Entre l’éveil et la folie il y a moins qu’un battement de cils. Entre la folie et l’internement il n’y a que la décision d’un homme, qu’il soit juge ou médecin. Celui-là n’est pas un compagnon selon la Tradition. Un maître moins encore. Par lui ne passent que ceux qu’il déclare malades mentaux, c’est à dire non conforme à la norme admise. Ces gens-là sont un danger pour la société des zombis. Sans rancœur ni sans peur je veux vous conter ce qu’on appelle un passant.
Les normes changeront, l’arbitraire restera. Les temps passeront, les passants resteront. Mais qu’est-ce donc qu’un passant ? Il y a deux définitions. Un passant est quelqu’un qui passe, c’est aussi quelqu’un par lequel on passe. Le compagnon est dit passant quand il tient des deux attitudes. Bien souvent il ne fait que passer, mais si d’aventure il est reconnu pour ce qu’il est, il se doit de livrer passage à celui qui l’identifie. C’est à dire qu’en passant à travers lui, on peut atteindre l’autre monde, l’autre côté de soi-même. Ainsi le compagnon devient-il passant. Pour lui, livrer passage est un devoir sacré. Aussi s’appelle-t-il passant du devoir.
Cette définition est secrète. Le titre de compagnon passant est donné dans le compagnonnage à tous les membres de la compagnie des bâtisseurs, qu’ils soient menuisiers, charpentiers, vitraillistes, verriers, imagiers, plâtriers, tailleurs de pierre etc. Ils sont les aînés médiévaux des compagnons du devoir, que l’on nomme aussi compagnons dévorants. Aucun d’entre eux ne se souvient du sens sacré du compagnonnage. Au lieu d’être ouvert pour livrer passage au requérant, le compagnon vit enfermé près de la Mère, en contact exclusif avec d’autres bâtisseurs profanes.
Ces bâtisseurs se croient dévorants — dévorant ou devorant signifie du devoir.
Dévorant, nom masculin (pour une femme, on dit : dévorante) Compagnon du devoir. Note : souvent en jeu de mot avec dévorer. « Tonayrion est un dévorant, je suis un dévorant ; il est vrai qu’à ce métier nous n’avons guère dévoré l’un et l’autre que notre fortune. » (source)
Cette blague ! Prisonniers de l’argent et de la matière, ils bâtissent avec la pierre, le bois, le métal et le verre. Ces gens de métier sont très doués, très qualifiés, mais ils ne bâtissent plus avec la pâte humaine. Ils ne connaissent du devoir que la définition exotérique, ordinaire, extérieure, profane. Le sens ésotérique profond est réservé à un petit nombre de chercheurs qu’on nomme initiés. Maître dévorant je suis, qui n’a jamais dévoré personne.
Les dévorants dont je parle ici sont d’authentiques hommes de connaissance. Par leur intermédiaire, le guerrier peut recevoir l’éveil. Ce n’est pas un don gratuit. Il y faut constance, application, renoncement. Constance car sans la continuité de l’effort, ce monde sur le déclin ramène vite le meilleur guerrier à l’état de zombi consommateur de merdes diverses. Application car ce type de quête ne se fait pas en dilettante. Il faut s’y consacrer de tout son cœur, de tout son corps et de toute son âme. Renoncement car la société de consommation encourage les rires, les moqueries imbéciles et toute autre bassesse. Il est alors facile de douter. Ce doute-là n’est pas salutaire, mais un poison mortel pour l’âme.
Je suis maître passant. Pendant une quinzaine d’années, à la suite de J-Cl Flornoy, j’ai aidé les stagiaires au niveau de l’arcane XII Le Pendu à se remémorer leurs engrammes et effectuer leur nettoyage en transe profonde. On l’appelle l’arcane XIII. Ce rituel se rapproche de l’exorcisme. Il permet de se libérer de chaînes qui pèsent lourdement sur l’évolution intérieure. Les engrammes obstruent le chemin d’éveil. La kundalini ne peut monter dans le canal central sushumna, obstrué par des caillots engrammiques.
