Sans limite

 

Ça commence par un film, Limitless. Les blockbusters d’Hollywood sont parfois très inspirés. Certains d’entre eux frôlent le génie, d’autres le dépassent même. Comme Matrix1, comme Inception, et comme Limitless. L’argument est simple : une nouvelle drogue, le NZT, permet d’utiliser 100% des capacités cérébrales au lieu de 10% — la moyenne humaine.

 

Prix à payer

Les effets sont spectaculaires, instantanés. Qui en prend se souvient de tout ce qu’il a vu, lu, su, perçu, entendu, senti et compris depuis l’utérus de sa mère jusqu’au moment présent. C’est exactement l’effet de l’éveil au stade 3 et au delà. Mais contrairement à l’éveil, avec le NZT, il y a un prix à payer. Premier souci : des absences. Sous l’emprise de la drogue, on oublie tout ce qu’on a pu faire dans les heures précédentes. Y compris violer, blesser ou tuer. L’abus d’alcool a des effets analogues, jamais l’éveil.

Deuxième souci : à force d’en prendre, des migraines surviennent. On doit être hospitalisé.

Troisième souci, la médecine est impuissante. Aucun traitement connu. Poussé à son extrême limite, le corps lâche. Overdose et la mort à brève échéance.

Malheureusement tous ces films à succès se doivent d’être grand public, c’est à dire spectaculaires et très crétins. Si l’idée est bonne, l’histoire est conne. Inutile et dangereuse, la drogue ôte au film toute portée philosophique. Le suspens prévisible remplace la sagesse initiatique. Dommage.

 

Sans les soucis

L’éveil a le même effet, sans les soucis. Aucune prise médicamenteuse, tout le processus est naturel. Imagine que tu reçois la foudre. Miracle, elle ne te tue pas. La surtension électrique t’éveille sur le coup. Tu n’as fait aucun effort pour y parvenir, tu étais au bon endroit, ton organisme a supporté le choc. Te voilà baigné de clarté, envahi par des pouvoirs insoupçonnés.

En un seconde, au moment de l’impact, ton cerveau a multiplié son potentiel par trois. Tu utilises à présent 30% de tes capacités cérébrales. Si ton évolution s’arrête à ce stade, tu feras partie de l’élite secrète du peuple humain. Il se peut que tu deviennes célèbre grâce aux dons nouvellement acquis. Mais si ta progression ne se poursuit pas, la célébrité te lassera, son goût passera, ton excitation s’éteindra.

Je ne suis jamais satisfait. J’ai beau essayer. Essayer. (Les Rolling Stones)

 

 

 

Deuxième chance

C’est ta deuxième chance. Tu peux la saisir pour rebondir et aller encore plus loin, encore plus haut. En utilisant tes nouvelles capacités cérébrales, tu peux te souvenir de beaucoup de faits oubliés et t’en servir pour mieux te connaître et comprendre plus subtilement les mystères de la vie et du monde. Chaque nouvelle cognition augmente tes capacités cérébrales et t’offrent de nouvelles découvertes.

Après une soixantaine de compréhensions majeures, tes capacités cérébrales sont multipliées par trois. Tu maîtrises à présent 60% de ton cerveau. Les cognitions ne cessent d’affluer, sans effort, sans te creuser la tête, sans y penser. Ce sont des flashes. Des visions. Ces découvertes ne passent ni par les mots, ni par les idées, ni par le mental, mais elles passent. Et tu changes.

Arrive le moment où tu peux utiliser 100% de tes neurones et de tes synapses. C’est le stade 3 de l’éveil, qui en compte sept. Autant dire que la progression peut continuer. Et longtemps même. 

 

L’inaccessible étoile

J’ai identifié dans un article précédent sept degrés d’éveil accessibles à l’humain. Je sais à présent qu’il y en a bien davantage Je l’ignorais, je l’ai appris. J’ai compris du même coup que je ne sais rien. Mes progrès, aussi spectaculaires soient-ils, sont infimes sur le chemin de la connaissance totale, immédiate, ultime : le grand pouvoir des Druides pré-celtiques, la science infuse des adeptes, Pic de la Mirandole, Einstein, Tesla… Ces géants ne sont que fourmis face à la Déesse Mère qui a tout conçu, tout conquis, tout compris. Notre-Dame d’Alcor et autres lieux, l’impératrice des mille étoiles qui a façonné cette partie de l’univers — Ana, l’une des scientifiques concepteurs du Big Bang.

