En hommage à qui tu sais
Par une nuit sans âge, je suis descendu dans le ventre des songes. L’aurore n’avait pas encore taché de rose les rideaux du monde et déjà, grand feuillage retourné par les vents, mon cœur battait contre les parois opaques de l’existence. J’ai vu la lumière et j’ai changé de corps.
Deux hommes regardaient par les barreaux de leur prison. L’un vit la boue, l’autre les étoiles.
J’ai volé
Le poète en moi — bête blessée aux crocs de l’absurde — s’était lassé des crachats du réel : la ville bavarde, les passants sans regard, la lumière crue des jours. Alors j’ai planté mes drapeaux dans l’éther, et j’ai dit :
« Puisque la vie se refuse à moi, je bâtirai mes royaumes dans le sommeil. »
Chaque nuit, je me suis penché sur le gouffre noir des paupières closes comme un alchimiste sur son creuset. Je m’y suis jeté nu, sans mots, sans formes, mendiant le feu sacré. Et dans ce vertige, quelque chose a cédé. Le rêve, jusque-là cavalier fou, a plié le genou. J’ai vu les murs se dissoudre, les visages se recomposer au gré de mes désirs. Le temps s’y déroulait en spirale. Les lois étaient les miennes.
J’ai volé. J’ai aimé. J’ai su.
Mon cœur ouvrait les bras, je n’étais plus barbare
(Jacques Brel, Mon enfance)
J’habite désormais dans un autre corps, moins épais, moins matériel. Mon ancien corps reste sur terre, inhabité. Je ne lui manque guère, il ne me manque pas non plus. Là où je vis, je vois. Là où je suis, j’existe. Si vous me cherchez, rejoignez-moi là-bas.
Fiez-vous aux rêves car en eux est cachée la porte de l’éternité.
Là-haut
Le ciel, là-haut, n’a jamais de colère. Il me parle en couleurs fluides et la mer, douce amante, m’offre ses coquillages chantants. J’ai repeint les visages gris du monde avec les encres tirées du sommeil : des bleus violents, des oranges liquides, des silences parfumés.
Chaque matin, rejaillissant du songe, j’ouvre l’œil comme on entr’ouvre une porte sur un jardin en friche. Le réel, encore effondré, se couvre d’un voile plus tendre. J’y vois la faille, mais aussi la lumière qui s’y infiltre. L’horreur ne s’est pas éteinte : pudique, elle s’est drapée dans mes étoffes cachées.
Je ne suis plus le spectateur condamné d’un monde perdu. Me voici l’artisan invisible, le sculpteur de l’autre côté du miroir. Et même si le jour m’étrangle, la nuit me rend à l’infini.
Le temps devient une ligne infinie sur laquelle je voyage à mon gré, me posant dans l’instant sur le fil de l’éternité comme un oiseau migrateur cherche le repos sur un câble de hasard.
Je suis trop bien là-haut, chez mon ami Lao.
Quand le vide gagne l’intérieur du crâne, c’est le début de la sagesse.
L’œil haut, le cœur penché
Un soir, d’ailleurs, j’ai pris forme d’oiseau. Ce ne fut pas un rêve, ni même une fuite. Ce fut une ascension. Je n’avais plus de nom, plus de corps subtil ou grossier, mais des ailes tièdes, ourlées d’éclairs et d’oubli. Mon cœur, devenu brise, palpitait au rythme des collines. Chaque battement soulevait le monde d’un cil de lumière.
Je m’étais arraché aux pavés grinçants, aux figures fêlées des jours ordinaires. D’en haut, les douleurs humaines n’étaient plus que des frémissements dans l’eau trouble. Les cris, les courses, les colères — tout cela ressemblait à des souffles dans la poussière, des lignes dans le sable que la mer viendra lisser.
Je planais. Non par fierté, mais par clarté. Je voyais l’enfant qui pleure dans une cour humide, la femme fatiguée dont le rire ne sort plus qu’en souvenirs, l’homme à genoux sous le poids invisible d’un avenir trop lourd. Je ne pouvais rien leur dire, mais je les couvrais de mon regard.
Éclat d’azur
Trempé dans les sources du rêve, il n’est plus le regard d’un homme. Il n’est plus un jugement. Le voici caresse invisible, éclat d’azur posé sur les tempes, soupir chaud qui fait se redresser les nuques courbées.
Le monde d’en bas ne s’en rend pas compte. Il en frémit, à peine. Les larmes séchent un peu plus vite. Les murs se sont mis à vibrer d’une mémoire oubliée. Et parfois, sans savoir pourquoi, un passant lève la tête vers le ciel, juste une seconde — comme si l’écho d’une aile avait frôlé son âme.
Ce n’est que moi, l’oiseau-poète, transfiguré par le sommeil, revenu pour semer l’indulgence dans les sillons du réel. Je ne guéris rien, je n’efface pas, je dépose sur chaque chose un soupçon d’or tendre, un duvet de rêve tombé de mes plumes.
