La chute de l’Atlantide

 

Sur les ordres de Poséidon, le tout-puissant maître des mers, l’empereur d’Atlantide, son fils le géant Atlas a déplié sous la mer les arceaux de la soute, afin que le grand vaisseau retrouve sa forme sphérique. Quand ce qui est en bas fut comme ce qui est en haut, l’île Atlantide s’est arrachée à l’Océan Atlante. Dans la mémoire des Eurafricains, ce jour est resté celui où le soleil s’est levé à l’ouest.

 

La loi des mâles

Le vaisseau-île Atlantide s’était posé jadis au milieu du grand océan qui gardera son nom. Deux mille ans durant, il est resté amarré au fond, tel un grand pont de rêve entre deux continents.

En ce temps-là le pouvoir était mâle. Un trio divin régnait sur la planète Terra. Zeus était le dieu des dieux, commandant le vaisseau-mère Hyperborée, planète vagabonde qu’on nomme aussi Nibiru, le temple dans le ciel, l’île volante, le paradis céleste. Nibiru est un vaisseau sphérique partagé en quatre îles continents. Sur le mont central appelé Olympe, il a fait bâtir un palais somptueux. Mais le pouvoir de Zeus se limite à la terre ferme, abandonnant l’élément liquide et le monde souterrain à deux autres super-dieux. Hadès était le dieu suprême du monde d’en-bas, que les Latins comme les Hellènes appelaient les Enfers. D’autres noms ont été donnés aux profondeurs du globe terrestre : la terre creuse, les abysses, la terre intérieure, l’infra-monde, le monde d’en dessous, le royaume sous terre. Ces noms décrivent un vaste monde sous nos pieds, habité par des êtres supérieurs.

Un troisième Titan, Poséidon, régnait en maître absolu sur l’élément liquide : les mers et les océans, les lacs, les flaques, les fleuves et les ruisseaux. Son domaine était si vaste qu’il avait besoin d’assistance. Les Nymphes s’acquittaient de cette fonction avec l’élégance et l’efficacité qui caractérisent les Fées. Poséidon avait élu domicile sur l’Atlantide, l’île aux quatre continents faite à l’image exacte d’Hyperborée, quatre îles géométriques autour d’un mont central. Les humains l’appellent le paradis terrestre, ou l’île paradisiaque — si belle et si avenante qu’aucune louange ne saurait la dépeindre, nulle comparaison ne lui rendrait justice.

Aussi, en son paradis du ciel, le puissant Zeus était-il jaloux d’elle. Il a fini par haïr l’île aux trésors, ce havre aux plaisirs continuels. Le paradis terrestre faisait trop d’ombre à son paradis, le seul, l’unique, comme lui-même se veut unique. Alors, au fil des siècles, l’Eden flottant sur l’océan Atlante est devenue sa bête noire…

 

 

L’île Atlantide

L’île ronde est amarrée aux grands fonds par dix-huit lourdes chaînes. Ses vastes soutes sont faites d’arceaux qui se replient quand l’île amerrit. Sans bruit, ils se chevauchent sur bâbord et tribord en remontant vers la surface. Ils épousent si étroitement la coque qu’on les remarque à peine. Ainsi l’île flotte sur une coque à fond plat. Comme les arceaux de la soute, elle est faite d’orichalque,cité par Platon un métal inconnu sur terre. Pour l’obtenir, les Atlantes doivent sublimer l’or à l’hydrogène liquide sous pression. L’or extrudé devient lumineux. Ainsi obtient-on l’orichalque. L’incroyable résistance de ce métal va de pair avec son extrême légèreté. 

Ronde et belle, l’île aux quatre quartiers ne ressemble à nulle autre. D’un diamètre de 3000km,3333km exactement elle occupe la quasi totalité de l’océan Atlante Nord. Un bras de mer la sépare des côtes européennes, un autre des côtes américaines, comme l’a écrit Platon. Si bien que la grande île offre un gué facile vers le continent opposé.

 

Quatre quartiers

La grande île ronde est un archipel flottant. Quatre îles s’y côtoient, quatre parts de gâteau. Vertes et roses, ces îles sont pur calme et lumière, quatre oasis divins où la splendeur de la nature ne le cède qu’à l’extrême douceur du climat. Il y pousse des arbres magnifiques, inconnus sur terre, qui donnent des fruits aphrodisiaques, épanouissants et merveilleux. L’épisode biblique du paradis terrestre est assez éloquent sur ce point.

Ces îles sont toutes plus belles les unes que les autres, et pourtant très différentes. L’une abrite druidesses, fées et sorcières. On y apprend la magie, l’envoûtement, comment chasser les démons, purifier un corps ou lieu. Les merveilleuses fées enseignent le bel art d’aimer, d’être aimer, de satisfaire et d’être satisfait.

Une autre île est peuplée de géants farouches qui jouent sans cesse à se battre. Ils arrachent d’énormes arbres pour se les jeter à la face. Aucune blessure sur leurs corps, nulle cicatrice. Invulnérables comme leur île, ils jouent à mourir, mais ne meurent point. Les arbres qu’ils arrachent de leurs mains nues aussitôt repoussent et se multiplient. Leurs fruits merveilleux sont toujours mûrs à point, et sitôt cueillis, d’autres fruits attendent la main pour les cueillir.