 

 

Humilité

Stimulés par de nouvelles cognitions, les progrès de ton cerveau ont beau t’ouvrir des portes insoupçonnées, ce n’est rien. L’accroissement prodigieux de tes connaissances te fait comprendre l’écrasante étendue de ton ignorance. L’humilité te sauve à point nommé. Si tu es conscient que ton éveil n’est pas dû à ton génie, si tu ne te prends pas pour dieu ou la Déesse, ce sera par humilité. La sagesse n’est rien sans elle. La connaissance suprême te reste inaccessible, mais par la grâce de l’amour inconditionnel et de l’humilité sincère, ça n’a pas d’importance. Le chemin continue, tes aventures aussi.

L’homme moyen cherche la certitude dans les yeux d’un spectateur et nomme cela confiance en soi. Le guerrier cherche à être impeccable à ses propres yeux et appelle cela humilité. (Carlos Castaneda)

 

Cent mille portes

À ce stade, tes neurones accueillent au moins douze synapses. Ce sont les plus nombreux. D’autres en reçoivent bien davantage : jusqu’à deux cents. Les connexions innombrables entre tes neurones ouvrent cent mille portes et une infinité de fenêtres. Le stade 4 de l’éveil t’amène à créer des synapses entre les très nombreux neurones qui en sont dépourvus : ceux de ton côlon, les plus nombreux, et ceux de tout le reste de ton corps.

Le mental est devenu depuis longtemps un outil dépassé. Il ne t’a permis que des investigations limitées, soumis qu’il est aux contraintes de ses programmes. Ton corps tout entier ne te suffit plus. Tu te sers de ton double qui est descendu en toi lors de l’arcane XVI. Ton corps est devenu le Temple de la Divinité, la Maison Dieu. Voilà ce que peut produire un éveillé au stade 7. Ça fait envie et c’est sans danger.

Pas d’effet secondaire. Pas de maux de tête. Pas d’hôpital. Pas d’overdose.

 

Impossible Satisfaction

Au contraire ! J’ai acquis la conviction que nous sommes ici-bas pour utiliser TOUT NOTRE POTENTIEL. Ne pas le faire revient à se priver de 90% de fun. Avec les 10% restant, impossible d’être satisfait de toi-même. Donc impossible d’être heureux. Développe tes pouvoirs, acquiers l’éveil, tu comprendras que le paradis est en toi, sans substance dangereuse, sans excitation inutile, dans le calme et la sérénité d’un lac insondable que tu as pourtant exploré.

Je ne suis jamais satisfait. J’ai beau essayer. Essayer. (Les Rolling Stones)

 

Connais-toi toi-même et tu connaîtras les hommes et les dieux.

 

 

Le secret de Candide

Des penseurs de jadis ont jugé inutile de se pousser à grandir, de chercher à gagner le sommet de soi-même. Ils ont prêché la contemplation, la méditation, le recueillement, l’acceptation de nos limites, le rabaissement de soi. Si l’humilité est indispensable, l’auto-dévaluation est criminelle. Tu deviens la victime de toi-même.

Il faut cultiver son jardin, a dit Voltaire dans le Candide. Je l’ai fait, ça m’a gavé. C’est bien joli, c’est réconfortant, exaltant même — mais largement insuffisant. L’amour de la nature embellie par mes soins est certes une noble tâche, mais j’ai vite compris que je me trompais de jardin. J’ai décidé de cultiver plutôt mon jardin intérieur. Voilà le secret de Candide.

J’ai flâné, j’ai contemplé, j’ai cessé de penser, j’ai cheminé longtemps sur la voie du milieu. Aveuglément j’ai suivi les sages préceptes des orientaux. Ce sont des blagues. Des conseils naïfs que tu peux lire partout — même ici ! Pourtant c’est du vent. Un emplâtre sur une jambe de bois. J’ai découvert la sagesse des dieux d’avant. Un hochet pour les grands. Alors je suis revenu à Castaneda, qui a vécu les mêmes choses que moi. Doucement, j’ai retrouvé l’esprit de l’enfant.

