Moi, Salomon, troisième roi d’Israël, potentat de Judée, fils de David et Bethsabée, je suis l’Ecclésiaste et l’amant proverbial de la sublime Balkis, Reine de Saba. J’ai voulu la prendre pour première épouse, mais elle a décliné cette responsabilité. Elle est déjà reine et protectrice de son peuple. Elle ne veut pas se partager.

 

Le roi volant

J’arbitre avec Hiram et d’autres rois voisins, la paix m’a couvert de richesse grâce à mon engin volant qui m’a rendu célèbre jusqu’en extrême orient, au pays du soleil levant. Cet astronef magique, je le tiens de David mon père, qui l’hérita du prophète Moïse, pharaon d’Égypte et père fondateur de notre nation.

L’astronef faisait partie de la flotte de guerre du grand dragon, Hachem l’éternel, premier dieu des Hébreux. Il a régné au temps de Moïse, puis cet immortel est mort, un autre immortel a pris sa place.

Moïse d’Égypte était l’humain préféré de Yahweh Sabaoth, son dieu reptilien, un autre grand dragon qui crache le feu, pourfendeur d’azur et de chair humaine. En récompense de son adoration dévote, Moïse eut de nombreux cadeaux comme l’arche d’alliance et cet astronef qui me comble à présent.

 

 

Conquérant

Plus qu’un passe-temps, cet astronef m’est indispensable. Grâce à lui je puis administrer mes nations les plus éloignées en quelques jours, et revenir par l’autre côté de Terra. J’ai tout vu, tout su, tout connu. J’ai des centaines d’hétaïres pour orchestrer tous mes plaisirs. J’ai des centaines de vizirs pour exaucer tous mes désirs. Je suis le maître du monde et des peuples, comme l’immense Rama, mon cher modèle, le géant d’antan à la peau noire comme l’ébène, ainsi que tous les nobles de l’ancien temps.

Et j’attends. Jamais une conquête n’a mis fin à ma soif insatiable. Toujours davantage, qu’il s’agisse des femmes ou des empires. Jamais je n’ai porté le titre d’empereur, moins noble pour moi  que celui de roi des Juifs. Roi du peuple élu. Que manque-t-il à ma félicité? La couleur de mon teint n’a ni l’éclat ni la profondeur des peaux noires. Je voudrais être un noir!  Malgré mon grand pouvoir, mais fortune plus grand encore, je ne sais comment y parvenir…

 

 

Tous uniques

Loué soit l’Éternel! Yahweh Sabaoth est grand parmi les dieux, et plus grand encore parmi les dragons célestes! À lui l’Unique, l’Ultime, l’Un, à lui le Meilleur Unique parmi les Uniques, le premier des Ultimes, l’ultime des Premiers, à lui l’Éternel parmi les Éternels, tous mes souhaits de longue vie! Et à son successeur Adonaï qui l’a tué un jour de colère, les mêmes louanges, humbles salutations, et vœux de long règne! Qu’il dure toujours de son vivant et qu’à sa mort il soit content!

…Car la vie est un bien perdu quand on n’a pas vécu comme on l’aurait voulu.

Mihai Eminescu

 

On dit que mon peuple inventa le dieu unique, mais si je compte bien, depuis notre père Abraham, soixante-quatre dieux ont régné sur Israël. Il y en aura encore beaucoup d’autres. Tous reptiliens, tous des dragons, tous mangeurs d’hommes et tous uniques, bien entendu.

Aucun d’entre eux n’a jamais voulu en reconnaître un seul autre. Leur cri de guerre à tous est le même : Je suis le seul dieu, l’unique, l’éternel et vous devez m’adorer à plat-ventre en léchant soigneusement mes griffes.

 

 

Désir

Moi le grand roi, je reconnais pour maître et modèle le premier empereur des humains, Rama l’indomptable, le Soleil Invaincu. C’est lui qui m’inspire, c’est lui que j’imite. Ce qu’il a fait, j’y parviendrai. Et mon harem n’aura rien à envier au sien.

Par-dessus tout, par-dessus la puissance et la gloire, par-dessus mes palais, par-dessus mes richesses, ce que j’attends sans y compter, ce que je veux comme un enfant, c’est reposer mon âme et mon cœur lourd dans les bras d’une beauté noire. J’en ai connu déjà. Mais rien qui approche de celle qui viendra.

On m’a conté des merveilles au sujet de cette reine du Sud, régente du pays de Saba, terre plantée de cédrats, d’oliviers et de buis odorant. N’aurait-elle que le quart des perfections qu’on lui prête, je n’aurais de cesse de la taquiner, d’enchanter ma dulcinée, de la bercer dans ma couche et tendrement baiser sa bouche.

