Souvenirs d’Hyperborée

 

Mon âme est celte. Je me souviens d’Hyperborée. Nuits fragiles, forêts hostiles, jeunes filles nubiles, garçons habiles, guerriers subtils, orgies futiles, lits inutiles… Je suis né sur les îles du ciel. J’y ai grandi, bercé par les fées, allaité par les muses, choyé par les nymphes. Mes douze frères m’ont enseigné les devoirs de ma caste : guerriers.

 

L’aurore

Je suis né en l’an 16300 du règne de l’impératrice Anna. J’ai vu le jour à l’aurore, au tout début du printemps — double signe bénéfique pour mon peuple. J’ai grandi sur le vaisseau-mère comme les autres filles et garçons de mon clan, celui du Loup. Mon meilleur ami s’appelait Aorn. Il est parti pour le Centre Terre et jamais je ne l’ai revu. Aorn aimait trop Terra, cette planète à demi sauvage. J’ai toujours préféré la vie sur Hyperborée, parmi les fées, les dieux et les géants. Les choses sont comme elles sont, je souhaite qu’il soit heureux là où il est.

Ma vie se déroule, paisible et grisante, à bord du grand vaisseau des dieux terraformeurs. Mon peuple aime la chasse et la guerre. Tous les jours je m’entraîne au maniement des armes. L’arsenal d’Hyperborée comporte des dizaines d’armes différentes, aux effets surpuissants.

 

L’éveil au bout du canon

J’adore le tir. Choisir sa cible, évaluer la distance, régler la visée, la portée, sélectionner le projectile, armer, viser et clitch ! Aucun bruit. Juste la petite décharge dans l’épaule, très légère, qui montre que le tir a eu lieu. Et aussitôt après, l’explosion de la cible vient couronner ton kif.

Mais ne me prenez pas pour un tueur ! Nos armes diffèrent grandement de celles qu’on utilise sur Terra. Selon le réglage, elles peuvent tuer ou blesser, mais aussi guérir le corps vivant, réparer les os cassés, rendre la jeunesse et donner l’éveil. Au lieu de faire exploser  la cible, nous la transformons, nous l’améliorons, nous lui donnons la vie éternelle aussi facilement que vos armes donnent la mort.

 

Choisis ton île

J’ai grandi parmi les géants, sur leur île montagneuse. Ils sont de bons compagnons, un peu lourds à la détente, mais bien pratiques quand il s’agit de construire un pont ou de renverser une montagne. Pour creuser les tunnels, les géants ne valent rien, mais heureusement il y a toujours des nains quand il y a des géants. Et les tunnels, les mines, les souterrains, c’est le domaine royal des nains, maîtres de l’Abzu.

Pourquoi chez les géants ? Tant qu’à vivre sur les îles du ciel, choisis bien ton île, disait Aorn. J’ai choisi les géants. Ils sont grands, ils sont lourds, ils sont bêtes. Pour un petit gars débrouillard, c’est encore le meilleur endroit où couler des jours heureux sur Hyperborée. Mais assez parlé de moi. Il y a une raison impérieuse à ma présence parmi vous. J’ai quelque chose de très spécial à vous dire. Tout ce qui arrive est voulu.

 

 

Tout est voulu

Urgence. Importance. Délivrance. Tout, je dis bien tout ce qui est arrive est voulu. Pas le choix. Marche droit. Tais-toi. C’est comme ça. Voilà le cœur du message, mes sages. Écoutez, croyez-en vos oreilles, tout ce qui arrive est voulu de toute éternité. Il n’existe aucun moyen d’empêcher que le futur ne t’explose en pleine face parce que c’est exactement son boulot.

On n’est pas là pour se flatter l’ego. On a autre chose à foutre que se dorer le mental. Si tu continues comme un cul à espérer un message intelligible, intellectuel ou simplement intelligent, c’est indigent, indigne des gens qui se disaient autrefois les géants. Mon boulot de gagne-petit qui ne gagne qu’à être connu. Je vous donne ma parole d’aphone chevrotant qui bredouille dans le désert, la voili la voiça : vos gueules !

Fermez-la, les mentaux ! (les manteaux, les ment tôt, l’aimant tau, l’aime hante haut) Tout celui qui vit avec sa seule tête et qui s’entête à refuser son corps profond, tais ta gueule ! Arrête la machine à mouliner le mental, à panser les pensées, à dépenser les pensums. Stoppe le monde, coupe-toi la tête. Déploie donc tes capteurs subtils. Si tu en as, c’est pour t’en servir.

 

Capteurs subtils

Petite note en passant sur laquelle j’écrirai sans doute un article mais vaut mieux tenir que courir.

