La jeune fille embarassée avoue à sa mère qu’un garçon lui fait la cour. Elle se sent trop petite.
— Il m’a demandé si je l’aimais.
— Qu’as-tu répondu ?
Silence profond. La jeune fille regarde sa mère. Un long regard inquiet.
— Comment sait-on si on aime ?
— Quand ça t’arrivera, tu le sauras… (source)dialogue extrait d’Indochine, film dramatique français réalisé par Régis Wargnier, sorti en 1992.
Ainsi nous doutons tous. Il faut, dit-on, que jeunesse se passe. Sans que vieillesse se lasse, ajouterais-je.
Changement de décor à rebrousse-temps jusqu’aux dieux d’avant. Voici deux êtres parmi les plus puissants de ceux qui nous ont faits. Je ne leur donne aucun nom, ils en ont mille. D’abord la Déesse. Elle dirige tout sur cette planète qu’elle a faite. Mais le temps du clonage est révolu. La Déesse a choisi un jeune généticien brillant pour réussir l’impossible : créer la cinquième humanité. La nôtre.
À ses genoux, le jeune homme n’ose lever les yeux. Elle dit : « Regarde-moi. Sais-tu ce que j’attends de toi ? Une prouesse. Te servir de ton don pour créer une nouvelle humanité. Des êtres évolués qui portent en eux la graine des dieux. »
— Des évolués !? Ma Déesse, une telle confiance m’honore ! Mais je ne suis qu’un élève encore…
Tu mettras dans leur sang un parfum capiteux, tu créeras autant de parfums que de caractères humains. J’entends par caractère les qualités subtiles d’un être, ses goûts et ses couleurs, les émotions qui le traversent, celles qu’il connaît trop et celles qu’il rêve de découvrir.
Tu mettras dans leur sang l’étincelle qui rend unique. Chacun d’eux doit être unique. La machine à cloner n’a que trop tourné, il est temps d’accueillir la diversité. Chacune d’elles doit paraître étincelante et nacrée dans la foule indifférenciée d’avant. Nous n’avons fait que trop de bêtes serviles.
Tu vas devoir créer des déesses et des dieux possibles.
Tu mettras dans le sang de chacune les attirances complexes, la soif irrésistible, l’entrain d’un cœur qui bat, le rêve d’une lune bleue, la foudre pure et l’éclair d’or. Tu mettras dans le sang de chacune un réceptacle sacré, coquillage nacré, draperie diaprée, écrin d’ocre, afin qu’elle s’émeuve de ses compléments mâles et que celui qui doit la féconder soit nu devant elle, connu depuis sa naissance, reconnu en tout innocence.
— Que je ? Mais… Comment ferai-je ?
Ce qui sera dans leur sang brillera comme une comète, puissante comme une arme, touchante comme une larme, prenante comme un charme.
Ce qui sera dans leur sang se verra par les yeux de l’âme, pointu comme une lame, criant comme on clame, serein comme on calme. Impossible de ne pas sentir cet irrésistible appel, cette lancinante attaque du désir fou, cette étreinte avant d’avoir touché, cet orgasme avant d’avoir aimé.
Ce qui sera dans leur sang seul nous garantira des héritiers divins, des rejetons dignes du nom d’homme, des déesses parées du doux nom de femme, des enfants de rois, des lignées de choix.
La magie doit s’allier à la science pour obtenir cette efficacité dont l’avenir a tant besoin. Bientôt nous partirons. Le décret d’en haut ne tardera guère. Va-t-on laisser ce monde à ses guerres ? Nous l’avons créé de toutes pièces, chacune de nos actions visant à l’embellir, chacun de nos projets cherchant à l’enrichir.
Mais il ne fut qu’à notre seul usage. Créé pour combler notre bon plaisir. Conçu pour nous inspirer le plus grand désir. Si nous partons, qu’allons-nous laisser sur terre, sinon désespoir et regret ? Haine et désir de mort ? Jeu de la violence et de la détestation ? C’est ainsi que nous l’avons voulu pour nos jeux égoïstes. Si nous partons, tout finira dans l’ombre.
