Le saint orgasme

Les religions antiques offraient un bon moyen d’élever sa conscience avec quelque espoir d’atteindre un jour l’éveil. Les religions nouvelles se méfient de l’éveil. Elles prêchent une contre-initiation. Elles ont encore raison dans ce qu’elles affirment, mais tort dans ce qu’elles nient. Et ce qu’elles nient le plus fort, c’est le corps.

Il est étonnant de constater que la plupart des religions refusent la débauche, l’exaltation des sens et même le plaisir sexuel sans but de reproduction. Cette involutionou régression est d’autant plus incompréhensible qu’à l’origine, le corps comblé était considéré comme le meilleur instrument d’adoration divine.

Certes, les bonnes mœurs, l’ordre public, la morale, la tranquillité populaire, la docilité des électeurs, l’imbécilité des élites aussi, bref, des tas d’impératifs catégoriques pèsent sur la très sainte œuvre de chair. On l’a remisé au placard du siècle dernier, comme s’il était honteux de prendre du plaisir. Si le sexe peut sembler contraire à la morale, c’est récent. Depuis toujours par contre, il peut se montrer utile dans l’évolution spirituelle.

Le mariage mystique

Nombreux grands noms de l’Islam ont laissé des poèmes érotiques d’un genre sublime. Ils ont décrit leurs extases mystiques en termes sensuels, sexuellement explicites, voire torrides. Cette tendance n’est pas réservée à l’Islam. Des saintes chrétiennes, des nonnes canonisées par le Vatican ont écrit des poèmes érotiques pour décrire leur union avec le Seigneur Jésus.

Est-ce sexuel ? Bien sûr que ça l’est ! Quand une nonne a prononcé ses vœux, elle se trouve unie à Jésus et porte une alliance pour le dire au monde. L’anneau au doigt est un évident symbole sexuel. La nonne est devenue l’épouse de son Dieu.

La chose est communément admise par l’église catholique romaine. Ses exégètes ont toujours voulu voir dans le Cantique des Cantiques un poème mystique célébrant les noces avec Dieu. Ah oui ? Mais ce dieu-là, dites-moi, c’est Éros en personne ! Relisez-le, vous m’en direz des nouvelles.

C’est d’une beauté suffocante de sensualité, de tendresse charnelle et d’amour physique. Oui, sans doute est-ce ainsi qu’il convient d’en parler. Ainsi le mariage mystique devient au moyen-âge une forme commune d’élévation religieuse. De très nombreux saints chrétiens ont connu ce type d’union.

Mais pas seulement des chrétiens. La hiérogamie – du grec hieros, saint et gamos, coït – est un rite antique qu’on retrouve en orient, dans tout le bassin méditerranéen, en Amérique, en Afrique, en Océanie, bref, partout dans le monde et depuis la nuit des temps.

Et ça se comprend. Y a-t-il un plus sûr moyen d’éprouver l’amour absolu ? Donner sa vie pour ceux qu’on aime, comme le crucifié ? J’aime autant donner la vie à celle que j’aime. Hieros Gamos, les Jeux Olympiques de l’Amour. Hallucinant.

L’orgasme total

Cette tendance à sexuer l’élan mystique se retrouve peu ou prou dans toutes les cultures, toutes les religions, à toutes les époques. Car ça tient à la nature même de la relation que vit le corps avec le dieu intérieur, quand il s’incarne. Le corps s’éveille, comme la Belle au Bois dormant sous le baiser du Seigneur Charmant. L’incarnation du dieu est un orgasme qui ne concerne pas seulement le centre sexuel, mais tous les chakras. On l’appelle l’orgasme sacré, ou total.

En s’éveillant, le corps accède à la toute-puissance, vrai nom de l’amour absolu. Il exulte par toutes ses fibres dans une ineffable sexualité. Ineffable, car aucun mot ne peut décrire l’intensité de l’orgasme total. D’où ces innombrables poèmes mystiques qui tentent de le faire, mais faute d’un vocabulaire approprié, ils utilisent celui qu’on réserve d’ordinaire aux rapports sexuels. Car c’est ce qui se rapproche le plus de leur ressenti. Ou bien parce que c’est tout simplement la vérité.