 

 

Addiction

Sur toutes les îles, les fleurs sont aussi succulentes que leur enivrantes senteurs. Ici on se nourrit surtout de saveurs, de parfums. On peut croquer des fruits, des légumes, des graines. Aucun ne disparaît jamais, chacun est remplacé dans l’instant où on le cueille. Les chasseurs rapportent du gibier qui renaît tel le phénix sitôt qu’il est tombé. Les meilleurs pâtissiers, confiseurs, cuisinières mijotent des repas qu’on ne sert pas sur terre, même aux noces d’un roi.

La nature y est si différente, si parfaite, les arts si émouvants, les jeux si drôles, captivants ! Le temps file et rien ne le retient. Les jours passent comme des minutes, les années comme des semaines. Malheureux humains dont leur séjour se termine ! Ils ne pourront quitter l’île sans un terrible arrachement. Tant la douleur est vive, parfois le cœur éclate. Que ne peuvent-ils, sitôt partis, y revenir comme les fruits, comme renaît le gibier, comme repoussent les arbres ?

 

Parée à décoller

Le séjour au paradis n’a rien d’éternel. Le temps s’est arrêté sur l’île. Mais l’est-il ? Je crois plutôt qu’il file. Tel héros y a passé trois siècles, qui croyait en partant être arrivé la veille. Quand l’horloge terrestre se remet à tourner, il faut quitter le bord. Ramer encore. Retrouver la douleur du corps et la vie d’ici-bas qui ressemble à la mort.

En quittant l’Eden, chacun sait qu’il n’y reviendra pas. Adam et ses semblables sont mortels. Leurs émois sont comptés. Tôt ou tard, ils seront chassés. Ils auront beau courir la terre et sillonner les mers, jamais Terra n’aura l’aura et la douceur du pays de la déesse en fleur. Aucun pays d’ici ne ressemble à cette l’île, douce comme un jardin, dorée, sacrée, magique.

Tôt ou tard, ils devront déguerpir. Car l’île va bientôt s’envoler.

Seuls les Hyperboréens sont chez eux. Droit de séjour est illimité. J’ai eu le grand bonheur d’en fréquenter plusieurs. Prométhée m’a confié que leur éternité paraît trop tôt passée… Les dieux sont-ils mortels ? Je revois Prométhée perdu qui me l’avoue, certain soir du mois d’août. On avait bu beaucoup. Il était assez saoul. Que faisait-il en l’île ? Quel courroux fuyait-il ? Le neveu de Zeus a-t-il exaspéré son tout-puissant Tonton ? Il s’y connaît, dit-on.

 

 

Des dieux mortels

Les dieux du ciel sont mortels comme tout ce qui vit. Pourtant ils savent comment rendre leur vie aussi longue que splendide. Pour eux, chaque matin se ressemble, la nuit n’existe pas, chaque instant y brille du même éclat dans le jour éternel. Ainsi resplendit la lumière forte et belle qui nous fait vivre nu sur le Soleil Invaincu. L’éclat de cet astre divin éclipse mille étoiles. Il brille si fort que ses Fils bienheureux, quand d’aventure ils descendent sur terre, emportent avec eux un peu de sa lumière. Et leur visage illumine les souterrains et les palais d’ombre qu’on trouve ici-bas. L’éclat du Soleil qui jamais ne s’éteint fait disparaître la nuit sur toute la terre qu’il touche. Il brille et ses rayons ruissellent sur le nord qu’il change en paradis.

Au ciel ou sur la mer, l’île est toujours la même. Riante, claire et belle. Mais sous la mer, son fond est plat. De vastes soutes se déploient quand elle décolle pour l’espace, la coque est constituée d’arceaux qui se replient en position flottante. La demie sphère flottante devient globe aérien. Et les humains pourront voir une nouvelle planète errante traverser le ciel, avec à son bord sa cargaison de dieux et de déesses, de nymphes et de satyres, d’élues et de héros.

 

Un dieu jaloux

Zeus n’a pas dit son dernier mot. Il possède d’étonnants pouvoirs. Il maîtrise la foudre et apparaît nimbé d’éclairs mortels. Il possède des armes tout droit sorties de la science-fiction : pistolets lasers, lance-flammes, bombes atomiques, tout comme ses compères Shiva et Yahweh. Grâce à son alliance étroite avec les gigantesques cyclopes, il possède leur technologie meurtrière et leurs plus farouches guerriers viennent appuyer son armée de géants. Cette puissance de destruction sans égale lui a valu son titre de dieu des dieux. On connaît moins ses qualités intérieures :  volonté intrusive, intention inflexible, vision du futur comme celle de l’ailleurs et celle de ce qui n’est plus. Comme ses armes et ses armées, il se sert de ces qualités pour son bon plaisir et parvient toujours à ses fins.

