Il y a mille ans, les pèlerins se pressaient en nombre sur les routes et les chemins d’Europe. La grande peur de l’An Mille avait boosté leur dévotion. Ils allaient à Compostelle, à Rome, et surtout en Terre Sainte. Les routes d’Orient étant peu sûres, il ne se passait pas de mois sans que des pèlerins soient dépouillés ou tués par les Maures.

 

Dieu le veut !

Aussi, dès 1095, le pape Urbain II prêcha la première croisade. Il demanda aux chrétiens d’occident de prendre les armes pour porter secours aux chrétiens d’orient.

Non nobis, domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam ——– Pas pour nous, seigneur, pas pour nous, mais pour la gloire de ton nom

Devise templière

 

Au cri de « Dieu le veut ! » tous ceux qui prirent part à la croisade furent marqués par le signe de la croix, devenant ainsi les croisés. Notons que la croix pattée des Templiers n’a que bien peu de rapport avec celle d’un certain Jésus. Incertain, c’est le mot. Les quatre branches sont égales, comme sur toutes les croix pré-chrétiennes. Et la forme évasée, pattée qui plus est, est bien éloignée de l’instrument de supplice — qui du temps des Romains ne ressemblait pas à un crucifix, mais à la lettre T. Les croisés du Temple roulaient pour Rome et pour l’or.

Le 15 juillet 1099, sous la conduite de Godefroy de Bouillon, les troupes croisées prennent Jérusalem. Acclamé par ses pairs comme le roi de Jérusalem, Godefroy de Bouillon prend possession du Saint-Sépulcre. Quelques gens d’armes se mettent alors au service du patriarche pour assurer sa sécurité. Bientôt le besoin se fait sentir d’une milice armée qui protégerait les pèlerins.

 

La milice du Christ

Ainsi naquit la milice du Christ, première version de l’ordre du Temple. Elle prend ses quartiers dans les bâtiments du Temple de Salomon à Jérusalem. Autour de Hugues de Payns, elle rassemble sept valeureux chevaliers qui ont pour nom Geoffroy de St-Omer, André de Montbard, Payen de Montdidier,était-il croyant ce païen-là?  Geoffroy Brisol de Frameries, Rolland de Provence, Archambault de Saint-Amand et le mystérieux Gondemare.

Grâce à des contacts mauresques, Gondemare fait une folle découverte. Un érudit de ses amis lui remit une liasse de papyrus où des textes étaient rédigés en copte et en grec. A l’époque, la noblesse parlait latin et lisait couramment le grec. Les Chevaliers n’échappaient pas à cette règle.  Certes, l’antique calligraphie les rebuta un peu, mais le texte était trop captivant. Ils déchiffrèrent avec passion des récits de voyages sur des routes maritimes oubliées, vers un lointain continent où l’or, l’argent et les pierres précieuses se récoltaient à foison. Et vint pour eux le temps du Rêve.

 

 

La carte aux trésors

Jointe aux parchemins, ils déroulent une peau de mouton où est peinte une carte marine. Une véritable carte aux trésors. L’océan Atlantique y présente ses deux rives, la route des Alizées y est bien indiquée, jalonnée de roses des vents. Sur le continent d’en face, on voit les emplacements de mines d’argent et de pierres précieuses. Les Chevaliers avaient lu Platon, ils se souvenaient du Timée et du Critias, ses dialogues fascinants. Le nouveau continent de Cocagne serait-il l’Atlantide du philosophe

Issus de la noblesse aisée, les chevaliers méprisaient les richesses. C’est l’aventure et la découverte qui les grisaient. Mais pour l’heure, ils ont d’autres urgences. Leur nombre est insuffisant, il faut transformer leur milice en ordre religieux. Bernard de Clairvaux, le futur Saint Bernard, plaide leur cause auprès du pape qui ne perd pas le nord et prend aussitôt les Chevaliers sous sa protection directe. En 1129, le Concile de Troyes entérine la création d’une congrégation anti-charitable, surréaliste et bien peu chrétienne : des moines soldats.

Tels les moines de Shao-Lin, les Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon sont les rois de la castagne. Ces étripeurs de Maures mandatés par le pape taillent en pièces dans la journée, pansent les blessures le soir, et la nuit prient pour le salut des âmes de leurs victimes. Juste ciel du très saint nom de Dieu!!Il y a là-dedans quelque chose qui déconne grave. Voilà où ça mène de se prétendre Dieu d’Amour alors qu’on est Sabaoth, Dieu des Armées

 

Travaillent-ils pour Jésus ou pour Rome ?