L’orgasme ordinaire laisse l’énergie de la kundalini sortir par le chakra sexuel. sauf dans la pratique du tantrisme. Le projet est de laisser la kundalini se développer le long de sushumna, le canal central où palpitent les chakras. Ainsi, de centre en centre, elle va gagner le lotus aux mille pétales, le centre de la fontanelle, dont l’effusion signifie l’union avec le dieu intérieur.

Le saint esprit descend alors dans le corps sanctifié. Dans un vocabulaire différent, c’est la fusion avec le double. Et hop ! Le monde est stoppé. Le regard a tourné. L’aventure commence. C’est une aventure qui prend la couleur de tous les centres subtils. Une aventure à la fois basique, sexuelle, tripale, émotionnelle, magique, visionnaire et transcendantale.

Mais la passion qui s’empare de notre être n’est pas la pulsion fatale d’une addiction. C’est un libre choix d’aimer, sans condition, sans limite, sans fin. Et ça ressemble fichtrement à une giga nuit d’amour qui n’en finirait pas. Ces noces-là sont les noces alchimiques, le sabbat diabolique qui ont conduit bien des sorcières sur les bûchers de l’Inquisition. Le Diable dont il était question est celui du tarot. Il exprime la montée d’énergie qui prélude à l’éveil. Mais les éveillés font peur aux gens. Et quand les gens ont peur d’un truc, ils le brûlent.

D’accord, ces noces-là n’ont rien de catholique. Mais les bûchers n’ont rien d’humain. Les noces alchimiques n’appartiennent ni au diable, ni au bon dieu. Elles sont une étape sur le sentier de lumière. Elles sont un des arcanes du chemin intérieur que nous avons tous à parcourir, depuis l’incarnation jusqu’à la libération totale, l’état de Bouddha, ou l’arcane Le Mat dans le Tarot de Marseille.

Le mythe d’Aristophane

D’après le mythe d’Aristophane, l’homme primordial était androgyne. Non seulement avait-il les deux sexes, comme tout androgyne qui se respecte, mais son corps était double face : d’une côté un corps d’homme, de l’autre un corps de femme. Deux êtres accolés par le dos. Ce qui pose une question lancinante : comment faisaient-ils caca ?

D’où leur séparation ? Platon ne se prononce pas sur ce point pourtant crucial.

« Jadis notre nature n’était pas ce qu’elle est actuellement. D’abord il y avait trois espèces d’hommes, et non deux comme aujourd’hui : le mâle, la femelle, et en plus de ces deux-là, une troisième composée des deux autres ; le nom seul en reste aujourd’hui, l’espèce a disparu. C’était l’espèce androgyne qui avait la forme et le nom des deux autres, dont elle était formée. De plus chaque homme était de forme ronde sur une seule tête, quatre oreilles, deux organes de la génération, et tout le reste à l’avenant.

Ils avaient aussi une force et une vigueur extraordinaire, et comme ils étaient d’un grand courage, ils attaquèrent les dieux et tentèrent d’escalader le ciel. Alors Zeus délibéra avec les autres dieux sur le parti à prendre. Le cas était embarrassant ; ils ne pouvaient se décider à tuer les hommes et à détruire la race humaine à coups de tonnerre, comme ils avaient tué les géants ; car c’était mettre fin aux hommages et au culte que les hommes leur rendaient ; d’un autre côté, ils ne pouvaient plus tolérer leur impudence.

Enfin, Zeus ayant trouvé, non sans difficulté, une solution, il coupa les hommes en deux. Or, quand le corps eut été ainsi divisé, chacun, regrettant sa moitié, allait à elle ; et s’embrassant et s’enlaçant les uns les autres avec le désir de se fondre ensemble.

C’est de ce moment que date l’amour inné des êtres humains les uns pour les autres : l’amour recompose l’ancienne nature, s’efforce de fondre deux êtres en un seul, et de guérir la nature humaine. Notre espèce ne saurait être heureuse qu’à une condition, c’est de réaliser son désir amoureux, de rencontrer chacun l’être qui est sa moitié, et de revenir ainsi à notre nature première. » (source)Platon, le Banquet, Extraits

L’hermaphrodite parfait

Le mot hermaphrodite vient d’Hermès, nom grec du dieu Mercure, le messager des dieux ; et d’Aphrodite, nom grec de Vénus, déesse de l’amour. On peut considérer que l’hermaphrodite primordial, par son aspect fusionnel était en perpétuel coït… tout en restant ouvert à d’autres rencontres. Ce qui devait pimenter la vie sexuelle du couple-individu.

