…Qui pourrait aussi bien s’appeler le Discours sur l’invention de la morale. Nietzsche détaille comment Bien et Mal ont remplacé Plaisir et Douleur. Un changement de société majeur. L’être, seul juge de sa vie et de son comportement, cherchait le plaisir épicurien. Avec l’avènement du Bien et Mal, l’individu remplace l’être. Et le groupe social porte un jugement sur lui.

 

Des préjugés des philosophes

Suivre les diktats de la morale revient à se soumettre aux prêtres, juges et professeurs. L’élite impose aux masses une obligation déconnecté de la vie organique et de la voie de la nature. Et cette obligation s’applique à tous les domaines de la vie sociale ou individuelle. Pourtant, seuls les masses y sont astreintes, la noblesse et le clergé se sentent comme toujours au dessus de ces contraintes qu’ils jugent niaises.

Si elles sont inutiles, pourquoi les imposer ? Parce qu’elles sont niaises, ces règles ne s’appliquent qu’aux imbéciles. Vous et moi, chers amis. Faut se faire une raison, les puissants sont et seront toujours intouchables.  Pour Nietzsche, les seuls puissants qui importe, ce sont les métaphysiciens. Ses pairs, sinon ses semblables.

Mes pairs ? s’exclame-t-il horrifié. Allons donc, vous m’aurez mal lu. Je n’ai rien, mais alors rien du tout d’un béta fils de chien. Tchaaaa ! Damné rhume ! …Rien d’un métaphysicien, du moins rien de ces gens-là qui se gaussent et se haussent à longueur de salons. Un vrai philosophe peut-il être mondain ?

« Étant admis que nous voulons le vrai, pourquoi pas plutôt le non-vrai ? Et l’incertitude ? Voire l’ignorance ? Le problème de la valeur de la vérité s’est dressé devant nous, — ou est-ce nous qui l’avons rencontré sjur notre chemin ? Qui de nous est Œdipe ici ? Qui est le sphinx ? C’est là, semble-t-il, un nœud de questions et de points d’interrogation. » (source)Friedrich Nietzsche, Par-delà bien et mal, Des préjugés des philosophes, NRF Gallimard, page 21

 

Après la physique

Ta méta ta fuzika, intitule Aristote le livre qui, dans son œuvre, vient après la Fuzika, la Physique. Aristote ne savait pas quel nom donner à la « plus que science » qu’il découvrait. Une science plus éternelle selon lui que la géographie, plus intérieure de la pysique aussi…

Ce qui vient après la physique, non-titre par excellence, a définitivement titré la discipline reine de la philo, la métaphysique.

 

 

L’antinomie des valeurs

« La croyance fondamentale des métaphysiciens, c’est la croyance en l’antinomie des valeurs. Même les plus prudents, ceux qui s’étaient jurés « de omnibus dubitandum »,de douter de tout ne se sont pas avisés d’émettre un doute sur ce point, au seuil même de leur entreprise, alors que le doute était le plus nécessaire.« (source)loc. cit., page 22 

Bien sûr, cette croyance aux couples d’opposés est une sale habitude des gens trop simples. Les vrais philosophes auraient dû s’en gausser, Nietzsche a raison de le faire, et d’y insister. Ainsi donne-t-il quelques lignes plus loin cet exemple criant : « La conscience ne s’oppose jamais à l’instinct d’une manière décisive, — pour l’essentiel, la pensée consciente d’un philosophe est secrètement guidée par des instincts qui l’entraînent de force sur des chemins déterminés.«  (source)loc. cit., page 23 

On voit bien où le grand penseur veut en venir. Il entre par effraction dans le temple de la pensée suprême pour en briser les statues, réduire les dogmes en bouillie, souligner les incohérences et dénoncer les naïvetés. On comprend à quel point il a pu être haï de son vivant, lui que rien n’arrête, lui qui ne respecte aucun tabou.

