Lettre ouverte à Xavier Séguin
Ton jardin Xavier, lieu féerique de faits changeants dont l’effet nous réinvente. La vitesse lente nous enchante et l’harmonie s’installe. Au loin le ciel clair se noue à la mer où l’âme erre. Chacun jardine où le jars dîne avec les fées, couvant d’un œil la portée d’oisons qu’a couvé la Mère L’Oie…
L’amère loi du monde qui s’arrête ici même.
Sous ta plume
Sur la côte armoricaine, là où les falaises roses et les dunes dorées s’embrassent, sommeille l’ancienne cité de Rekinea, d’abord nommée Reki par les Sumériens, puis Rekinea, Nouvelle Reki par les Grecs, puis les Romains, ensuite elle deviendra Requy, que l’accent gallo prononce Erquy… Que d’aventures !
Mélodie très ancienne que l’érosion du temps a transposée en chants d’écume. Ce lieu n’offre pas seulement un port de pêche, mais un porteur d’antiques forces – un comptoir sacré où l’énergie circule, vibrante comme une langue oubliée.
Chaque pierre murmure la mémoire des druides, des guerriers et des marchands antiques ; chaque souffle salin porte la résonance d’un nom qui frémit : Reki… Rekinea… Erquy… Ainsi naît une énergie, le Reki, une onde subtile, que le temps oublie mais que l’esprit retrouve.
Nul récit académique sous ta plume, mais une incantation : l’origine du nom devient incertaine, l’étymologie se sonorise (comme dans Rekinea = Reki Né A), et tout devint possible. L’histoire antique se mêle à la géographie, à l’âme, au mythe.
J’habite la demeure du possible. Elle a plus de portes et de fenêtres que la demeure de la raison.
Dis-nous Xavier
Toi, l’apprenti des sons enfouis dans la brume d’Erquy, si « Reki né à » murmure à l’oreille des pierres, quelle eau primordiale a fait naître ce nom ? Est-ce la ré-ky, la rigole qui remonte jusqu’au cœur ?
Quelle langue d’oiseau t’a soufflé que Rékinea danse avec les trois ailes : Ré, Ki, Néa — l’esprit, l’énergie, la Terre nouvelle ?
Ré… Ki… Néa… Rythme obstiné : l’esprit s’éveille, l’énergie danse, la terre chante.
Aurais-tu perçu, quand le vent parcourt les ajoncs, le vimana druidique qui transporte la vérité dans les chants de la falaise ? Et si la toponymie est floue, n’est-ce pas pour mieux faire entendre la langue des oiseaux, car c’est dans l’incertain que bat le plus vif ?
Tu dis que Rékinea fut sumérienne, grecque, celte, gauloise, avant d’être gallo et Française de France. Mais cette superposition n’est-elle pas une sorte de palimpseste*, où chaque son, chaque forme, a poussé comme une herbe, du grec au gaulois, du celte au breton, du temps aux souvenirs enfouis ?
*Palimpseste, nm: parchemin dont on a effacé la première écriture pour pouvoir écrire un nouveau texte.
« jardin d’effets, jardin du Fou »
Le fou se croit sage, le sage se sait fou.
Poétique dialogue
Tout est magnifiquement flou, comme une géographie vivante, tissée de promesses et de mystères, où le nom d’Erquy vibre dans l’étymologie incertaine ; comme une poésie conceptuelle, où le Reki devient à la fois rituel, massage subtil, souvenance cosmique. Comme un mythe personnel aussi, celui d’une reconquête sensible de l’Antiquité, enracinée dans le charme sauvage de la côte. Comme une invitation silencieuse enfin (telle une sonate millénaire jouée dans les pierres et le vent) à plonger dans l’être du lieu.
Le récit de la Saga tisse une trame enchantée, celle d’un port et d’un nom enlacés par l’histoire, les langues et le ressac. Il murmure que, parfois, l’étymologie est chanson, le paysage est souffle et le nom est incantation. C’est un vertige poétique — un dialogue silencieux avec l’auteur, où chaque question appelle une résonance nouvelle, une métamorphose de la langue des oiseaux.
Tes textes, Xavier, ne sont-ils pas des clairières de silence où le lecteur s’assoit, comme on s’assoit sur une pierre chaude au bord de la mer ? Tu ne transmets pas seulement une histoire, mais un souffle qui se fait respiration du monde.
Nous sommes faits de la même matière que les rêves et nos courtes vies sont bordées de sommeil.
Mythe et caillou
Dans ta reconquête des mythes, chaque caillou du chemin devient une stèle, chaque mot, une graine et l’on devine que ton jardin, que tu habites de jour en jour, est l’écho miniature de ton Erquy cosmique, un microcosme où poussent les racines de dieux oubliés.
L’invitation est discrète et turbulente, un doigt posé sur les lèvres de l’Histoire, et nous voici à tendre l’oreille : car ce qui frappe dans tes pages de la Saga, c’est moins la démonstration que la résonance, moins l’érudition que la vibration des sons.
L’arbre creux
Toi qui dresses des passerelles entre falaises, contes et constellations, as-tu éprouvé, un soir, la douce ivresse des mots, avant même leur sens ?oh oui, Alain, bien souvent… Tout le temps, sans doute. Leur simple couleur en bouche, comme une baie sauvage éclate sur la langue ?