En résumé, l’hermaphrodite primordial était un partouzeur adepte de l’auto-sexualité permanente. Bref, nous avons une hérédité chargée.

D’une manière générale, l’union charnelle de l’homme et de la femme n’est rien d’autre qu’un hermaphrodite. L’hermaphrodite proprement dit a cela d’effrayant, mais aussi de fascinant, qu’il représente, en un seul corps et une seule personne, une sorte de coït ambulant. L’instant – par définition transitoire – de l’union sexuelle est durablement acquis et manifesté de façon permanente. Alors que l’union spirituelle de l’homme et de la femme, c’est-à-dire, la réunion ou même la fusion des qualités spirituelles masculines et féminines correspond à l’androgyne. Androgyne signifie littéralement « Monsieur et Madame ». Tel est aussi, en grec moderne, l’usage quotidien de ce mot.

La dimension religieuse de l’androgyne, comme symbole de perfection spirituelle, est notamment reconnaissable au fait que dans la plupart des religions, les prêtres et les religieux de sexe masculin portent des robes, c’est-à-dire des vêtements que l’usage profane attribue aux femmes. Dans l’alchimie, l’ultime perspective concernant l’hermaphrodite et l’androgyne consiste à reconnaître que l’union charnelle et/ou spirituelle de l’homme et de la femme a quelque chose à voir avec la pierre philosophale. (source)

C’est pourquoi les Rosicruciens parlent de « noces chymiques ou alchymiques« . Image du phénix, la renaissance à travers la connaissance charnelle.

L’androgyne primordial des Grecs est à rapprocher de l’union permanente de Shiva et de sa parèdre. Pour ses adorateurs, ce coït sacré est le pilier du monde, le lotus de l’harmonie parfaite. Et la hiérogamie, l’union sainte, est le plus sûr moyen d’éprouver la divinité en nous.

Le temple du corps

En Inde, pays mystique s’il en est, de nombreux bas-reliefs antiques exhibent des scènes plutôt crues, qu’on ne s’attend pas à trouver sur un temple. Des hommes, des femmes, des animaux font l’amour dans toutes les positions du Kamasutra. Pourtant me direz-vous, les temples sont des lieux sacrés. 

Oui, en Inde aussi. Mais de quel sacré parle-t-on ? Par le passé, il était joyeusement coquin. Et pas seulement

en Inde. Certaines sculptures de nos cathédrales médiévales sont tout à fait jouissives et réjouissantes. Ces gens-là savaient à quel point l’amour qu’on fait est l’éveil qu’on donne.

L’hindouisme possède un trésor très respectable dans ce Kamasutra. Je l’ai toujours lu comme un manuel d’initiation sexuelle à l’usage des premiers humains qui ne savaient rien. Ce très antique précis de sexe, détaillé, quasi clinique et totalement explicite, n’est plus compris comme il devait l’être. Ce sont les dieux nos maîtres qui l’ont rédigé pour l’édification de nos lointains ancêtres.

Mais oui, les mêmes dieux d’avant que l’auteur du Décalogue. Seulement ceux-là disent exactement le contraire. Il en faut pour tous les goûts. Si vous n’aimez pas ça, n’en dégoûtez pas les autres.

Notre époque est obscène et coincée. D’un extrême à l’autre. Très loin de la salutaire Voie du Milieu. Du coup, nous ne pouvons pas comprendre comment la libre sexualité pourrait être un chemin vers l’élévation spirituelle et l’éveil. C’est pourtant simple. Vérifie par toi-même.

Si tu veux nettoyer ton schéma énergétique et débloquer tes chakras, fais l’amour avec amour. Il faut les deux. Donner, prendre. Offrir, recevoir.

Comme d’autres avant lui, Jésus l’a dit lui aussi. Notre corps est un temple, le seul qui vaille. Tuez-le, il peut revivre au bout de trois jours. Par amour.

Croire sans y croire.

 

Nous vivrons, Oncle Vania. Et dans notre vieillesse, nous travaillerons pour les autres. Et quand notre heure viendra, nous mourrons soumis.
Anton Tchékhov