Entre, enfant

À quoi le mener cette entreprise de démolition généralisée ? Étant à ce point systématique, Nietzsche ne risque-t-il pas d’en faire son système, ni meilleur ni pire que ceux qu’il dénonce ? « Qui de nous est Œdipe ici ? Qui est le sphinx ? C’est là, semble-t-il, un nœud de questions et de points d’interrogation. » (source)loc. cit, page 21

Il s’acharne sur les tandems antagoniques, passablement stupides, mais il s’autorise à tout refuser, à renvoyer dos à dos les uns comme les autres, avec une violence adolescente. « Étant admis que nous voulons le vrai, pourquoi pas plutôt le non-vrai ? Et l’incertitude ? Voire l’ignorance ? »  (source)loc. cit, page 21

Nietzsche est-il trop véhément pour retrouver l’esprit d’enfance, la vraie sagesse et la joie qui en découle ?

Entre, enfant Friedrich. Tu trouveras pour t’accueillir des millions de jeunes terriens qui n’ont comme toi que le « non » dans la bouche et dans le cœur. Mais il en est bien davantage qui s’émerveillent avec du soleil dans les yeux…

 

 

Aux Feuillantines

Mes deux frères et moi, nous étions tout enfants.
Notre mère disait: jouez, mais je défends
Qu’on marche dans les fleurs et qu’on monte aux échelles.

Abel était l’aîné, j’étais le plus petit.
Nous mangions notre pain de si bon appétit,
Que les femmes riaient quand nous passions près d’elles.

Nous montions pour jouer au grenier du couvent.
Et là, tout en jouant, nous regardions souvent
Sur le haut d’une armoire un livre inaccessible.

Nous grimpâmes un jour jusqu’à ce livre noir ;
Je ne sais pas comment nous fimes pour l’avoir,
Mais je me souviens bien que c’était une Bible.

Ce vieux livre sentait une odeur d’encensoir.
Nous allâmes ravis dans un coin nous asseoir.
Des estampes partout ! quel bonheur ! quel délire!

Nous l’ouvrîmes alors tout grand sur nos genoux,
Et dès le premier mot il nous parut si doux
Qu’oubliant de jouer, nous nous mîmes à lire.

Nous lûmes tous les trois ainsi, tout le matin,
Joseph, Ruth et Booz, le bon Samaritain,
Et, toujours plus charmés, le soir nous le relûmes.

Tels des enfants, s’ils ont pris un oiseau des cieux,
S’appellent en riant et s’étonnent, joyeux,
De sentir dans leur main la douceur de ses plumes.
 
Victor Hugo, Les Contemplations
 
 
 

Persiste et signe

 
« La question est de savoir dans quelle mesure un jugement est apte à promouvoir la vie, à la conserver, à conserver l’espèce, voire à l’améliorer, et nous sommes enclins à poser en principe que les jugements les plus faux (et parmi eux les jugements synthétiques a priori) sont les plus indispensables à notre espèce, que l’homme ne pourrait pas vivre sans se rallier aux fictions de la logique, sans rapporter la réalité au monde purement imaginaire de l’absolu et de l’identique, sans fausser continuellement le monde en y introduisant le nombre. »  (source)loc. cit, page 24

Le jugement synthétique a priori

Emmanuel Kant est l’inventeur de ce concept de jugement qui se caractérise par la combinaison de deux caractères apparemment opposés : ils sont synthétiques, c’est-à-dire (dans le vocable de Kant) accroissent la connaissance, et sont pourtant a priori, c’est-à-dire antérieurs à l’expérience. (wikipedia)

Kant était un homme d’habitude : tous les jours de sa vie il a fait le même chemin de son domicile à l’école où il fut élève puis prof.  Peu lui importait sans doute cette totale absence de diversité, lui qui se considérait comme habité par la seule raison pure.

Poète et philosophe

Arrivant après les philosophes de la raison pure, notamment Kant ou Hegel, Nietzsche est forcément opposé à cette aberration mentale qu’est le jugement synthétique a priori. Mais comme le corbeau de la fable, il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie. Voulant tuer Descartes et ses émules, Nietzsche redore son blason. Pour exterminer la logique castratrice, peut-il vraiement la combattre… par la logique ??

