Ce passager-là n’est pas un randonneur. Il n’est même pas humain. Il appartient à la catégorie des invisibles. Mais pas invisible pour un voyant ! Je l’ai perçu dès la première séance de Neoreki. Il planait au dessus de Cristal, une stagiaire que je connais bien. Je sentais quelque chose, et en sortant, je l’ai enfin vu. Silhouette d’un blanc terne, pas de luminosité interne, aucune noirceur non plus. Bizarre autant qu’étrange…
La seule chose pire que d’être aveugle est de regarder sans voir.
Cristal est une habituée d’Eden Saga. Elle a participé à toutes les aventures des Loups Volants. Elle est venue me voir l’an dernier pour un stage initiatique. Et elle revient cette année. Je suis content de la retrouver. Même si elle n’en a pas conscience, elle est sensitive. Elle perçoit les ondes subtiles. Le guerrier reste longtemps incrédule en face de ses dons quand ils émergent. Un doute normal. Salutaire.
Celui qui reçoit tous les dons d’un seul coup, en prenant la foudre ou une décharge électrique par exemple, celui-là court le risque de s’attribuer les mérites de cet éveil. Il n’aura même pas conscience d’un avant et d’un après dans sa vie — qui pourtant saute aux yeux de son entourage. Cristal est une magnifique guerrière. Douée. Modeste. Elle cultive l’humilité mais elle a trop tendance à se justifier.
En tout cas Cristal possède des dons exceptionnels qu’elle fait fructifier avec persévérance. Encore un peu trop de mental, un désir de tout comprendre avec sa tête — erreur trop répandue chez les guerriers. En matière de bio-énergie, la tête n’est pas qualifiée. Le cerveau et ses programmes bugués sont à laisser de côté. Comment lui jeter la pierre ? C’est dur de sauter dans le vide. Seule une folle n’hésiterait pas. Cristal est trop sage pour ça. Sagesse des fous. Folie des sages…
On pue de la tête.
Dès son arrivée le mardi soir, la Cristal de 2022 n’était plus celle de 2021. Très différente de la personne avec laquelle j’avais vécu quatre journées mémorables. Notre entente était parfaite. La différence est sensible. Renfermée, gaffeuse, peu portée sur l’écoute, Cristal bavarde en l’air, toujours à se justifier. L’ego n’est pas en place, c’est le moins qu’on puisse dire. Je suis un peu frustré de n’avoir aucun vrai contact avec elle, que je sens murée dans une tour d’ivoire. Inaccessible. Je mets ça sur le compte d’un excès d’ego. Ce qui m’étonne de sa part. Ça me questionne.
Aurait-elle des ennuis personnels ? Possible. On s’écrit souvent, elle n’en a rien dit. Ces ennuis sont-ils si perturbants qu’ils se manifestent par cette présence astrale au-dessus d’elle ? Ce passager est un vampire subtil qui suce son énergie et masque sa joie de vivre. Qu’a-t-elle fait de son dynamisme ? J’avoue que ça déteint sur moi.
Je n’aime pas cette hypothèse de vampirisme astral. La chose n’aurait pas cette couleur. Elle serait plus foncée. Or elle est blanche. Sans lumière, mais blanche quand même. Qu’est-ce que c’est au juste ?
« Il y a trois sortes d’êtres, si l’on en croit Lewis Trondheim.photo ci-dessus Les vivants, les morts et les invisibles. » Voici un passager de la troisième catégorie. Il faut un nagual pour le voir. Le sait-il ? Pourquoi vient-il ? Que fait-il là ? Veut-il être vu ? Comprend-il celui qui le regarde ? Attend-il quelque chose ? Drôle de truc. Est-ce au moins vivant, sinon conscient ? Fantomatique, spectral, mais sans danger.
Je suis calme. La chose aussi. Indifférente, immobile, silencieuse, elle plane au-dessus de Cristal, ma stagiaire. Jamais vu un machin pareil — et pourtant j’en ai vu des trucs impossibles. S’ils sont noirs, méfiance. Violemment dangereux. Des crotales, des black mambas, des serpents-minutes. S’ils sont lumineux, jaune pâle ou blanc brillant, ils sont bénéfiques. Bienveillants. Ils peuvent te faire des cadeaux. Les dangereux en font aussi, mais c’est pour mieux te baiser la gueule.
Celui-ci ne ressemble ni aux uns, ni aux autres. Le passager de Cristal est blanc comme les brillants, mais pas le bon type de blanc. Trop terne, il est éteint comme le petit navire. Le nom de ce passager me vient : c’est un poltergeist.
Poltergeist — de l’allemand Poltergeist ; poltern, faire du bruit et geist, esprit. Phénomène paranormal de bruits divers, déplacements, apparitions ou disparitions d’objets comme des bibelots, meubles, véhicules… (source)
Ce poltergeist-ci est strictement silencieux. Il ne bouge pas non plus. Il ne fait rien bouger dans la pièce, il se contente d’être là. Et bien là. De plus, il me fait de l’œil et ça me titille le bide.
