Ptahotep l’éveilleur

 

« Toi, Ptahotep, donne à ton élève le sens de la Tradition, afin qu’il soit un exemple pour la jeune noblesse. Que l’esprit entre en lui après la montée d’énergie, car l’éveil ne vient pas à la naissance. » Ainsi parla le pharaon à son vieux vizir.

 

Ce qui suit sera clair et utile à l’initié, mais l’ignorant passera outre. Ainsi débutent les enseignements de Ptahotep, vizir à la retraite qui commença à écrire ses leçons à l’âge de 110 ans (source) pour l’édification de son petit-fils et de tous les petits noblaillons qui viendraient après lui. Ces écrits sont les plus anciens qui nous soient parvenus, datés des environs de 2500 AEC.Avant l’Ere Commune

Tout comme le Yiking, traité de sagesse asiatique imprégné de Taoïsme, l’enseignement de Ptahotep s’adresse à l’élite, aux fils des princes et des rois, aux nobles rejetons des maîtres du monde. Je me propose d’apporter à ce texte classique le même décapage que celui que j’avais donné à La foudre, esprit parfait autrement dit le Don d’Isis, ou bien à l’hexagramme Tchen, l’éveilleur, le tonnerre du YiKing. On appréciera combien ces textes se ressemblent dans l’esprit. On peut en conclure qu’elles viennent d’une même source. Le plus ancien de tous ces textes est un écrit sumérien, les Instructions de Shuruppak. Là aussi, on peut retrouver la sagesse de l’éveil derrière des maximes et des conseils moraux.

Pour amorcer ma quête de vision, j’ai ouvert Les maximes de Ptah-Hotep par Christian Jacq. Cet égyptologue éminent a signé un classique. Il reconnaît en Ptahotep un des premiers philosophes connus, ce en quoi je l’approuve. Toutefois je ne puis le suivre dans l’interprétation qu’il fait de l’ensemble de ces maximes. Selon moi, il n’y est pas tant question de sagesse que d’éveil, à l’instar de la parole d’Isis, La Foudre esprit parfait. Ptahotep ressemble plus à un éveilleur qu’à un philosophe, même si la distinction n’a que peu de sens à cette époque.

En tout cas, on aurait tort de voir dans ces écrits de simples préceptes de morale ou de droit. Il est possible de les interpréter avec une plus grande profondeur. Cette vision est celle d’Albert Slosman, qui distingue trois interprétations possibles des hiéroglyphes : quotidienne, sacrée, initiatique. Je voudrais le montrer avec la maxime11, dans la traduction de Christian Jacq, qui sera suivie de mes commentaires. Je présenterai ensuite la même maxime dans mon interprétation intérieure.

 

Maxime 11 (traduction Ch. Jacq)

Suis ton cœur, ta conscience et ton ka, ta puissance créatrice, le temps de ton existence, sans commettre d’excès par rapport à ce qui a été prescrit, et n’abrège pas le temps de suivre le cœur, ta conscience de l’esprit. Gaspiller son moment d’action est l’abomination du ka. Ne pervertis pas ton activité quotidienne en t’occupant de manière excessive de l’entretien de ta maison. Quels que soient les événements, suis ton cœur et ta conscience, car les événements ne seront pas favorables aux paresseux négligents. (source)Christian Jacq, Les maximes de Ptah-Hotep, éditions La Maison de Vie

 

 

Commentaires

Dans l’interprétation de Christian Jacq, les différentes recommandations morales se suivent sans lien apparent. La cohésion d’ensemble manque parce que la compréhension intérieure est absente. tout ça semble si vide de sens que le lecteur baille et s’endort. Vous allez voir que la signification et la cohésion intérieure s’affirment dès lors qu’on quitte la sphère morale pour se placer dans une perspective spirituelle. Le sage vizir fait ici œuvre d’éveilleur. Il explique à son petit-fils les étapes du processus d’éveil et les écueils à éviter. 

Tout d’abord, Ptahhotep présente les trois aspects de l’être total – physique, affectif et spirituel. Le cœur, la conscience et le ka représentent les trois aspects de l’être total tels que la Tradition les présente. L’auteur précise ensuite : sans commettre d’excès. C’est la leçon de l’arcane XIV du tarot, Tempérance. L’être unifié est à l’aube de l’éveil. Bientôt l’énergie de la kundalini va monter de chakra en chakra, comme l’illustre l’arcane XV Le Diable.

