En relisant Bergson pour un article précédent, je suis tombé sur le texte qui suit, dans lequel le philosophe évoque une notion très présente dans l’antiquité, si présente même que je m’en suis toujours demandé la raison. Merci à Bergson de m’apporter enfin la réponse !

La sagesse antique «expliquait la succession régulière des causes et des effets par un véritable deus ex machina – c’était tantôt une nécessité extérieure aux choses et planant sur elles, tantôt une Raison interne, se guidant sur des règles assez semblables à celles qui dirigent notre conduite»  écrit Henri Bergson dans son Essai sur les données immédiates de la conscience. J’ai déjà exposé ses idées directrices, je n’y reviens pas. Ce qui m’intéresse, c’est ce concept de deus ex machina. Il reste incompris dans sa signification profonde pour la plupart des gens.

En tout cas, merci pour la citation ! Je suis ravi, je rigole, je suis émerveillé. Je viens de saisir ce que ça veut dire, je vois aussi pourquoi ce cher Bergson ne pouvait pas comprendre en son temps. Pourquoi ? Ce type est malin, ça n’a rien à voir. Mais c’était trop loin de la façon de penser qui prévalait alors. Quand les idées ne sont pas dans l’air, personne ne les trouve. 

Deus ex machina, le dieu sort de la machine, concept fondamental et fondateur. Fondamental, il résume une montagne d’incompris entretenus depuis des lustres. Fondateur, il inaugure une nouvelle lecture de l’antiquité, et bien sûr de la période qui l’a précédée, la protohistoire. Cette période n’est pas muette. Elle se raconte à travers des textes injustement relégués au rayon des curiosités, sinon à celui des inepties et des billevesées. Ces textes, essentiels à mes yeux, s’appellent les mythes. Chaque vieille culture a sa mythologie. Toutes les mythologies planétaires racontent la même chose.

 

 

Côté cour, côté jardin

En fait, ce que Bergson ne pouvait pas comprendre, c’est tout ce que je vous raconte dans ces pages. Le changement de paradigme du 3e millénaire nous amène à tourner notre regard et à voir le monde d’un autre œil. C’est ce que j’ai entrepris de montrer dans les 700 articlesà la date où je publie celui-ci de ce site. Avant de donner mon point de vue, je voudrais rappeler le sens admis de deus ex machina.

Voici la définition qu’en donne Google : Deus ex machina, nom masculin invariable – Au théâtre et au figuré dans la vie : Personnage, événement dont l’intervention peu vraisemblable apporte un dénouement inespéré à une situation sans issue ou tragique. 

Voici la définition du Larousse, plus pertinente par sa précision : 1-Dans une pièce de théâtre, intervention d’un dieu, d’un être surnaturel descendu sur la scène au moyen d’une machine. 2-Personnage ou événement inattendu venant opportunément dénouer une situation dramatique. 

Voici encore la définition de Wikipédia, aussi lacunaire que celle de Google : Deus ex machina est une locution latine signifiant Dieu descendu au moyen d’une machine. Au théâtre, une personne qui arrive, d’une façon impromptue, à la fin de la pièce et par qui le dénouement s’effectue.

Côté cour, c’est une machine comme celles qui étaient utilisées dans les temples pour faire croire à la toute-puissance divine chez un public naïf. Côté jardin, c’est tout artifice qui permet de dénouer in extremis une situation inextricable. C’est le recours préféré des scénaristes télé.

Bon, je pense qu’on a compris de quoi il s’agit. D’un côté comme de l’autre, le deus ex machina est une ruse. Une tromperie. On en conclut que la magie divine la plus efficace repose sur des trucages et des faux-semblants. C’est en tout cas l’impression que donne le dieu de la machine.

 

Les caméléons du puzzle

Permettez-moi de vous exposer l’idée qui m’est venue. Les histoires que je raconte ici ne sont pas des inventions gratuites. Elles sont le résultat de toute une vie d’observations, de lectures et de balades sur la ligne de temps. Et tous ces éléments rapportés, tout ce bric-à-brac hétéroclite a formé dans ma tête et dans mon cœur un puzzle certes encore incomplet — sera-t-il jamais complet ? Toujours est-il que je vis avec lui.

Mon puzzle vivant est toujours en quête d’une nouvelle pièce qui manque. Tout ce que je regarde, je l’observe à travers ce filtre. Tout ce que j’explore prend aussitôt la couleur du puzzle, et vient s’assortir automatiquement à lui. Le monde est un caméléon qui épouse les moindres teintes du puzzle en cours. Je suis moi-même un caméléon. Et mes découvertes sont autant de petits caméléons, toujours prêts à se marier avec d’autres caméléons qui grandissent dans mon puzzle depuis des années parfois.

Cette stratégie qui n’en est pas une est devenue une façon d’être. Je réagis au quart de tour, une idée s’impose, se développe, ça y est, j’ai enfourché mon dada. Et toi qui me suis, avoue-le, tu n’attends que ça. Tu en redemandes. Alors écoute bien. En ce temps-là, les humains étaient simples et frustes. Ils avaient de leur environnement une vision magique. Les dieux marchaient parmi eux, qui les considéraient comme les maîtres de la magie. Nos ancêtres avaient remarqué leur manège. Dès qu’une situation inextricable se profilait, un dieu arrivait illico presto aux commandes d’un terrible engin volant. Il réglait l’affaire en trois coups de cuillère à pot. Alors il descendait noblement de son turbo-jet. Voilà le dieu qui sort de la machine. Voilà le deus ex machina.

 

 

Pour les gens simples de cette lointaine époque, tout se soldait par l’arrivée miraculeuse d’un tout-puissant dans sa machine. Ils le regardaient redresser un mur ou un mégalithe, arracher un arbre, creuser un puits, construire un barrage, assécher un marais, et toujours ils voyaient le dieu comme un centaure mécanique, ne faisant qu’un avec la machine qu’il conduisait. Quand tout était réglé, le dieu sortait de la machine. Et les humains l’admiraient.

Il n’y avait rien de religieux dans leur adoration. Elle était faite de respect et de crainte, comme en face des forces de la nature. Quand la foudre enflammait un arbre ou bien quand le dieu brûlait une forêt, les gens ressentait la même chose. Que le dieu utilise son rayon laser, voilà qui leur échappait totalement. Pour eux, il commandait la foudre. Son pouvoir discrétionnaire de tuer ou d’enlever les gens le rendait dangereux, terriblement. D’où le verset coranique : « Craignez Dieu comme il mérite d’être craint. »  Il vient de la nuit des temps. Il vient de l’aube, quand les dieux géants marchaient parmi les humains. Il exprime en peu de mots ce souvenir des dieux terribles, des tout-puissants, des redoutables.

Longtemps après, un autre souvenir surnage dans l’inconscient collectif : le dieu d’amour. Il vaudrait mieux dire la déesse d’amour, puisque c’est une déesse qui commandait les dieux. Comme la reine des abeilles ou celle des fourmis. La Déesse Mère. Isis et l’enfant Horus. Pachamama tenant un humain debout sur ses genoux. Même la taille est identique. L’enfançon debout sur les genoux des Vierges Noires n’est pas un bébé ordinaire. Il représente, à l’échelle, un petit humain sur les genoux d’une déesse géante…

 

 

Oui, mes amis. Sans les dieux et leurs machines qui travaillent, qui guérissent et qui tuent, nous ne serions pas ici. Sans la Grande Déesse et son instinct de ruche, nous n’en serions pas là…

 

Xavier Séguin

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