S’il est immobile et silencieux, ce n’est pas un poltergeist. Ce truc appartiendrait plutôt à la famille des ectoplasmes. Certains sont tout à fait visibles, d’autres ne sont vus que par ceux qui ont le don. Ceux dont le 3e œil est ouvert. Encore mieux s’il est grand ouvert comme le mien.
Et justement, Cristal n’a pas ce don. Vu ses progrès, je pense que ça viendra vite, mais là, nib. Ectoplasme ou autre, Cristal ne l’a pas vu. Elle en a senti les effets, mais d’une façon confuse, aux franges de la conscience. Elle se trouve, il est vrai, dans un état spécial, en étroit contact avec des phénomènes inconnus. Elle vient de plonger dans la réalité non-ordinaire que décrit Castaneda.
Ectoplasme — du grec ektos : au-dehors et plasma : forme — apparaît vers 1895 pour désigner une une substance de forme variable et de nature inconnue produite par un médium en transe. (source)
L’ectoplasme serait produit par un médium en transe ? Allons bon ! Aurais-je pu produire ce machin ? Pourquoi pas ? Je suis médium, même si le mot m’agace. Mais je ne pratique pas le spiritisme. Et je n’étais pas en transe. Quoique… La pratique du Neoreki a des effets étonnants, sur le stagiaire comme sur moi. Alors on ne peut rien écarter.
Je n’ai pas de planche ouija, je ne dessine pas de pentacle sur le sol, je n’invoque personne, la seule bizarrerie que je pratique est le pendule. Héritage de mon benefactor. Et surtout : clin d’œil au professeur Tournesol. Je ne suis pas non plus un chamane ni un sorcier,tiens-le toi pour dit, ami AA même ça m’échappe quelque fois. J’appartiens au clan du Loup. Une appartenance discrète. Depuis le départ de mon benefactor et celui de mon alter ego, je ne connais aucun autre membre de ce clan. Je n’ai jamais assisté à la moindre réunion secrète ou non, je n’y connais rien, mais je comprends avec mes tripes. Je suis un Loup, c’est comme ça. J’ai fini par l’admettre.
Ceci dit je connais quelques-uns de mes pouvoirs magiques — rien de magique là-dedans, c’est de l’énergie sur une certaine fréquence. Des micro-ondes et des ondes scalaires, selon moi.
Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie.
Je suis capable d’émettre des formes, des silhouettes — certains témoins diront des entités, des êtres. Une sorte de démon grimaçant est sorti de ma tête à plusieurs reprises. C’est du passé mort et enterré. Seuls les voyants ont pu le voir. Les autres ont senti une présence dangereuse — ou juste un malaise, ou rien du tout — selon leur degré de conscience subtile.
Là, pas de malaise. Rien de dangereux dans cet ectoplasme ou quel que soit le nom qu’on veut lui donner. Rien d’inquiétant. Aucune menace ni pour Cristal ni pour moi ni pour qui que ce soit. C’est plutôt un écran protecteur. Comme si Cristal souhaitait se cacher derrière un paravent. Invisible pour la plupart, cet écran la protège en toute discrétion. Sauf que je l’ai démasquée.
Le lendemain, avant le deuxième séance de Neoreki, je vais débarrasser Cristal de ce truc qui la colle. Quoi que ce soit. D’où que ça vienne. Nous en avons longuement parlé, elle est du même avis. On a fait le noir complet dans la pièce : juste la lueur d’une bougie. Elle s’étend sur la table de massage. Son passager est là, bien visible dans la pénombre mouvante.
Je fais des photos. Une tapée. En cliquant, je regarde l’écran : l’ectoplasme est visible ! Youpie !! Il y avait très peu de chances que ce soit le cas. J’ai eu tort de me réjouir si vite. Après examen, les photos ne révèlent rien d’anormal. Ce que j’ai vu sur l’écran n’a pas marqué — ce qui semble impossible. Je dois absolument m’équiper d’une caméra Kirlian.voir ci-dessus un exemple de photo Kirlian
Ce procédé permet de photographier les auras. Imparfaitement : je les vois mieux que ça. Et pas toujours des mêmes couleurs. Mais au moins les réalités invisibles laissent une trace pour clore le bec aux sceptiques. Ils ne croient qu’en la science, mais ils ignorent que la magie d’hier est la science d’aujourd’hui. Et la science de demain expliquera beaucoup de phénomènes que nous tenons aujourd’hui pour magiques — donc bidonnés, impossibles, superstition, délire, truandage, trucage, maquillage et magouille.
Les novateurs qui y croient pratiqueraient la pseudoscience, d’après Wikimerdia. Est-ce notre faute si la science se renie ? La pseudoscience est plus honnête dans son questionnement. Nous sommes les lanceurs d’alerte. Vilipendés un jour et triomphants toujours. Les tenants de la fausse science devraient relire Rabelais, pour méditer sa forte sentence : science sans conscience n’est que ruine de l’âme.
