Un chemin d’éveil

 

À l’âge de 7 ans j’ai vécu des rêves magnifiques. Beaucoup de lumière, des voix douces et réconfortantes, une musique céleste que je poursuis vainement depuis lors. Des réalités futures m’ont été dévoilées. Des merveilles extraterrestres m’ont été montrées, que j’ai trouvé bien belles et bonnes.

 

La gentillesse de mes hôtes célestes n’a rien qui puisse éveiller l’inquiétude. Sans méfiance, j’écoute leurs leçons. Des litanies de faits et de siècles me sont patiemment évoquées, que j’ai tout de suite adoptées. Plus tard, vers mes 12 ans, la brume commence à recouvrir ces pages lumineuses, cinq années heureuses dédiées à la légende dorée.

 

Premier tour

C’est alors que j’ai commencé à guérir les blessures. Il me suffisait de passer la main sur une plaie pour que la peau se régénère. Une fois, j’ai réparé le bras cassé de mon ami Claude S.

On n’oublie rien. Tout ce que j’ai vécu m’appartient à jamais. Les merveilles comme les cauchemars sont engrammés quelque part dans mon corps subtil, qui resteront hors d’atteinte de ma conscience jusqu’à l’éveil. J’ai découvert récemment que j’étais éveillé de naissance, mais à 12 ans je me suis endormi.

Je me suis réveillé pour voir que tous les autres dormaient encore. Alors je me suis rendormi. (Léonard de Vinci)

Il a fallu attendre des années pour que la mémoire me revienne. Cette partie cachée de ma vie scintillait parfois, au hasard d’une émotion, d’une rencontre. Des flashs sans lien ni cohérence. Mais des traces quand même. Les 30 années qui ont suivi m’ont permis de gagner du temps et du pognon. À 42 ans j’ai été initié aux mystères d’Isis. Ma récapitulation était terminée.

En fait elle ne l’est jamais. Aussi transparent que puisse devenir le passé à force de régressions, de transes profondes et de quêtes de visions, il y a toujours des faits oubliés qui se cachent dans les plis du temps. On n’a jamais fini de s’explorer. Le voyage intérieur dure toute la vie, plus longtemps même, et ça craint. 

Ceux qui ont le malheur de commencer trop tard feront la course contre le temps. Perdue d’avance. Quel vieillard peut dire sans rire : « je me connais, j’ai percé tous mes secrets, j’ai exploré toutes mes provinces intérieures, je suis libéré de moi-même et je m’aime » ? J’en suis encore incapable.

 

Deuxième tour

Les enfants sont assoiffés d’amour et de merveilles. En retrouvant l’enfant que je fus et que je suis encore, j’ai gagné des années de vie. Grâce au quatrième amour de ma vie – la chance que j’ai !! – me voici quadra au lieu de septua. Merci à toi. Je m’apprêtais à glisser le deuxième pied dans la tombe, grâce à toi j’ai retiré le premier. Fée que tu es !

Note que j’avais déjà bossé la question. Remémoration, visite des différents sous-sols, nettoyage des combles, curage des cuves, lessivage des sols et plafonds, je n’attendais plus que toi pour les travaux de peinture et autres embellissements. Tu m’as donné beaucoup, et ce n’est qu’un début, je le sais. Je le sens.

Malgré la grande différence d’âge, je te prends souvent pour mon aînée – tant la maturité des femmes écrase la puérilité des mecs. L’enfant que j’étais fait la fête à celui que je redeviens. Est-ce le même ? Pourquoi pas ? Quelle raison d’en douter ?

 

Troisième tour

Jamais deux sans trois.Peux-je ? Oh! Le troisième tour est gratuit. Offert par la maison. Tenez, voici quelques mots du grand Charlot. Je l’aime.

L’humour nous aide à survivre et à demeurer sain d’esprit. (Charlie Chaplin)

Voui. Eden Saga aussi vous aide à survivre. Et à rester sain d’esprit. Voui voui voui. C’est comme ci.

Au troisième tour, on doit reprendre les cartes, battre le jeu et disposer ses tarots dans un ordre inédit. Inné, dis !