Depuis environ quatre ans, d’étranges organes invisibles font leur apparition dans la première couche du corps subtil, près des tempes. Comment les décrire ? On dirait une sorte de ramure de cerf, moins développée, moins pointue. Ces « bois » subtils se développent de chaque côté de la tête à partir des tempes, ils sont animés de mouvements lents ou vifs qui changent l’orientation des branches.

Leur forme arrondie évoque celle de certains cactus, sans les piquants toutefois. Je les observe sur de très jeunes enfants, ceux qui ont les nouvelles auras : indigo, cristal et arc-en-ciel. Ils sont très nombreux, croyez-moi.

À quoi leur sert ce nouvel organe ? Difficile à dire. Je viens de recevoir un stagiaire quadragénaire qui en est pourvu. C’est le premier adulte que je vois avec ces machins. D’après lui, ça lui sert à émettre et à recevoir. Il va étudier la question. Il n’y avait jamais réfléchi parce qu’il ignorait qu’il en avait.

La chose est récente, peu d’auteurs en ont connaissance, je tenais à vous en informer en attendant de traiter la question plus à fond.

 

 

Cueille

Recueille. Accueille l’imaginaire mâle et femelle, notre père et notre mère, rejoins-les dans la grand’ maison des sans-raison. Écoute, bon dieu !  Écoute ton propre silence ! Ça te rafraîchira. Ensuite peut-être pourras-tu entendre les autres

Tout le monde fait son boulot du mieux qu’il peut, même les gueux, même les rombiers. Certains soignent surtout les factures. Dodues et rondelettes. Mazette ! Mazel tov ! Mais parlons d’autre chose, ça me les brise, ça me glace. Ça me les brise-glace.

Je me concerte. Certains moi ne sont pas d’accord avec les autres. Conflit interne. Ça rouscaille ferme. Ne quittez pas, je tente de vous connecter. Si ça se prolonge, raccrochez, on vous rappelle sans faute dans 107 ans.

 

L’éternel présent

Oui. Depuis toujours. Et ne croyez pas que ce soit par volonté divine. Les dieux, ceux que nous appelons ainsi, ne sont pas plus à l’abri du destin que les hommes.

La moïra est la part de vie, de bonheur, de malheur, de gloire, etc., assignée à chaque mortel par le Destin et à laquelle les dieux mêmes ne peuvent rien changer, nous dit l’encyclopédie Larousse.

Moïra écrase les grands comme les petits, elle fait les riches et dépense les fortunes, nul n’est à l’abri de ses caprices insensés. Mais ça tient la route. Ça suit l’épure et ça reste dans les clous. Sous ses faux airs de jean-foutre, Moïra sait ce qu’elle fait. Et le destin des insectes est aussi préparé que le tien, mon amie.

Rien n’échappe à la loi de l’éternel présent. Tout ce qui arrive est déjà arrivé dans le monde parfait de l’éternel présent. Un jour, c’est son tour, la chose ou l’événement s’incarne dans la trame temporelle parce que depuis toujours elle/il attendait son tour dans l’antichambre de l’éternel présent. Ceux à qui cette idée fait penser au ciel des Intelligibles du cher Platon ont gagné. Quoi ? Toute ma considération.

 

Je me souviens

Mon âme est celte de naissance. Les âmes naissent-elles ? On le dit. Je ne sais pas. J’ai vécu la même vie des myriades de fois, je la vis depuis toujours et je n’en sortirai jamais. Ainsi le veut la loi circulaire de l’éternel présent. Comment voudriez-vous qu’il en soit autrement ? Celui qui gagne, toujours gagnera. Celui qui perd, perdra toujours. La vie coule, indifférente, toujours pareille. Et nous nous agitons, pantins dérisoires, sans savoir que pour nous les dés sont jetés de toute éternité.

Je me souviens d’Hyperborée l’inoubliable. je revois nos jeux à mi-chemin du réel, dans la semi-banlieue de l’éternel présent. Aorn appelle ça les plis du temps, à mon avis c’est un truc qu’il n’a pas compris. Faut dire que ça va vite. La lumière est de l’énergie rapide, la matière est de l’énergie lente. Mais quoi qu’il en soit, tout est énergie.

Tu commences à voir où je veux en venir ? La chance ! Je ne peux qu’énumérer les conséquences de nos origines divines et de nos destins programmés.