— Ô Déesse aimée, sans la lumière de notre Eden, leur pauvre astre ne sera plus qu’une étoile sombre.
Bien sombre, tu l’as dit. Qu’il n’en soit pas ainsi. Tu n’as que peu de temps pour l’impossible auquel tu es tenu. Va et sois efficace.
— Ô Déesse, comment ferais-je ? Je n’en ai pas la moindre idée. Tu m’as nommé généticien en chef, mais nul n’arrive à ta cheville en la matière. C’est toi qui as conçu le troupeau jusqu’ici et je…
Le troupeau, c’est le mot. Qu’il n’en soit plus ainsi. Je t’observe depuis des lustres, jamais je n’ai connu génie génétique affûté comme le tien. Tu ne sais pas, dis-tu? Ne crains pas. Tu sauras. Ainsi l’ai-je voulu. Obéis, réussis, tu seras mon élu. Nous dormirons ensemble.
— Déesse, ô ma Déesse, je ne sais que répondre. Un tel bonheur me semble…
Tais-toi et va. Mon désir t’accompagne.
— J’ai fait ce que la flamme a dit. Après deux essais fragiles, vint au jour une fleur, exquise enfant qu’on nomme Adama. J’en suis épris, ou presque : tous mes feux vont à la Déesse qui a fait de moi son amant. Ma Déesse a tenu sa promesse et mon cœur en liesse exulte d’allégresse.
La flamme est mon âme, je suis son amant. Le temps file entre nos doigts agiles, épris de jeux galants.
Mais le désir et le plaisir n’ont pas ralenti mon ardeur. Je poursuis mon travail créateur. Des êtres magnifiques : Adama a été suivie de tout un cortège de jolies filles dont certaines ont la beauté divine. Je ne fais que répéter ce que dit ma Déesse.
Pourtant je ne vois pas notre avenir en rose. Ma Déesse attend trop de moi. Elle est ma flamme, elle est mon âme, mais notre idylle ne peut longtemps la satisfaire. La flamme a tant de choses à faire, trop de fils à tisser, trop de travaux à diriger et tant de gens à ménager.
Soudain la flamme m’a dit :
–Protège-moi.
Un silence. Et ceci :
–Protège-moi contre moi-même.
Ce que j’ai fait. Assiduement. Constamment. Résolument. Peine perdue : ça n’a rien donné. Étouffant sa lueur, la flamme m’a quitté.
* *
*
Soudain les étoiles se sont tues comme on tue. Soudain j’étouffe. Que n’ai-je ouvert sa cage? Offert l’hommage ? Servi son âge et sans carnage? Sans ce mirage et ces ravages ? Sans arbitrage ? Soudain la rage est mon naufrage.
Soudain s’est abattu sur ma tête idiote le poids phénoménal de mes erreurs passées. J’ai succombé. Vivant, je suis défunt. Errant, je vais sans fin. Ma faim tenaille. Mon cœur défaille. Je vais devant vaille que vaille. L’arrêt duraille au sang qui caille. Épouvantable épouvantail, je me démaille. Au fin fond de la faille, le temps détale et je cale. En fragments s’éclate la coque du bateau ivre, s’écale la coquille du beau roman brisé. Conclusion malaisée.
Je suis orphelin d’Elle et de moi-même. Fils de ma douleur, j’erre et je pleure. La flamme n’est plus en moi. Elle brûle ailleurs.
Où?
Je ne sais. Très loin.
*
* *
Le bout du monde n’est pas assez reculé pour la flamme qui me tue, que je veux, qui n’est plus, je ne peux. Sa désertion m’est punition pire encore que la mort du corps. Sans la flamme, j’ai perdu le Nord. Je n’ai plus souvenir d’Alcor. Je suis la proie de mes remords.