J’ai pris une petite bouteille ovale munie son bouchon bien hermétique. Je me suis mis dans la tête d’attraper ce machin en le faisant entrer dans la bouteille. J’y ai pensé cent fois cette nuit, pendant mes micro-insomnies. J’ai de multiples réveils où je pense ne jamais pouvoir me rendormir — ma tête est claire, trop lucide, mon esprit est alerte, je suis tout à fait réveillé — et je sombre dans le sommeil d’un seul coup.
Donc je sais ce que je veux : que ce machin entre dans ma bouteille. mais je ne sais pas du tout comment y parvenir. Je débouche ma petite bouteille. Le bouchon dans une main, la bouteille dans l’autre. Je dirige le goulot vers le passager clandestin.
Aussitôt il plonge dans la bouteille. Lit-il mes pensées ? Saisit-il mon intention ? Je le vois qui rentre et hop ! je referme le bouchon. Cristal est débarrassée de son parasol blanc. Il est dans ma bouteille. Dans ses souvenirs, elle m’écrit qu’elle n’a rien senti de particulier à ce moment là. Elle se trompe.
Sur le moment, j’ai vu la couleur de son aura changer pour devenir plus lumineuse, tandis que s’éclairaient les traits de son visage. Ses yeux semblaient s’éveiller d’un long sommeil. Après coup, elle n’en a pas gardé le souvenir. Mais je sais ce que j’ai vu. Je sais qu’elle a bien senti une légèreté soudaine. Comme libérée d’un grand poids. Elle me répond que non, le soulagement est venu plus tard. Après avoir rempli la mission que je lui ai confié.
La mission était simple. Descendre au port — ce qu’elle fait au pas de course — et flanquer la bouteille dans l’eau de l’arrière port, le plus loin possible pour que le génie s’enfonce dans la vase sans que le verre éclate sur les rochers — ce qu’elle a brillamment réussi. Cristal me l’a confirmé en remontant, à peine essoufflée, mais rayonnante. Le génie de la bouteille va rester prisonnier là-dedans pour une portion d’éternité.
À cet instant, tout change. La glace est brisée, le rire s’invite, l’humeur devient cordiale. Dans l’atmosphère chargée d’adrénaline plane une joyeuse excitation. Le kashmiri masalacurry du Cachemire que j’adore préparer de midi est sublime. Nos esprits pétillent, les suppositions vont bon train. Est-ce quelqu’un qui en veut à Cristal ? Un amant éconduit ? Il faudrait un ennemi capable de ce genre de prouesse : émettre un ectoplasme à grande distance — Cristal vient de loin. Mais nous n’arriverons pas à trouver une piste qui nous satisfasse.
Le reki de l’après midi est un régal pour nous deux. L’énergie circule, belle et franche. La lumière est partout dans cette pièce faite pour elle. Et nous passons une merveilleuse soirée. Le sujet principal de notre échange, vous l’avez deviné.
De retour chez elle, Cristal m’a écrit ceci :
Quand je suis arrivée chez toi, j’ai vu que quelque chose n’allait pas. J’étais dans l’incompréhension parce que je ne pensais pas à mal. Je me suis dit : « énervé, le Xavier ! » Je me suis efforcée de faire profil bas pour ne pas te contrarier.
Je faisais tout faux. Plus je voulais être prudente, moins j’étais naturelle et plus tu me reprenais. J’en arrivais même à ne plus t’écouter pour préparer une réponse correcte.
Quand tu as évoqué ce voile au dessus de moi, tu as suggéré que quelqu’un aurait pu me le jeter. Je suis tombée des nues. Le lendemain au moment du rituel, je n’ai pas senti la libération. Ni rien d’autre d’ailleurs. J’étais pressée de me débarrasser de cette bouteille. Au moment du repas, j’ai ressenti une grande légèreté, une grosse fatigue aussi — comme si le reki de la veille avait un effet retard.
Le voyage du retour a été perturbé mais je suis restée vraiment sereine et calme.
Avant de publier ce témoignage, je l’ai fait lire à Cristal. Voici ce qu’elle m’a répondu : Formidable, ton rendu de l’aventure est très en accord avec les articles que j’adore lire dans Eden Saga. Merci.
Apparemment elle est d’accord. Ça s’est passé comme j’ai raconté. Passionnant !
Franchement, à l’heure où j’écris ces lignes, je ne sais plus quoi penser de ce passager clandestin. Peut-être que ça venait de moi, d’où la grande facilité pour le capturer dans ma bouteille. Mais il y a le soulagement de Cristal après avoir jeté la bouteille à la mer. Débarrassée du passager clandestin, elle a retrouvé sa légèreté. Il est vrai que mon humeur avait changé aussi. J’étais soulagé. Ce qui peut expliquer sa légèreté retrouvée.
Bye, Cristal. À bientôt pour d’autres aventures.
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