 

 

Tout est énergie

Le monde tel que nous le connaissons n’a pas la moindre existence réelle. Il est virtuel, comme tout le reste. Le multivers est virtuel. La Terre est virtuelle. Le multivers de terre est virtuel aussi, du coup. Tout ceci n’en doutez pas est complètement voulu. Je désire vous rafraîchir un peu les neurones du bide et d’endormir ainsi les neurones de la tête avant d’attaquer la suite du Vieux Patate. Il va y avoir des notions nocives, des idées décidées, des chocs chics, des répliques qui claquent sec et piquent du tac au tac. Pour que ça répare, ça se pare et ça se prépare.

Mes douze frères ont fait leur part. Rien ne reste au hasard. C’est le mur du bavard, il se tait quand il part. J’en ris de part en part et m’aligne au départ. Tout est énergie m’a dit Paoli Vaopo Mamamouchi de Karachi. Dites-lui Monseigneur, s’il vous plaît. Il y tient le bougre. Dans son état, faut bien qu’il tienne à quelque chose, sinon il s’écroule comme un sac. Tout est énergie ? Pas chez lui.

Toute transmission d’énergie est transmission d’information, dit la Physique. Elle a raison de fond en comble.

 

L’île Seguin

C’est vrai, les mamamouchis sont trop décadentset Ève ? Non. Ah bon. Laissons tomber ces mamas tout mous qui nous chient dans la colle. Des cadences infernales sur les chaînes de montage. La forteresse ouvrière de l’île Seguin, mon grand-père fraternel. Il a perdu l’accent pourtant. Tout est énergie, même lui. L’île Seguin aussi, tout Billancourt tout court. Laisse courir. Laisse pourrir. Laisse mourir.

L’énergie survivra. Seule elle règnera, l’éternité devant soi, la vie vive et défi vibrant, la vie, l’avis, lavis, et tousse qui sans suie. Si tu n’as rien compris, réjouis-toi : à tout prendre, il n’y a rien à comprendre. Si tu as tout compris, tu sais que tu viens de dégommer, distiller, dévider, dégoupiller dix précieuses minutes de l’éternel présent. T’inquiète, il en a des chiées.

 

 

Tout peut arriver

Premier frère s’appelait Jacques Du Chemin, il avait le sommeil lourd. Second frère s’appelait Jean Des Rues, urbain habile. Tiers frère se nommait Alceste la Peste, demi-femme et fort leste. Quart frère Robert Marre-Les pétunait des pétards et ratait ses rencarts. Il m’a appris le non-hasard qui n’existe pas plus que son contraire.

Mes autres frères m’ont offert ce qu’ils savaient le mieux, Lucien l’amour des siens, Julien l’amour des liens, Picsou l’amour des sous, Gauvain l’amour du vin, de même pour mes frères Sussex, Snapchatte, Garflemme, Bonnebeu, Tarir, Bambouf, Johnbaez et Confesse. Ainsi j’acquis douze bouses de la loose qui toutes ensemble ne valaient pas un flouze. Je les ai troquées pour la carte d’un avenir moins tarte. Tel est le sort des études subies.

 

Saint Jean Nivers

Je ne savais pas encore à quel point tout est écrit, jusqu’au moindre point, jusqu’au café du coin, jusqu’à Moret sur Loing et Nuillé sur Vicoin. Tsoin tsoin tsoin le saigneur, vieux de lune hiver, dit le cantique. Tout est possible, même un Saint Jean Nivers. Tout peut arriver puisque tout est écrit.

Tout signifie chaque chose et son contraire, chaque fait et sa négation. Donc tout s’annule. Tout est écrit, donc rien n’est destin, rien n’est certain, rien n’est lisible. C’est risible. J’en pète un fusible.

Enfin bon. Il fallait que ça soit dit.

 

Le nom du vaisseau mère

Une autre chose doit être dite: les noms qu’on a donné à Hyperborée. Le premier, le plus connu, Eden. Hyperborée est le paradis terrestre, bien qu’au dessus de notre planète. Les Sumériens le connaissaient bien, ils l’ont nommé Nibiru. Pour les Hindous, c’est le paradis de Shiva. Pour les Chrétiens, c’est la Communion des Saints. « Les saints et les anges, en chœur glorieux, chantent vos louanges, ô Mère des Cieux. » Il ne s’agit pas de Marie, mère d’un christ inventé, il s’agit de l’adoration de la Déesse Mère, Notre Dame d’Alcor. On l’adore dans son monde itinérant,

 

Cet article est l’actualisation d’une première parution d’octobre 2020 intitulée Des îles dans le ciel.

 

Nous sommes tous des visiteurs de ce temps, de ce lieu. Nous ne faisons que les traverser. Notre but ici est d’observer, d’apprendre, de grandir, d’aimer… Après quoi nous rentrons à la maison.
Sagesse aborigène