Le tout-petit n’est pas dupe. Il fonctionne de manière optimale, côté droit et côté gauche en coordination. Mais son cerveau n’est pas développé. Pas encore. Dès la fin de la première phase d’apprentissage, l’enfançon a triplé ses capacités cérébrales. Et ça peut s’arrêter là. Il plafonnera toute sa vie en n’utilisant que 10% de son potentiel cognitif. Les Quotients Intellectuels à trois chiffres vont un peu au-delà. Les génies vont plus loin encore. Seuls les éveillés se lancent à la conquête de la totalité de leur potentiel cérébral. Seuls les éveillés savent que le grand pouvoir est sur soi-même.

 

 

Du Bateleur à la Papesse

La première phase d’apprentissage s’achève vers l’âge de 3 ans. Elle a commencé dès la conception, dans le ventre de sa mère ou dans une éprouvette. Dans la langue initiatique du Tarot, ce sont l’arcane I et II, le Bateleur et la Papesse. C’est une phase décisive d’acquisitions innombrables, de cognitions incessantes, de stimulation des neurones et de connexion des synapses. Pour stocker du data, le cerveau vierge doit produire ses premiers programmes, qu’il gardera toute la vie… en principe. Si aucun nettoyage n’intervient par la suite.

À mesure que le cerveau s’instruit, il se borne et s’abuse. L’acquisition des connaissances et leur classement se font en mode accéléré. Ce qui n’est possible qu’en élaborant des programmes. Le cerveau est un ordinateur. Aucun ordinateur ne fonctionne sans programmes. Longtemps je me suis demandé qui en était l’auteur. Sont-ils en nous dès la conception ? En ce cas, d’où viennent-ils ? Qui nous contraint ? Qui nous pilote ?

Nous-mêmes, je suppose. Le fœtus et le nourrisson créent leurs programmes à mesure qu’ils acquièrent des connaissances.

Le jeune cerveau apprend des modes de pensée, il accepte des habitudes arbitraires et illogiques dictées par son milieu. Elles se révèlent castratrices, réductrices, inhibitrices. Pourtant elles sont indispensables à la survie dans une société aliénée. Une société polluée par les erreurs, bornée par la bêtise érigée en dogme. Si tu penses autrement, tu es dangereux. Si tu ne penses pas, si tu te libères de toute aliénation, on t’exécute.

 

Auto-programmé

Les bugs du programme font autant de limitations définitives. Elles sont le socle sur lequel s’érige l’ego. Dans la première moitié de sa vie, on se forge un ego solide. Un ego capable de produire de nouveaux programmes pour acquérir du data. N’empêche que tous ces programmes sont vérolés. Bornés par les limitations qu’impose l’environnement culturel, social, religieux…

Personne d’autre que toi n’a créé les programmes qui font tourner ta cervelle. Tu les as tous conçus en piochant dans la base de données de ton époque, de ton milieu, de tes croyances et de ton sexe. L’individu normal accepte tout ça sans broncher, le fataliste fait avec, le réaliste s’aligne sur le grand nombre — seul le révolté refuse en bloc.

On consacre la première moitié de sa vie à se forger un ego solide, et la seconde moitié à s’en débarrasser. (Carl Gustav Jung)

 

 

Les mystères

Tôt ou tard, il trouve le moyen de changer le plan bugué issu de ses trois premières années d’existence. Dans le tarot initiatique, ça s’appelle l’arcane XIII. Au Moyen Âge, on parlait des Petits Mystères. Ce sont les mystères centrés sur ta personne. Les Grands Mystères concernent le reste du monde. C’est ce sur quoi travaillaient les religions à mystères de la haute antiquité. On les appelaient les mystères d’Isis. Une fois les grands mystères éclaircis, l’impétrant recevait le don d’Isis — c’est l’éveil.

Dans la langue du Tarot médiéval, ici intervient le Diable, arcane XV. L’ultime prélude à l’éveil. Il faut arriver au stade où tous les chakras sont grand ouverts, à l’exception de la fontanelle, le chakra couronne. Dans ce travail, le rôle de l’initié est plus actif que pour l’arcane XIII. L’arcane XV demande une participation active à l’impétrant. C’est son travail, son œuvre, le maître passant du devoir ne fait qu’ouvrir la porte, mais les blocages émotionnels restent à la charge du futur éveillé.