Si c’était à refaire ? Je recommencerai. Pas vous ? Repassez le film en arrière. Visionnez les séquences oubliées. Ressuscitez les morts. Ne bombez pas le torse. Gardez un profil bas. Faites-vous tout petit. Priez qu’on vous oublie. Pour vivre heureux, vivez caché. Loin du bruit, très loin de la fureur.

Lâchez prise. Rêvez. Suivez les conseils de Baudelaire, prince des poètes.

Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble 

Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble 
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
(Charles Baudelaire, L’invitation au voyage)
 
Poète de sept ans, j’arpente la Voie lactée. Dans ma hotte pleine à ras bord, j’amasse la poudre d’or que laissent les comètes princières. Des rennes magiques tirent mon traîneau. Saint Nicolas, nique holà, ni cola, non je ne suis pas du rouge étasunien couleur soda, mais tout de vert vêtu comme un fétu. Commun fais-tu ? Peau cible et chapeau vert. Comme une laitue. Commune l’es-tu ? C’est bien possible. 
A sept ans, il faisait des romans, sur la vie
Du grand désert, où luit la Liberté ravie,
Forêts, soleils, rives, savanes ! – Il s’aidait
De journaux illustrés où, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Quand venait, l’œil brun, folle, en robes d’indiennes,
– Huit ans – la fille des ouvriers d’à côté,
La petite brutale, et qu’elle avait sauté,
Dans un coin, sur son dos en secouant ses tresses,
Et qu’il était sous elle, il lui mordait les fesses,
Car elle ne portait jamais de pantalons ;
– Et, par elle meurtri des poings et des talons,
Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.
(Arthur Rimbaud, Les poètes de sept ans)
 
Un petit garçon de trois ans voit des milliers de couleurs dont les adultes n’ont pas la moindre idée. Une petite fille du même âge en voit des millions. Si tu tiens absolument à te réincarner, choisis d’être une femme. Une flamme. Un oriflamme. Annonce la couleur. Sois fière de tes seins. Mène ta barque, bande ton arc, ma jeune Parque des FARC
ma Jeanne d’Arc qui se démarque et qu’on remarque, je t’aime à mourir. Jeu-thème à vivre.
Lumière !… Ou toi, la mort ! Mais le plus prompt me prenne !…
Mon cœur bat ! mon cœur bat ! Mon sein brûle et m’entraîne !
Ah ! qu’il s’enfle, se gonfle et se tende, ce dur
Très doux témoin captif de mes réseaux d’azur…
Dur en moi… mais si doux à la bouche infinie !

Chers fantômes naissants dont la soif m’est unie,
Désirs ! Visages clairs !… Et vous, beaux fruits d’amour,
Les dieux m’ont-ils formé ce maternel contour

Et ces bords sinueux, ces plis et ces calices,
Pour que la vie embrasse un autel de délices,
Où mêlant l’âme étrange aux éternels retours,
La semence, le lait, le sang coulent toujours ?

(Paul Valéry, La Jeune Parque)
 
 
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Vivre pour voir. Mourir pour savoir.

Aujourd’hui m’est venue cette devise, que j’adopte car elle me raconte bien. Elle est aussi juste qu’une montre suisse. Quoi-quoi-quoi ? Avoir tant cherché, tant vécu, tant essayé, c’est tout ce que j’ai trouvé ? On dirait. Tant d’efforts pendant tant d’années pour en arriver là ? Oui. La réponse est oui. Aux deux questions. Je suis loin d’avoir tout vu, il me faut vivre encore un instant. Encore un mois, encore un an. Une décade. Ou deux. La connaissance est ma quête, elle le restera toujours. Quant à la vérité, quelle qu’elle soit, je ne l’aurais pas dans cette vie.

Vivre pour voir. Un coup d’œil en passant, ou un regard appuyé, fixe, interminable, un regard sans ciller, sans dévier de ton axe. Un regard qui veut voir. Ou alors un clin d’œil fugace, tiens c’est donc ça la vie ? Et hop, exit ! En route pour de nouvelles aventures ! On peut parier pour l’un, pour l’autre, pour ce qu’on veut, la vérité nous sera toujours reculée. On n’atteint jamais le pied de l’arc-en-ciel. Ce sont les humbles limites de l’humaine condition. 

 

Il faut avoir pour agir et non agir pour avoir.
Jean-Claude Flornoy