Ce qui ne se peut plus devient plus qu’haïssable. Exécrable. Une abomination. La somme de nos détestations. On pourrait tuer l’objet qu’on a aimé. Tuer la flamme. Tarir la Source.On pourrait annuler l’univers. Cette planète comprise. Cette triste planète pas nette. J’ai perdu la flamme qui brûlait dans mon corps. Avenir mort. Destin retord. Place au remords.
Si une femme a saigné pour te concevoir et saigné pour te mettre au monde, lien du sang, c’est évident. Avec elle, tu l’as même sans ça, le lien du sang pour cent. Si une sage-femme s’est fait du mauvais sang pendant ta naissance difficile, lien du mauvais sang. Si quelqu’un que tu aimes a fait saigner ton cœur, vous partager un lien du sang. Si tu as torturé le cœur et les tripes de quelqu’un qui t’aime, lien du sang. Si tu te saignes aux quatre veines pour élever ton gamin des rues ou des dunes, il est lié à toi par le sang.
Chaque sang versé, chaque sang blessé, chaque sang souillé, chaque sang brouillé, chaque sang mouillé, chaque sang vengé, chanque sang échangé, chaque sang épanché, chaque sang étanché, chaque sang vu, chaque sang lu, chaque sang su, chaque sang bu, chaque sang nu, chaque sang connu, chaque sang venu, chaque sang bienvenu fait des liens plus forts encore que l’hérédité.
La Source qui coule en toi, c’est Elle. La Flamme t’emporte avec Elle sur l’aile de ton sang. Sans son sang, tu n’es rien. Sans ton sang, elle n’a rien. Elle va bien. Elle va loin. Elle en vient.
la nuit si longue
a l’air d’un gong
la nuit trop brève
suçant la sève
des bergers hmongs
en baie d’Along
ce jour qui lève
n’a rien d’un rêve
La baie de Halong (ou baie d’Along) est une vaste étendue marine de la mer de Chine méridionale. D’une superficie de plus de 43 000 hectares (1 500 km2) le plus grand karst marin du monde est situé à l’est de Hạ Long et à l’est-nord-est de l’île de Cat Ba, dans le golfe du Tonkin.
Cet incroyable labyrinthe compte des centaines d’îlots somptueusement scuptés par l’érosion. Il était naguère l’objet d’une malédiction dont l’origine semble se perdre dans la nuit des temps : en vietnamien Ha Long signifie « la descente du dragon ». Les dragons étaient des dieux pour les Asiatiques comme pour les Hébreux. Ces dieux volants sont de tout-puissants mangeurs d’hommes. On peut imaginer que l’un d’eux avait accoutumé de descendre en ce lieu pour se repaître des victimes que l’on y abandonnait pour le nourrir, afin qu’il épargne le reste de la population.
C’est dans ce cadre légendaire que se termine Indochine, le film magique cité en ouverture de l’article.film dramatique français avec Catherine Deneuve, réalisé par Régis Wargnier, sorti en 1992.
Ils sont partis vers le labyrinthe de la baie d’Along, territoire sacré pour tous les Anamites — et pour les Hmongs aussi. Les montagnards, les paysans du sud du delta, les pêcheurs du golfe du Siam, tous connaissent son existence sans l’avoir jamais vu. Ils savent la malédiction qui plane sur ces lieux. On n’a jamais revu ceux qui, assez fous ou trop audacieux, ont bravé le tabou. Ils deviennent invisibles pour les autres hommes. (Indochine, le film)
Anna, sainte-vierge et Déesse-Mère, vit depuis si longtemps qu'on a oublié son âge.
En 1989, une idée géniale a sauvé mon agence de communication qui battait de l'aile...
C'est admirable ce que tu fais. Tu me permets d'avancer le gigantesque puzzle d'Eden Saga.
Petit ou grand, un puzzle se commence par les bords, les pièces sont plus faciles…
Deux siècles après sa mort, Heine reste un écrivain discuté, surtout dans son propre pays.
Dépêchez-vous, mangez sur l'herbe, un de ces jours, l'herbe mangera sur vous. (Jacques Prévert)