Sans commettre d’excès par rapport à ce qui a été prescrit poursuit le texte. Cette maxime peut sembler permissive, il n’en est rien. Ptahotep ne peut donner à son petit-fils des leçons de laxisme. L’interprétation est plus intérieure : il faut de la modération et de la tempérance lors d’une montée de kundalini.

Les prescriptions dont il est question ne sont aucunement les lois coutumières ou pénales, ni je ne sais quelle morale sociale. Il s’agit d’éveil. La seule prescription en ce cas est la Règle. Le guerrier éveillé sait interpréter chaque événement avec sa compréhension intérieure de la Règle – cette Règle non-écrite, mais connue de tous et de chacun dès le passage du seuil de l’autre monde.

N’abrège pas le temps de suivre le cœur, ta conscience de l’esprit fait référence à la priorité absolue, réunir nos trois personnes, fusionner les trois corps qui composent l’être, à savoir l’esprit, le corps et le cœur. Les noms peuvent varier, corps, ba et ka pour les anciens Égyptiens par exemple, mais quelle que soit l’étiquette, le flacon reste le même. En l’occurrence, son contenu est triple, et doit s’unifier.

Gaspiller son moment d’action est l’abomination du ka. Le guerrier de l’éveil agit sans attendre de résultat de son action. Il n’a pas besoin de récompense pour agir selon la Règle. L’action chez lui est une constante. Même s’il n’en attend rien de particulier, il agira. Choisir l’inaction dégoute le ka, qui est la part spirituelle et matérielle de l’être. Le cœur, dirait-on de nos jours. Agir, en mettant du cœur à l’ouvrage, agir avec son cœur autant qu’avec ses bras, agir pour ne pas rester cantonné dans les méandres sinueux de la pensée qui ne s’incarne pas.

Celui qui se conquiert lui-même est le plus valeureux des guerriers. (Boadicée)

Et elle s’y connaissait en vaillance, Boadicée la princesse guerrière.

Ne pervertis pas ton activité quotidienne en t’occupant de manière excessive de l’entretien de ta maison. Bon, ça ne veut pas dire supporte la saleté, ne fais jamais le ménage – même si c’est une tâche décourageante, Ptahotep ne peut donner à son petit-fils des leçons de paresse, ainsi qu’il le dira clairement dans la dernière phrase. L’entretien de la maison désigne ce qui est matière. La maison peut désigner l’endroit où l’on vit, mais aussi le corps, au sens où Jésus parle du temple de son corps. Notre corps est notre maison pour toute la durée de cette incarnation. Il ne faut pas trop s’en occuper. Là encore, la modération doit être la Règle.

Quels que soient les événements, suis ton cœur et ta conscience… Au-delà de la Règle, au-delà des avis autorisés, ta loi brille au fond de ton cœur comme les étoiles au fond du ciel. L’éveillé possède en lui la ressource pour résoudre tous ses problèmes. L’Esprit qui l’a pénétré lui donne la Voie, et dans le détail, lui indique la marche à suivre.

…car les événements ne sont pas favorables aux paresseux négligents. L’éveilleur n’encourage ni la paresse ni la négligence. C’est un véritable abrégé d’impeccabilité qu’il donne à son petit fils.

 

 

Maxime 11 (trad. Xavier Séguin)

Le moment est venu de vous donner ma version de ce texte. Comme vous pouvez le voir, rien sur la morale ici, mais tout sur la gestion de l’éveil.

Écoute toujours ton cœur, ton esprit et ton élan vital. Ne sois pas esclave des conventions sociales, veille surtout à écouter ton cœur, ton esprit et ton élan vital. Refuser d’agir porte atteinte à ton élan vital. Ne réduis pas ton travail intérieur en consacrant trop de temps aux soins quotidiens du corps. Quoi qu’il arrive, écoute ton courage et ta conscience, car la paresse et la négligence font obstacle à tes progrès.

Voilà ce que je peux dire sur cette maxime de Ptahhotep. L’ignorant n’y jettera qu’un œil distrait, je l’ai dit, mais le chercheur de vérité s’y attardera avec un grand bénéfice. Je vous parlerai prochainement d’autres maximes de la même importance. Merci Ptahhotep ! Ton enseignement nous est fort utile aujourd’hui plus que jamais.

 

Nous sommes tellement habitués à nous dissimuler aux yeux des autres, qu’au bout du compte, nous nous dissimulons à nos propres yeux.
Lao Surlam