Il ne fait pas bon le provoquer, car comme le dieu de la Bible et de la Torah, Zeus est un dieu jaloux. Pour l’instant, toute sa jalousie se concentre sur l’Atlantide, dont la splendeur et l’abondance sont entrées en concurrence avec les atouts de son paradis hors sol, sur le vaisseau-mère Hyperborée, certes beaucoup plus grand que l’Atlantide, puisque le vaisseau de Zeus peut accueillir dans ses soutes quatre vaisseaux-îles du type Atlantide. Trois seulement se sont posées sur les océans de la planète bleue : l’Atlantide dans l’océan Atlante, le Pays de Pount ou la Lémurie dans l’océan Indien et Mu dans l’océan Pacifique.

 

 

Ruse divine

Par une habile manœuvre brillamment exécutée, le vaisseau-mère du grand Zeus se positionne au-dessus de l’Atlantide à l’insu des Atlantes. Il a suffit pour cela d’éteindre les puissantes sources lumineuses qui font d’Hyperborée un Soleil bigrement plus puissant que notre astre solaire. Le Grand Soleil Invaincu réduit notre astre au pâle éclat de veilleuse.

Le vaisseau-mère échappe aussi à la détection radar car un dispositif comparable à celui des avions furtifs annule toute traçabilité. Une permutation quantique des polarités atomiques le rend aussi transparent qu’un pur cristal. Prenant la couleur du ciel d’Amérique, Hyperborée se rend invisible.

Juste en-dessous, ignorant la menace, l’Atlantide se prépare au décollage.

 

L’Atlantide en péril

Sur les ordres de Poséidon, tout-puissant maître des mers et l’empereur d’Atlantide, son fils le géant Atlas déplie les arceaux de la soute, afin que le grand vaisseau retrouve sa forme sphérique. Quand la partie sous-marine est aussi ronde que la partie émergée, quand ce qui est en bas devient comme ce qui est en haut, tout en douceur, l’île Atlantide se détache de l’Océan Atlante.

Zeus attendait cet instant pour agir. Il se transforme en feu dévorant pour actionner le système anti-grav. Puissance maximale !! crache-t-il à travers les flammes. Sitôt dit, sitôt fait. Hyperborée s’illumine de son insoutenable éclat. Presque à ras de terre, le vaisseau mère émet de puissants rayons qui projettent l’île volante vers le ciel. Brutalement arrachée à l’océan, sa masse imposante creuse un gouffre qui lève une vague énorme.

L’Atlantide est violemment secouée par le tsunami. Sans le réflexe du géant Atlas, elle aurait été précipitée dans l’océan qui porte son nom. Précaire victoire, cette catastrophe est évitée de justesse.

 

L’Atlantide est perdue

Mais la violence du choc réduit en bouillie ses quatre quartiers et leurs jardins magiques, les plantes comme les animaux, les temples comme les monts, tandis que les quatre fleuves, sortant de leur cours, parachèvent le désastre.

À bord de l’Atlantide, tout n’est plus que chaos et désolation. Les quatre continents ont perdu contenance. L’ombre a tué la lumière. Tandis qu’Hyperborée éclate de mille feux, tandis qu’elle jette ses rayons brutaux sur la mer en furie, le tsunami dévaste les côtes américaines. Submergeant dunes et montagnes, broyant tout sur son passage, la vague gigantesque abat les toits de bois, défait les murs de pierre. Et sa jumelle atteint déjà les côtes de l’Eurafrique. De ce côté de l’océan, les dégâts seront plus importants.

Hyperborée brille plus fort que jamais. L’anti-grav est coupée. Un silence de mort souligne l’attente. Le vaisseau géant semble dormir. Soudain la foudre en sort. Un gigantesque éclair réduit l’Atlantide éprouvée. Le tonnerre roule comme la mort. L’Atlantide vacille en flammes, perd son assiette et s’abîme dans la mer en furie. La vague que lève sa chute est dix fois plus haute que la première. Les rares humains épargnés sur les deux côtes vont à leur tour trouver la mort, leurs cadavres seront broyés par le choc et roulés par l’eau furieuse.

Zeus est vengé. Il n’y a plus trace de vie sur cette moitié du monde. Que lui importent les ravages, les atrocités, les destructions, les millions de morts ? Tout ici-bas n’est-il pas à lui ? N’a-t-il pas droit de mort et de vie ?

Seul compte à ses yeux l’éclat de sa vengeance. Et tandis qu’au sommet de l’Olympe se prépare un fabuleux banquet, sur les montagnes de l’est, frileux et désemparés, les derniers survivants d’Europe et d’Afrique contemplent hébétés un spectacle inédit : le grand soleil vainqueur, Jupiter triomphant, ordalie de lumière, le puissant soleil se lève au couchant, illuminant la mer dans le ciel d’occident.

 

À jamais, dans la mémoire des Eurafricains et des Asiates, ce jour funeste est resté celui où le soleil s’est levé à l’ouest.

 

Mais l’histoire de l’Atlantide et de sa destruction tragique n’est pas aussi simple. Vous le comprendrez en lisant Dragons d’Enfer.

 

Xavier Séguin

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Xavier Séguin

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