Cette pratique est devenue inutile : les nouvelles générations n’en ont plus besoin. Leur nettoyage des engrammes semble s’effectuer sans aucune aide extérieure et qui plus est sans remémoration. Ce qui n’est pas malheureux ! Rien n’est plus déplaisant que la remémoration. On bouffe ses engrammes à la petite cuillère, selon la formule de Flornoy. Ce faisant, on éprouve une profonde sensation de dégoût. Mon benefactor est le premier maître passant du Clan du Loup. Flornoy le dévorant a ré-initié cette lointaine tradition dans le paysage contemporain. Que soit bénie sa mémoire pour ça comme pour le reste.
Il faut avoir pour agir et non agir pour avoir.
J’ai de bonnes raisons de me croire fou. Comme la plupart des éveillés, je suis de l’autre côté de la raison pure. La folie me tient, et je m’y trouve bien. Cette folie n’est pas imaginaire. Elle est bien réelle. Pourtant rendue inoffensive par le contrôle que j’exerce sur elle à chaque instant. J’appartiens à la tradition des Loups. Les Druides à celle des sangliers. Aux sangliers à qui les Loups sont par le sang liés. Comme nos cousins les Druides, les maîtres dévorants, ou maîtres passants du devoir pratiquent la folie contrôlée. La folie est un outil précieux de connaissance de soi-même et des autres. Contrôlée, elle perd toute dangerosité pour soi-même comme pour les autres. Encore faut-il avoir la force nécessaire pour maintenir le contrôle.
Nous cherchons tous quelque chose. Et la folie est le moyen le plus rapide de l’obtenir.
Oui, la folie. Certes, certes. Mais l’éveil est plus avantageux. Il se sert de la folie, mais il la met en cage. À la condition nécessaire que cet éveil soit le fruit d’un travail sur soi. L’éveil n’est pas un processus unique. Il peut se produire de bien des façons. On distingue deux catégories : le résultat d’un travail sur soi ou la conséquence d’un accident. On m’objectera que j’en oublie une : l’éveil de naissance. L’omission est volontaire. Je suis intimement persuadé que tous les humains naissent éveillés. La vie se charge de les endormir plus ou moins vite.
Je me suis réveillé pour voir que tous les autres dormaient encore. Alors je me suis rendormi.
Par chance ou par destin, certains êtres se souviennent de leur condition d’éveillé. Aussi s’attellent-ils à la lourde tâche de retrouver cet état initial. Pour ma part, j’ai dû m’y reprendre à trois fois. Par accident d’abord, puis selon mon intention consciente.
Je sais qu’il y eut des époques où la quête de l’éveil était une réalité pour toute l’humanité. Le premier véritable christianisme — le culte d’Isis — en est la parfaite illustration. Les choses ont bien changé. Le christianisme actuel fait tout pour empêcher ses ouailles de s’éveiller. Toutes les religions endorment. Dans cette société planétaire et bouchée, les éveillés sont très mal considérés. Ceux qu’on a jugé non conformes à la norme représentent un danger pour le peuple des zombis. La populace des soumis, des prisonniers, des morts vivants. Regarde autour de toi. Que vois-tu d’autre ?
Toutes les religions ont raison dans ce qu’elles affirment, et tort dans ce qu’elles nient.
Bien sûr, il y a de faux cinglés, de vrais rigolos qui promènent des géants de carton à travers la ville pour le carnaval, en souvenir sans doute des vrais géants qui habitaient autrefois dans ces régions. Il y a aussi des excentriques, des allumés chelous qui s’habillent en enchanteur Merlin, vraie barbe et vrai délire, pour poser leur vieux cul sur la pierre de seuil de la fontaine Barenton en Brocéliande. Ou qui se déguisent à la nuit tombée pour donner vie aux légendes locales. Ou qui tracent des crop circles pour attirer les touristes.