Nous sommes faits de la même matière que les rêves et notre courte vie est bordée de sommeil.
La chute bleue
L’aube est une frontière cruelle. Je suis encore là-haut, à effleurer les toits de la nuit, lorsque mes ailes perçoivent un froid étranger. Non pas le froid du vent, mais celui du temps — ce rictus lent qui revient toujours réclamer les corps absents. Le rêve, si vaste, si vrai, s’est tordu à ses angles. L’air est devenu dense, les couleurs ont pâli comme un vitrail sans feu.
J’ai compris que je ne peux pas rester oiseau. Mon vol ivre jadis, devient incertitude. Chaque aile me rappelle que j’ai porté un nom, pesé un poids, ouvert une bouche à nourrir de paroles. Le monde d’en bas, ce vieux monde rugueux, m’appelait.
Et j’ai chuté.
Pas dans une chute violente, plutôt un glissement triste, comme une étoffe qu’on replie avec soin pour la ranger. Je rentre dans mon corps froid comme un soir d’hiver. Mes doigts sontr lourds et gourds, mes yeux embués de veille. Pas de doute. J’ai retrouvé la prison douce de l’homme, cet habit trop serré pour l’âme.
N’aie pas peur du monde, ami. C’est plutôt le monde qui devrait avoir peur de toi.
Comme un feu discret
Le rêve pourtant ne s’efface pas — il se retire, lentement, laissant sur le sable du temps coquilles et secrets. Je garde encore, sous les cils, un peu du ciel de plume. Mais le monde m’a repris, avec ses angles durs, ses bruits craquants, ses vérités absurdes.
Tout d’abord je me suis cru mort. J’ai vu l’enfer. Ce ne sont pas les autres qui font l’enfer, c’est leur nombre. Ils pullulent comme des ombres et leurs ombres font la nuit. Je n’étais pas vraiment mort, juste endormi. Simple dormeur comme tant d’autres, au cœur du monde où l’on s’ennuie. J’ai pleuré.
Sans tristesse, avec reconnaissance. Désormais je savais.
Dans le rêve, on ne vit qu’un temps. Mais le rêve peut vivre en nous, feu discret, miel sous la langue, étoile minuscule au noir de l’œil. Je l’emporte partout. Dans la rue. Dans les livres. Dans les yeux d’un passant que mon aile a frôlé.
Il faut savoir attacher un prix à l’inutile, il faut vouloir rêver. L’homme seul est peut-être capable d’un effort de ce genre.
Le Dernier Sommeil du Veilleur
Depuis cette chute douce, veilleur penché à la fenêtre de l’irréel, je vis entre deux mondes. Mi mort, mi mourant, j’effeuille le temps. J’ignore le présent, ravi par le passé, exalté par l’aubaine d’un temps fini si mal défini. Je marche dans la ville mais je l’effleure à peine. Les passants me traversent, vite passés, brumes pressées. Je parle, je ris, je dors — mais tout en moi demeure tendu vers l’Eden invisible qui s’est ouvert hier sous mes paupières.
Cet Eden-là ne m’a jamais quitté.
Parfois, au détour d’un souffle, il me revient : un éclat d’azur entre deux syllabes, un frisson, un souffle de vent qui ne sent pas la terre. Alors sous mes yeux clos, brièvement, j’inspire une absence.
Les autres ne comprennent pas. Ne me regardent pas. Pour eux j’existe à peine. Quelle importance ? Ont-ils seulement connu la saga du silence ? Ont-ils longé l’amer ? Ont-ils tissé ce long vermillon de silence ?
Même les loups
Ils ne sauront jamais que j’étais un oiseau. Survolant les douleurs. Caressant l’âme intouchée. Aimant les mondes plus qu’une femme, mieux qu’un dieu. Et que je suis tombé, non par punition, mais par nécessité.
Il faut revenir, toujours. Même le loup rentre à la tanière sous la neige émiettée. Je dois veiller le clan, tenir un autre hiver. Mais dans ma nuit étrange, effarée… rien ne change.
Rêver encore
Je m’endors chaque soir en croyant sans y croire, fier du demi-savoir qu’il existe autre chose après les murs, au-delà des légendes, derrière les mots du monde. Ce n’est pas un mensonge. À l’ombre ailée de l’oiseau que j’étais, c’est ma fidélité. Long feu qui brûle encore, doucement, sous le front.
Viendra la nuit dernière, infinie. Désuni, je n’en reviendrais pas. Je serais sans désir de prières. Pur cadeau, la lumière aura pour moi des ailes. Et du zèle. Et le rêve éternel. Rêver !
Rêver rien qu’une fois, pour la dernière fois.
Rêver tous les étés, toutes réalités exaltées dans le cœur, sans illusion, sans peur.
Partir de bonne heure.
Mourir de bonheur.
– La mort est jaune citron et sent la vanille. – Vous êtes sûr de ça ? – Je prends les paris.
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