Doux Jésus ! Qu’y a-t-il de commun entre son message d’amour et ces soudards qui tranchent et qui taillent ? On se souvient du mot de Jésus sur les bagarreurs : « qui brandit l’épée périra par l’épée. » On se souvient de son rejet de la chose politique : « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Il est vrai que le luxe des Papes est à l’opposé du dépouillement de Jésus qui n’avait « pas même une pierre où poser la tête. » Mais tout de même… il y a anguille sous roche. Milice du pape,  les Templiers garantissent d’abord la paix romaine.

Les Templiers sont un ordre chrétien de moines-soldats qui dépend directement du pape, c’est à dire de Rome. Ils représentent le nouvel empereur, et à ce titre, ils lèvent même des impôts. Très vite l’ordre du Temple va devenir la première fortune et la première puissance européenne. 

 

 

La banque moderne

Les Chevaliers du Temple servent d’escorte et d’organisateurs de voyage pour les pèlerins, ce qui fait d’eux les premiers G.O. de l’histoire de France. On pouvait les reconnaître de loin à leurs blancs manteaux frappés de la croix pattée rouge.voir plus haut Quand les pèlerins voyaient surgir ces silhouettes familières, ils se savaient sauvés. Bientôt les Blancs-Manteaux possédèrent une flotte de navires marchands qui servaient aussi bien au transport des pèlerins que des marchandises.

Tout au long de la route terrestre ou maritime, il se trouva bientôt des templeries et des commanderies offrant aux pèlerins sécurité, gîte et couvert – et même, au besoin, regarnissant leur bourse en bons écus sonnants et trébuchants. Les Templiers étaient implantés dans toute l’Europe : chaque pèlerin, avant de partir, se rendait à la commanderie la plus proche pour y verser une somme, il recevait en échange un billet à ordre valable dans n’importe quelle templerie d’occident ou d’orient.

Ces « chèques de voyage » évitaient le risque d’emporter de l’or, ils eurent un vif succès. Sur cette idée toute simple s’édifia le colossal empire du Temple, et se constitua son fabuleux trésor. C’est ainsi que les Templiers ont inventé la banque et sont devenus Grands Argentiers des Rois de France, c’est à dire bailleurs de fonds.

 

Le printemps des cathédrales

Ils furent aussi des bâtisseurs, de quelle qualité, et sur quelle échelle ! Sous leur impulsion, l’Europe s’est couverte d’un blanc manteau de cathédrales…

Mais aussi de chapelles, d’églises, de commanderies, de basiliques, d’abbayes et d’oratoires qui marqueront à jamais le paysage européen. Financés par l’argent du Temple, le 12e siècle fit de l’Europe un vaste chantier à ciel ouvert.

Véritable pré-renaissance des arts, ingénieries et artisanats, ce fut le printemps des cathédrales, selon l’heureuse formule de mon ami le maître cartier Jean-Claude Flornoy, qui fut aussi mon benefactor et mon initiateur.

Deux siècles durant, une intense activité bâtisseuse apporta la prospérité et la paix. Besace au bout d’un bâton, outils en bandoulière, les compagnons maçons, charpentiers ou imagiers allaient de ville en ville. Un chantier rassemblait parfois plusieurs milliers de compagnons. Ce qui allait devenir le plus grand chantier d’Europe fut d’abord une école traditionnelle de construction sacrée.

 

 

Les initiés bâtisseurs

Car les compagnons, sous l’influence de la spiritualité templière, ont redécouvert par-delà les millénaires l’antique science mégalithique de la construction sacrée. Ils ont retrouvé l’art de bâtir avec l’énergie, l’art de canaliser dans la pierre les forces cosmo-telluriques, l’art de changer le verre en lumière et la pierre en prière. Mais pour construire toutes ces nefs de pierre, il leur fallait toujours plus d’argent. Quoique confortables, leurs bénéfices bancaires joints aux dons des fidèles ne suffisaient plus.

À partir de l’an mille, trois siècles d’une incroyable prospérité allaient suivre, une période de paix, de culture et d’abondance pour une Europe unie dans la paix du Christ… ou celle de l’empereur Constantin, la Pax Romana.