 

 

L’amour fou

Elle est aux jardins du palais
je l’ai vue à travers la haie
mon cœur s’envole
pensées frivoles
je redeviens jeune homme
mais comment je te nomme
folle ingénue
que j’ai vue nue
comprends-tu ma détresse
ma reine ou ma déesse 
belle inconnue
que j’ai connue

 

« Elle est venue, elle était nue sous ses p’tits habits. »

 

Dragon

Radieuse beauté noire, femme hirondelle, perle du désert, ta présence me rajeunit. Ton regard d’oiseau me donne la puissance du dragon mon modèle. Ton amour envoûtant a la délicate fragrance des fleurs rouges sang de tes collines. Dans ton pays d’Eden où je m’abreuvais souvent aux torrents de lait et de miel.

Balkis ma bien-aimée, la flamme est allumée, sans toi je peux mourir, c’est un risque à courir, ton lait peut se tarir et ton miel peut s’aigrir, mon cœur ne peut faiblir.

 

 

Elle

Je suis noire et tu m’as trouvée belle
Toi le grand roi pilleur des cœurs inassouvis
Paradis, don du ciel à la peau, à la vie
Tu descendis vers moi sur ton cheval rebelle
Pareil au dragon d’or de nos refrains d’enfants

Tu me prends
Tu m’as aimée si fort que je deviens sirène
Nos corps se font navire et je sens la carène
Qui me fend
Je me rends
Tu n’es plus qu’un reflet de toi-même
L’œil de feu qui m’attire et qui aime
L’œil de faon

 

 

Attente

Mon amour est si grand
Que les mots pour le dire
Me manquent
Ton absence est bien pire
En mon cœur où s’étire
Ce blank
Écoute les accents
De nos accords glissants
Ce rire
Étouffé d’un enfant
Près du lac où se mire
Un faon

 

 

Errances

Ô mon aimée, je te cherche parmi les parfums, les senteurs, les fragrances
Je te désire au creux des joncs
Ta gorge est un empire que je préfère au mien
Tes ailes te portent au-delà de nos rêves
Plus surement qu’un astronef fut-il donné par Dieu lui-même
Tes charmes ont de quoi émouvoir le rocher
Le noir mur de marbre ou le rose granit
Les houles de Bretagne et les vents de tempête
Qui secouent le rivage où les proues sont jetées

Que te dirais-je encor que mon corps ne t’a dit?
Souvenirs des matins, des caresses, des nuits
Tous les matins du monde où notre amour nous mène
Fleur d’eau, fleur d’oranger, fleur de cuir et d’hymen,
Plus douce qu’un soupir et plus subtile aussi.

Sais-tu combien je t’aime?
Jusqu’où? Et depuis quand?
Du jour où l’anathème
Mit mon âge à l’encan

 

 

Remords

Je suis un saule et me répands
Tu t’en es allée la première
Je ne puis retenir mes pleurs
Quel dénouement

D’amours sans cœur je me repends
 Sans conviction sans la lumière
Et sans cette ineffable ampleur
Des sentiments

Ton départ est un guet-apens
Devant ta douceur coutumière
Faraud baratineur hâbleur
Celui qui ment

Celui qui triche à tes dépens
Peignant en palais sa chaumière
La parant de mille couleurs
Bien indûment

Tend vers sa maîtresse en rampant
Un bouquet rosé de trémières
Ces fleurs arrosées par mes pleurs
Abondamment

 

 

Le tombeau des regrets

Voici les mots qu’elle a dit. Murmure à mon oreille, érotique oraison des corps, bonheur et satiété d’abord, extase et vérité dedans. L’amour avec elle a des accents troublants.
Il a suffi que je m’égare et que je te traite en infirme, il a fallu que je m’exprime! Que n’as-tu mis ton doigt de rose sur ma lèvre importune? Tout s’est écroulé sur le champ.

 

 

55 66 77 88

Chaque jour je guette
Sur une échauguette
Le retour espéré
De ma belle adorée
Il a suffit d’une erreur
Pour apporter le malheur
Cet enfer cent fois mérité
Qui fait insulte à ta beauté

 

Le cantique des cantiques

Merci à toi, Salomon grand roi. Tes amours avec Balkis reine de ton cœur et de Saba, je les ai déjà contées. Tu les as dialoguées toi-même, et dédiées à cette énième compagne, ni épouse ni concubine, pour toi la femme. La seule femme que tu as aimée.

Le cantique des cantiques est pour moi la plus belle page de l’ancien testament et toi, Salomon, le plus grand roi hébreux. Lumière de l’orient, roi prophète, roi poète,  roi musicien,  roi guerrier,  roi volant, frivolant, fulgurant, toi le roi ecclésiaste qui as brillé si fort sur la mer Méditerranée et bien au-delà, tu resteras le premier mage d’orient et le premier sage d’occident.

 

 

Le Troisième Testament

 

 

 

Tu m’attends

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

(Victor Hugo, Les Contemplations, 1856)

 

 

 

Xavier Séguin

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Xavier Séguin

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