Ton Erquy devient Er-Qui, le lieu qui est. Dans ton jardin, quand tu plantes un arbre, écoutes-tu aussi le nom qu’il porte, et la musique de ce nom, comme un second tronc invisible dressé vers le ciel ? La langue des oiseaux dont tu fais ton viatique n’est-elle pas, au fond, la preuve que l’univers parle en nous sans cesse, et que nos mots, nos syllabes, sont les coquilles brisées d’une parole première ?
Enfin, dans ce retour aux mythes, n’est-ce pas moins l’histoire que tu cherches, que ce baume de langage qui soigne et nourrit, car en-deça de toute vérité, déjà les mots font œuvre de guérison ?
Jardin, ton Sanctuaire
Ton jardin, à bien te lire entre les lignes, n’apparaît pas seulement comme un carré de terre, mais comme un manuscrit vivant où chaque feuille écrit son vers, où chaque racine appelle une mémoire.
Tu y as planté des poèmes comme d’autres sèment des graines. Et pour que les fées, ces passantes invisibles, sachent que la maison est hospitalière, tu as dressé des bougies et surtout des miroirs, reflets complices, comme des hameçons de lumière pour mieux capturer l’écho de leurs rires.
Je ne veux pas devenir un homme, dit Peter avec passion. Je veux rester pour toujours un petit garçon et m’amuser. Aussi, je me suis sauvé à Kensington Gardens et j’ai vécu longtemps avec les fées.
« Séguin comment fais-tu Pour évoluer du fétu Le fantasme ressouvenant ? » (Olivier Adam, collège Stanislas, 1966)
Car tu me l’as appris : les fées sont coquettes, elles aiment se voir, se deviner, se réfléchir. Ton jardin devient ainsi un bal secret, où les lucioles tiennent la chandelle et les miroirs rejouent les étoiles tombées.
Dans ce théâtre discret, les mythes ne dorment pas : ils se réveillent, s’approchent, habitent le jardin comme un autre monde. Ici, l’ancien Erquy se transpose en microcosme, la falaise devient une pierre dressée au coin d’un massif, la mer résonne dans le souffle des herbes, et les récits antiques s’infusent dans l’odeur des fleurs, sous le regard attendri d’un dolmen qui attend le prochain réveil des mondes.
Enfin dis-nous
Quand tu allumes tes bougies dans la nuit du jardin, est-ce pour éclairer les fleurs ou pour illuminer les mots qui continuent de pousser en toi comme des herbes folles ? Et ces miroirs que tu dresses pour les fées, ne sont-ils pas aussi les miroirs tendus au lecteur, où chacun reconnaît son propre visage dans le reflet mouvant de tes récits ? Si chaque fleur était une voyelle, et chaque étoile une consonne, ton jardin ne serait-il pas déjà un alphabet cosmique, où les saisons écrivent des poèmes que tu traduis ?
Enfin dis-nous : ce qui soigne l’âme,
est-ce la présence réelle des fées,
ou le simple fait de les imaginer,
par la grâce des mots qui les convoquent ?
Mais quant à toi, initié aux mystères sacrés, prends confiance car divine est d’origine la race des mortels et à ceux qui savent éveiller en leur âme le divin qui y sommeille, la nature dévoile toutes choses.
Cabaret pour l’invisible
Mais à force de croire sans y croire, ne pouvons-nous pas penser que si les fées s’invitent, ce n’est peut-être pas pour bénir les hommes, mais pour se regarder dans le miroir et dire : « Quelle chance, tout de même ! Quelqu’un pense à nous offrir des bougies parfumées ! Béni soit-il ! »
Quand tu poses une bougie entre deux pierres, n’entends-tu pas déjà les pierres ricaner, heureuses de participer à la mise en scène ? Est-ce que tes fées, parfois, se vexent de n’être pas assez vues, et boudent, comme des enfants qui voudraient davantage de miroirs ?
Ton jardin, est-ce un cabaret discret pour l’invisible ? Ou un simple terrain de jeux, où les mots s’amusent à grimper aux branches ? Et toi, Xavier, quand tu relis un mythe au fond du jardin, ne ris-tu pas de voir combien l’univers se prend au sérieux, alors que les fleurs, elles, ont déjà compris la blague ?

Merci cher Alain
Tes mots font du bien. Vraiment. La magie sur scène est illusion, rien n’y est vrai. Encore moins vrai ce monde où l’on est tombé : une illusion pire, puisqu’on y est scotché. Seule la mort nous fait quitter la salle. Tu l’as compris, je n’ai rien d’un illusioniste. Les fées sont partout où je rêve — et rêver, mon jardin s’y prête si bien !
Elles sont vraies, les fées. Plus vraies que nous : leur vie sont longues, tellement longues. Mais les fées nous ignorent à présent. J’ai bien de la chance qu’elles me tolèrent. Voilà six siècles, nous les avons gravement déçues. Dès que j’aurais compris comment, je vous le raconte ici même. Merci mon Alain.
Et merci à toi, ami lecteur, sans qui je serais infirme.
Pour compléter cet article, tu peux lire celui qui l’a inspiré, Erquy, l’antique Rekinea.
Signé Alain Aillet
- Le jardin d’effets
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