L’éveil se gagne de haute lutte sur soi-même. Tu ne devras ni te surestimer, ni te sous-évaluer. Connais-toi toi-même. Utilise toutes tes capacités cognitives, sensitives et subtiles en ce seul but : grandir. Crever le plafond. Percer la barre qui verrouille la fontanelle du Diable. S’aider de la ramure qui nous sert d’antennes.

La ramure de Rama, les bois de Bel, les cornes d’Hathor.

 

Les quatre ennemis

Il te reste à vaincre les ennemis du guerrier si tu veux avoir ton cm³ de chance. D’abord la peur. Tu devras être capable de rester calme face au danger, à une agression physique ou psychique, etc. Il te faudra supporter d’une âme égale les émotions paroxystiques.

N’aie pas peur du monde, ami. C’est plutôt le monde qui devrait avoir peur de toi. (Lao Surlam)

 

Ensuite la clarté. Tu ne la connaîtras qu’après l’éveil. Celle que tu ressens avant est un leurre. Une impression fausse. Un cul de sac issu du conditionnement reçu avant l’âge de trois ans. Tu es censé lui avoir tordu le cou lors de ton arcane XIII, mais les engrammes ont la vie dure. Il ne s’agit pas de la lumière de l’éveil mais d’une découverte émotionnelle. Desserre d’un cran ta ceinture de méditation, te dirait le lama Guendune Rimpoché.très précieux

Idem pour les pouvoirs. À ce stade, ils ne sont pas encore là. Tu devras vaincre l’illusion du pouvoir, car tu n’en as guère. Pour t’aider à y parvenir, le maître passant va s’employer à te montrer tes faiblesses. Si ça te fait peur, tu n’es pas prêt. Si tu vois clairement que le maître se trompe, il est trop tôt pour toi. Si tu n’as que le pouvoir de fuir, cette dérobade est heureuse. Ne reviens pas avant d’avoir passé ces trois étapes.

« Tu dois juste te demander comment utiliser correctement les pouvoirs que tu as » (Carlos Castaneda)

 

Quoi que tu fasses, le quatrième ennemi finira par te vaincre : c’est la vieillesse. Le temps est compté qui t’est imparti. Tu as certes toute la vie devant toi, mais qui te dit quand elle finira ? Hâte-toi lentement. Ne cherche pas à gagner du temps, c’est le meilleur moyen d’en perdre. Cultive l’humilité, tu ne sais rien. Aie foi en toi, crois en ton maître, mais ne l’adore pas.

 

 

Vers la fin

Limitless me laisse sur ma faim. La fin du film est décevante. La parole d’or devient charabia mercantile. Les scènes d’action, les images gore, les poncifs économiques et financiers m’ont bien usé les nerfs, mais j’ai tenu jusqu’au bout. Détail marquant : l’ex du héros lui avoue qu’elle a pris du NZT, mais que c’est fini pour elle.
– Pourquoi as-tu arrêté ?
– On ne peut pas pousser la machine à un tel niveau sans mettre sa vie en danger, répond-elle.

C’est vrai pour la drogue, pas pour l’éveil. Ça se vérifie pour tous les excès : la compétition, le haut niveau, l’extrême, mais jamais pour l’éveil. Le tarot nous apprend comment éviter les pièges de l’excès avec l’arcane XIIII Tempérance. La femme tient deux cruches horizontales, réunies par un jet d’eau. La chose est physiquement impossible, mais possible pour l’énergie. Cette femme fait communiquer son côté gauche et son côté droit. L’éveil se précise…

Étape par étape, le chemin du tarot suit son cours. Ton viatique t’est donné à mesure. Chaque arcane t’enseigne ce qu’il faut savoir faire pour atteindre l’arcane suivante. Le jeu a ses règles. N’oublie pas celle-ci : le petit va au bout. Et le Bateleur deviendra Mat.

Un guerrier traite le monde comme un mystère infini, et ce que les gens font comme une folie sans bornes. (Carlos Castaneda)

 

On doit des égards aux vivants. on ne doit aux morts que la vérité.
Voltaire