Il est un moment qui n’appartient ni à la nuit ni à la journée, très propice à toutes les folies. C’est l’heure des fous.
À l’heure où descend le crépuscule, quand le jour s’éteint et que la nuit vient, dans ce no man’s land flou qui recouvre tout, seuls s’aventurent les imprudents. C’est l’heure des geks,pour les Tibétains ! l’heure des invisibles.
L’heure des geks est une expression traditionnelle du Tibet qui désigne expressément le crépuscule, comme nous disons entre chien et loup. Il se trouve que ce même mot gek signifie quelque chose de fou en Néerlandais. Ik ben gek, littéralement « je suis fou« . L’heure des geks est aussi l’heure des fous.
Les vieux savent qu’il ne fait pas bon s’y risquer. Tout peut prendre une autre forme, une autre force, une autre apparence. La réalité du grand jour est morte. L’empire de la nuit noire n’est pas né encore. Tout peut arriver. À cette heure, la nature se tait.
Le monde de la journée n’est plus, celui de la nuit n’est pas encore. On n’entend ni ne voit aucun animal, qu’ils soient diurnes ou nocturnes. Au crépuscule, disait Don Juan Matus, il n’y a pas de vent, pas de cris d’oiseaux, pas de silhouette au loin. À cette heure-là, il n’y a que du pouvoir. Ni chien ni loup à l’heure des fous. Mais les esprits rôdent à l’heure du pouvoir. La vie est en suspens. La mort guette.
C’est l’heure de l’Ankou, vieillard sinistre porteur de la faux et sonneur de crécelle. Il apporte la mort dans les plis amples de sa robe noire. Il sème autour de lui la désolation et l’effroi. Je ne l’aime guère. Nous n’appartenons pas au même cycle, lui et moi. Ancien voyant — viejo vidente selon Castaneda — l’Ankou vient des brumes d’un lointain passé — trop lointain pour qu’on s’y sente à l’aise — pas assez lointain pour que ses sombres desseins, ses maléfices, menées et sortilèges aient cessé de hanter l’inconscient collectif. Si l’Ankou n’est pas Satan, il est aussi inquiétant. En terre celtique il y a deux princes des ténèbres. Ou davantage ?
J’adore l’amor
J’abhorre la mort
Regarde bien ces trois-là, ce sont nos maîtres. Et si le premier se bouche les oreilles, c’est pour ne pas entendre toutes nos âneries débitées sur la mort. Ils savent combien nous délirons. Le deuxième a la bouche fermée, car il n’a pas le droit de corriger nos erreurs en nous révélant ce qu’il en est vraiment de la vie après la vie. Et le troisième se cache les yeux pour ne pas voir à quel point les vivants déconnent.
Mais quant à toi, initié aux mystères sacrés, prends confiance car divine est d’origine la race des mortels et à ceux qui savent éveiller en leur âme le divin qui y sommeille, la nature dévoile toutes choses.
Veux-tu reconnaître les intentions derrière les êtres et les choses ? Regarder l’autre rive en face ? Devenir un aventurier de l’astral ? Vivre ton rêve en restant au lit ? Construire l’avenir par tes désirs, tes rêves et tes intentions profondes ? Entrer de plain-pied dans le monde de l’Esprit ? Chamaniser ? Guérir ? Aimer sans frein ? Exister vraiment, comme les géants d’antan ?
La peur ressemble à l'ego. Tant qu'on est vivant, on ne s'en débarrasse pas.
Il n'y a pas quatre éléments, mais cinq. Le premier s'appelle l'éther. On l'a oublié…
Oui, perdu. Mais qu'on ne s'inquiète pas, le remplaçant est prévu.
Je vous demande un ultime effort pour sauver Eden Saga. C'est maintenant !!
L’aventure Eden Saga aura duré dix huit années. Reste encore UNE chance, la toute dernière.
Le Yi King nous est parvenu incomplet. J'ai restauré un hexagramme.