Comme les compagnons, les étudiants de tous pays allaient de ville en ville pour suivre leur maîtres, tous enseignants itinérants. La Sorbonne fut construite à Paris pour leur servir de résidence universitaire : le système Erasmus fonctionnait à merveille il y a un millénaire ! Il n’y avait pas de frontière en Europe. On y parlait une seule langue, le latin, d’Amsterdam à Salamanque. Les diplômes étaient valables dans toute l’Europe et les débouchés ne manquaient pas.

 

Leur plus beau port

Il n’est pas exagéré de dire que toute l’Europe était en chantier. Ce ne sont pas seulement des édifices religieux qui sont bâtis, ce sont aussi des ponts carrossables, des routes empierrées, semées de commanderies et de chapelles autour desquelles se développent des bourgs prospères. Sur ces routes, les Chevaliers font la police.

Ils ont aussi bâti des ports où leur flotte s’étoffe. Trois ports sur la Méditerranée pour desservir l’Orient, un port en Normandie pour desservir l’Angleterre. Mais leur plus beau port, celui vers lequel converge le plus grand nombre de voies templières, est incontestablement le port de La Rochelle.

Que desservait-il de si précieux?

 

 

Le mystère de La Rochelle

« La présence des Templiers à la Rochelle remonte à la naissance de la ville. Dès 1139 ils reçurent d’Aliénor d’Aquitaine des moulins à eau situés à l’embouchure du cours d’eau de Lafond ainsi que des terrains au centre de la ville. C’est là qu’ils établirent leur commanderie, face au port dont ils n’étaient séparés que par la muraille de la Grand-Rive. »

Fortifié plus tard par Vauban, le port templier est déjà constitué d’un vaste bassin protégé, et il bénéficie de la proche présence du plus grand chantier naval de l’époque. Les Templiers y avaient constitué la flottille la plus importante d’Europe. Vers ce nœud maritime, la majorité des larges routes templières convergeaient en étoile depuis toute l’Europe. Alors ? Pourquoi ?? Comme son nom l’indique, un port est une porte. Vers quel pays menait donc cette « porte » de La Rochelle ?

Aussi incroyable que cela puisse paraître, le port de La Rochelle était la porte de l’Amérique. Eh oui, quatre siècles avant Cristophe Colomb, les Pauvres Chevaliers  avaient trouvé la route de Golconde et d’Eldorado, la voie royale des trésors de Cipango.

 

Les Conquérants

par José María de Hérédia

 

Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d’un rêve héroïque et brutal.

Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde Occidental.

Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L’azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d’un mirage doré ;

Ou, penchés à l’avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles.

 

 

Pris pour des dieux

La carte découverte en Terre Sainte leur avait réouvert la route transatlantique. Blancs, barbus, épuisés par les mois de traversée, ils débarquent en Amérique où les indigènes les prennent pour des dieux. La situation est récurrente dans l’histoire… Sans vergogne, pour la plus grande gloire de Dieu, les Chevaliers du Temple ont montés des exploitations minières au Mexique et dans les Andes (Jacques de Mahieu, Les Templiers en Amérique).

Bientôt les premiers galions chargés d’or et de pierres précieuses ont fait route vers la Rochelle. 

À la tête d’une fortune incalculable,
le Temple est la première puissance européenne.

 

Le Temple du Soleil

Trois siècles plus tard, réfugiés au Portugal, les Templiers dont l’ordre avait été dissout par Philippe le Bel possédaient encore de jolis restes. Christophe Colomb n’est pas parti directement de la péninsule ibérique pour faire route transatlantique. Il est allé d’abord à La Rochelle. Pourquoi faire? On se le demande…

En parlant de secret, aussitôt je pense bande dessinée. Quand Tintin se rend en Amérique du Sud, il est fait prisonnier dans un temple secret où sont retirés des Incas. Un temple dédié au Soleil, au grand Soleil Invaincu qui brillait jadis dans le ciel du nord. Et si Hergé nous parle du Temple du Soleil, c’est par allusion à l’Ordre du Temple et au Soleil que retient la pierre Intiwatana de Macchu Pichu.

Dans un album des plus initiatiques, Hergé l’intitié aurait-il voulu réunir Hyperborée avec les Templiers ? Au-delà de la fantaisie voulue pour des jeunes lecteurs, bien des pistes initiatiques y sont ouvertes. N’oublions pas que son meilleur ami et collaborateur était Edgar Pierre Jacobs, un initié lui aussi, qui aurait en son temps fréquenté un des cercles théosophiques de Helena Blavatsky.

  

 

Xavier Séguin

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Xavier Séguin

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