et sans désobéir à la Très Sainte Mère, Zeus ira en Alcor. Mais pas dans son vaisseau subluminique. Il ira en majesté dans Hyperborée. Le vaisseau-mère ne se posera pas sur l’astroport. Il restera en vol stationnaire au dessus d’Ur, à la verticale du pôle nord, selon la procédure. Avec le trafic qu’il y a en Alcor, la manœuvre sera délicate mais le commandant est le meilleur. Il s’est fait la main en pilotant l’Atlantide. Certes, l’île volante est moins imposante, mais Hyperborée se manie d’un doigt.
Ben voyons ! se dit le commandant, un Titan baraqué qui frôle le décamètre. Sans un mot, il s’incline. On ne discute pas les ordres du patron. Le commandant regagne à grands pas la tourelle de pilotage. Sur son passage, tous s’écartent, les hommes, les anges et même les dieux. Sa haute stature, sa carrure et sa musculature inspirent autant le respect que la pétoche.
Départ sans problème. Voyage sans histoire. Hyperborée a la taille d’une planète, mais se pilote vraiment d’une seule main. Aux commandes du vaisseau-mère, le Titan jubile. D’une seule main, mais la bonne ! se dit-il plein d’amour pour lui-même et pour sa vie.
Héra n’est pas venue. Zeus s’est bien gardé d’insister. Sa légitime n’est pas à l’aise avec la Déesse. Elle reste sur Terra, donc son époux s’en donnera à cœur joie. Zeus le culbuteur fera le voyage dans son lit.
En approche du système d’Alcor, le dieu des dieux sort de son trou. Fringant, parfumé, maquillé de frais, il fait irruption dans la tourelle.
–Tout se passe bien ? lance-t-il au commandant.
–Rassure-toi Tonton, je gère, réponde le Titan avec un clin d’œil.
Il a géré. À travers les astronefs privés et les navettes commerciales, il a taillé sa route jusqu’au pôle nord d’Ur. Là, sous le grand soleil d’Alcor, il a stabilisé l’énorme engin à 200km d’altitude. Le vol stationnaire est géré par les ordinateurs de bord, comme la mise en sécurité du matériel navigant et le déverrouillage des sas d’accès. La routine. Mais le meilleur est à venir, Zeus et son neveu le savent pertinemment.
Leurs regards se croisent. Dans leurs yeux, la joie pétille. Deux gamins farceurs qui pensent à la même chose : la tête que doit faire la Déesse en ce moment !
–Le plus drôle c’est qu’elle te croit mort ! dit Zeus.
Ils éclatent de rire.
Hermès est dépêché par Zeus pour inviter la Déesse. Il a l’habitude, les corvées sont toujours pour lui. Après une bonne heure d’attente, Hermès est enfin reçu. La Déesse ne paraît pas son âge. Sa silhouette et ses traits sont ceux d’une femme mûre, 45 ans en âge humain. Elle est souriante.
-Merci de votre visite, mon cher Zeus. Je sais combien les affaires de Terra vous occupent, aussi n’en apprécié-je que davantage votre célérité.
-Que peut-on refuser à la Grande Déesse, répond Hermès. Mais je ne suis pas Zeus, seulement son messager.
La Déesse réprime un mouvement d’humeur.
-Tu n’es qu’un messager ? Pour régner sur Terra je te trouvais bien jeune...
Hermès explique l’embarras de son maître. De très nombreux témoins sont venus à bord d’Hyperborée. Impossible de les faire tous descendre au Palais Divin. Pourtant il est essentiel que la Déesse puisse les entendre avant toute décision. Aussi Zeus se propose de recevoir Ana sur sa planète vagabonde, Hyperborée.
Si la Déesse est contrariée, cette fois elle n’en laisse rien paraître.
-Il en sera donc ainsi. Dis à ton maître que je viendrai dans trois jours.
Le messager de Zeus s’incline jusqu’à terre et prend congé. Finalement la mission a été facile à remplir.
Les trois jours ont passé trop vite, tant les préparatifs sont nombreux et divers. Leur mise en œuvre réclame la plus grande précision. Elle requiert le sens de la grandeur en même temps qu’une minutie maniaque dans les détails. Enfin l’astronef d’apparat scintille sur Hyperborée, qui baisse doucement ses lumières pour laisser la Déesse resplendir dans les clartés de l’aurore.
Il y a aussi tout autour de l’appareil une foule de choses et de gens qui doivent rester cachés au gré de la mise en scène. Aidé d’Apollon et d’Hermès, Zeus a produit une scénographie de la rencontre. Tout est pensé, prévu, orchestré. Des ballets aériens seront dansés par des nymphes. Une armée d’anges et d’archanges doit sonner dix mille trompettes, cors et cornes à l’instant précis où la Déesse sort de l’habitacle.
Un spot laser argenté l’éclaire seule. La silhouette imposante de Grande Mère Anna se transforme en une sculpture précieuse. La lumière précise élargit lentement sa focale, voici qu’elle éclaire à peine la pénombre autour de la Déesse. Les trompettes se taisent. La lueur laser vire au doré. D’autres taches de lumière dorée illuminent des casques d’or, des chevaux harnachés de pierreries, une foule aussi invisible que silencieuse.
Soudain le parterre s’éclaire d’une paisible lumière. Ana voit surgir des douzaines, des centaines de soldats en arme, légionnaires, chevaliers, pilots d’engins, tous alignés prêt au combat. Elle ne peut retenir un geste de stupeur.