« La question est de savoir dans quelle mesure un jugement est apte à promouvoir la vie, à la conserver, à conserver l’espèce, voire à l’améliorer ». (source)loc. cit, page 24 

Question qui ressemble fort à un jugement synthétique a priori. Il se justifie en ajoutant plus loin : « Chez un philosophe, rien n’est impersonnel, et sa morale surtout témoigne rigoureusement de ce qu’il est, car elle révèle les plus profonds instincts de sa nature et la hiérarchie à laquelle ils obéissent. » (source)loc. cit, page 26 

Voilà qui définit mieux, me semble-t-il, le poète que le métaphysicien. Il est vrai que Nietzsche tient des deux caractères, c’est tout ce qui fait son charme d’ailleurs. Dans cette allégation éminemment nietzschéenne, je reconnais aussi le voyant, le chamane, la fée, toutes celles et tous ceux qui se consacrent à embellir ce monde en ne se servant jamais de la logique.

 

 

La nature ? Quelle nature ?

« Vous voulez vivre « en accord avec la nature » ? O nobles stoïciens, comme vous vous payez de mots ! Imaginez un être pareil à la nature, prodigue sans mesure, indifférent sans mesure, sans desseins ni égards, sans pitié ni justice, fécond, stérile et incertain tout à la fois, concevez l’indifférence en elle-même en tant qu’elle est une puissance, comment pourriez-vous vivre en accord avec cette indifférence ? Vivre n’est-ce pas justement vouloir autre chose que cette nature ?  La vie ne consiste-t-elle pas à juger, préférer, être injuste, limité, vouloir être différent ? Et à supposer que votre maxime « vivre en accord avec la nature » signifie au fond « vivre en accord avec la vie », comment pourrait-il en être autrement ? »

Combien juste ! La nature ne sait rien faire toute seule, car étant tout, elle n’est rien. C’est une abstraction dénuée de réalité, tantôt sécheresse, tantôt inondation, tantôt tornade, tantôt raz de marée, tantôt féconde, tantôt aride, tantôt douce, tantôt brutale, tantôt hostile, tantôt accueillante. Elle n’a cause ni effet qui lui appartiennent, car elle n’a pas d’existence propre. La nature n’est même pas un concept, elle n’est qu’un simple mot qui regroupe tout ce qui vit, croît et meurt.

 

Planètes aménagées

On appelle planète aménagée une planète sauvage rendue habitable. Toute planète aménagée est prise en charge à long terme par une lignée de Terraformeurs. La Terre en est une. Elle est très loin d’être la seule. Toutes les planètes sauvages sont aménageables. Celles qui sont situées à la bonne distance de leur étoile et qui disposent d’une atmosphère sont aménagées en premier.

Aménager une planète sauvage est un gros contrat, qui va mobiliser des millions de dieux et d’anges pendant des milliards d’années. Les bonnes planètes sauvages se font rare. Les aménageurs se les disputent. Il y en a très peu qui restent disponibles. Partout dans l’univers, la chasse aux gros contrats fait rage. Toutes les planètes du centre galactique ont été aménagées dans la nuit des temps.

Depuis deux milliards d’années, ce qui est tout récent à l’échelle divine, les aménageurs traquent les systèmes stellaires beaucoup plus lointains, voire carrément excentriques, comme notre minuscule système solaire. Ils ont même élargi les critères d’admissibilité. Ils se sentent de taille à aménager la pire des planètes poubelles. Avec ses océans envahis de plastique et de couches de bébé. Ça serait pas mal qu’ils reviennent nous donner un coup de pogne pour nettoyer la Terre qui remplit leurs critères.

Quand ils débarquent sur une planète vierge, ils viennent pour gagner. Peu importe que l’atmosphère ne soit pas respirable, les Terraformeurs peuvent la changer. Peu importe que les volcans soient trop nombreux, les Terraformeurs vont arranger ça. Peu importe que les marécages envahissent la quasi totalité des plaines. Ou que des failles insondables cisaillent la croûte planétaire. Ou que la température présente de trop grands écarts. Ou que les montagnes soient trop élevées. Ou que la surface soient dépourvue d’océans. Quel que soit le foutu problème, soyez tranquilles. Les Terraformeurs y mettront bon ordre. C’est leur métier. (lire la suite)

Où est-ce que vous voyez de la nature, là-dedans ? Une ultime fois soit dit, la nature n’est que vue de l’esprit.

 

 

Friedrich Nietzsche

 

La pensée européenne

 

« La philosophie est cet instinct tyrannique lui-même, la volonté de puissance sous sa forme la plus spirituelle, l’ambition de créer le monde, d’instituer la cause première. » ~~Friedrich Nietzsche

 

Xavier Séguin

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