Alors tout s’anime. Une musique céleste enveloppe le vaste plateau, tandis que l’une après l’autre, les légions de guerriers farouches viennent déposer des gerbes de fleurs aux pieds de la Déesse. Un chœur de vierges entonne la plus suave des arias. Mille pétales aux senteurs enivrantes descendent en lents tourbillons de la voûte de cristal. Jamais Hyperborée n’a connu tant de beauté. La Déesse, transportée dans son lointain passé par cette musique qu’elle a reconnue, ne peut retenir les larmes qui roulent sur ses joues.
Sans le savoir, Zeus et Apollon ont composé la réplique de l’Opéra d’Alcor. Tandis qu’ils croyaient créé du neuf, de l’inédit, tandis qu’ils peaufinaient les vers et les chants, quelque malin génie leur soufflait les mélodies antiques écrites jadis par Hénoch pour la Déesse Ana. Le patriarche voyageur ne savait pas le vrai nom de la Déesse qu’on appelait Hathor en ce temps-là.
En voyant pleurer la Déesse, Zeus et son fils ont peur d’aller trop loin. Levant la main, le dieu de Terra interrompt la musique et les danses. Place au récit.
Ma Reine, sublime souveraine des mille étoiles, toi qui règnes au firmament du monde depuis de longues portions d’éternité, la rumeur m’accuse de bien des péchés impardonnables. Ainsi j’aurais tué, dit-on, mon frère Poséidon et son fils, le géant Atlas. Vois comme ils se portent !
Dans une explosion de lumière, Poséidon apparaît chevauchant un triton volant. Le neveu de Zeus l’accompagne en grand uniforme de commandant. Car c’est bien Atlas, le splendide Titan qui a mené Hyperborée jusqu’en Alcor. Ce double coup de théâtre laisse la Déesse sans voix.
Au son des harpes, des lyres et des cithares, le dieu entonne un chant d’une suavité sans pareille. Sa voix vibrante et pleine, tantôt torrent, tantôt soupir, doucement séduit la belle Ana. Zeus a conquis tant d’êtres sur la terre et dans les cieux. La Déesse en est toute attendrie.
-Et ces dieux valeureux, ces anges, ces troupes innombrables que j’aurais noyé sur l’Atlantide, regarde-les, ils sont tous autour de nous ! Vois les onze Titans, mes frères bien-aimés, qui se portent à merveille ! Vois les 13000 anges et dieux locaux comme ils ont guéri vite ! Personne, aucun de tes hommes, aucun dieu local ou non n’a péri dans les flots. Comment Poséidon aurait-il pu se noyer, lui qui commande à l’élément liquide ? Les flots lui auraient fait une bulle d’air pour qu’il y vive sans autre inconvénient. Comment aurais-je pu, moi qui en suis responsable et comptable, anéantir mes troupes, mes cohortes, mes légions ?
-Nul n’a péri que tes ennemis. Ils ont, pour leur part, succombé en grand nombre. Et pour débarrasser Terra de ces dragons pervers, j’ai dû sacrifier l’île volante tombée dans les mains de ces mauvais maîtres. Depuis cette place-forte, ils ont régné trop longtemps sur les deux continents qui l’entourent. L’Atlantide fut perdue corps et biens, mais ces corps et ces biens ne méritaient rien d’autre.
Pour Ana, le spectacle qui se poursuit devient plus personnel, plus réel, et si touchant ! Zeus s’approche d’elle comme un enfant qui va vers sa maman. Qu’est-elle d’autre pour lui comme pour nous tous ?
-J’ai mis à mal mon adversaire le plus perfide, le plus lâche, le plus indigne sans verser une seule goutte du précieux sang qui est le tien, ô Ana, ô notre Mère ! Sans toi, Grande Reine, Céleste Mère, aucun de nous n’aurait vu le jour, qu’il soit humain ou divin. Tu es la première, ta puissance émerveille les Immenses, ta réputation a conquis notre galaxie jusqu’à Grand Central, et ton serviteur, bien modestement, a composé cet opéra pour célébrer ta gloire !
Zeus s’incline.
Alors la Déesse se souvient. Il y a bien longtemps, une dépêche lui était parvenue depuis Terra. Ce même Zeus –qu’il est séduisant !– lui exposait la grande bataille qu’il menait alors contre de gigantesques serpents. Il avait appelé à son aide les Premiers Fils, ces grands reptiles dont la Déesse avait peuplé Terra dans l’enfance de la planète. Les Cyclopes s’étaient valeureusement battus aux côtés de Zeus, Typhon et d’autres monstres avaient été plongés dans l’abîme sans fond du Styx, et c’en fut terminé de cette plaie qu’on nomma la Gigantomachie.
L’abîme sans fond, Ana le connaît bien, elle a bien cru y plonger quand elle était petite. Il s’agit du grand Trou Noir qui anime toute la galaxie spirale. Elle est passée très près de la fin, croyait-elle. Mais elle n’a rien risqué du tout, sauf le ridicule. Le Trou Noir n’était qu’une illusion, un manège de fête foraine créé par les Immenses de grand Central pour tester le courage de la petite Ana. Le test a été concluant puisque la voici, parée de mille splendeurs que sont les mille étoiles de son empire.
Ainsi la guerre contre les Hydres, les Dragons et les Serpents se poursuivait encore ? Elle a peut-être reçu des mémos à ce propos, mais elle en reçoit tant ! -Toujours est-il que ce Zeus mérite toute mon attention, se dit-elle. Invitons-le à dîner ce soir. En toute intimité.
La Gigantomachie, guerre des Olympiens et de leurs alliés contre les Reptiliens, hydres, dragons et autres dinosaures, qui furent les premiers maîtres de Terra.
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