Un éternel printemps

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Pour les anciens Grecs, l’âge d’or suit la création de l’homme alors que Cronos, le Temps, règne dans le ciel et sur la terre : c’est un temps d’innocence, de justice, d’abondance et de bonheur.

La Terre jouit d’un printemps perpétuel, les champs produisent sans culture, les hommes vivent presque éternellement et meurent sans souffrance, s’endormant pour toujours. Dans sa Théogonie, Hésiode décrit ce paradis perdu avec les accents sincères d’une ineffable nostalgie. Pour Jung, l’âge d’or est un archétype, une structure onirique universelle de la pensée humaine.

Mais sur ce point, Jung a été un peu vite. Car l’âge d’or semble avoir eu une existence historique.

(Bizarrement, on constate l’absence d’imagerie ancienne représentant l’âge d’or : nulle trace de ce mythe sur les vases, peintures et mosaïques romaines ou grecques. Il faut attendre les représentations du Paradis chrétien pour voir apparaître des images de l’âge d’or et des autres âges de l’humanité. Pourquoi cette absence d’images antiques ?)

A tous points de vue, le « règne de Cronos »premier âge de la création, fut une époque d’abondance et de vertu : « En l’absence de tout justicier, spontanément, sans loi, la bonne foi et l’honnêteté y étaient pratiquées. (…) La Terre elle-même, aussi, libre de toute contrainte, épargnée par la dent du hoyau,antique bêche de labours ignorant la blessure du soc, donnait volontiers tous ses fruits. » (Hésiode, Théogonie)

Pourtant, Cronos était un monstre sanguinaire, qui dévora ses propres enfants ! Alors d’où vient cette profonde impression d’harmonie et de douceur de vivre à cette époque ? Sous les ordres d’un tel tyran ? Il en fut du règne du Temps comme de ceux qui l’ont suivi. Après une période bénie d’abondance et de noblesse d’âme vint la disette, vint le déclin : la lune qui se rapprochait, menaçant d’extinction la noble race du Temps. Cronos a laissé la place à des êtres mieux adaptés : les Olympiens.

C’est ce que nous conte la mythologie grecque, sous une forme plus frappante : un jour, Cronos fut précipité dans les ténèbres du Tartare et Zeus devint le nouveau maître du monde. L’âge d’argent débutait. 

 Et si on oublie le vocabulaire de la mythologie, avec son nom scientifique, les choses seront plus claires : l’âge d’argent, c’est l’âge de glace. Après le doux vertige du printemps perpétuel, un terrible hiver nucléaire va s’abattre sur le monde et sur les hommes. Il leur faudra, pour certains, passer plusieurs générations sous terre. Ils vivront confinés dans des villes interminables reliées par des tunnels. Ces tunnels, dit la légende, relient tous les continents, passant sous les mers et les montagnes.

Les villes souterraines comportent un confort relatif : eau potable, système d’aération, d’évacuation des déchets… Quand on sait que l’âge de glace a duré cent mille ans, on frémit en évoquant le sort de ces taupes humaines. On comprend aussi la puissante nostalgie qui s’est emparée de ces êtres sans soleil ni prairie.

 

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L’âge d’avant la bombe leur a paru tellement frais, riant, insouciant par rapport à la rudesse de leur condition. Il n’en faut pas plus pour créer ce mythe de l’âge d’or. Ce regret tenace d’un éternel printemps n’exprime peut-être que la terrible frustration de ne pas pouvoir sortir à l’air libre. Ils auraient trouvé sans doute un paysage dévasté par le soufle des bombes, souillé par les radiations mortelles. Des siècles durant, au fond de leurs terriers, ils ont brodés sur le thème de la beauté de la nature et de la douceur du printemps…

J’ai souvent visité ces contrées d’or. Il y régne une douceur de vivre, une légereté, quelque chose aussi dans l’air qui donne à penser que la pesanteur y est moindre et l’atmosphère plus tonique. Et puis la lumière est plus claire, il y a vraiment plus de couleurs. Beaucoup plus. Nos corps y sont plus grands, oui, je l’admets, ou alors les collines sont plus petites, ce dont je doute. Je me souviens comme nous aimons jouer à saute-mouton sur les nuages, ce qui laisse à imaginer notre taille. Ou la faible gravité…

Et cette douceur, une sensation flottante, fruitée, qu’on retrouve partout au monde comme dans mon beau pays de France, absolument partout, à toutes les heures, mais surtout dans le val de Loire, par un beau soir d’automne ou de printemps : tout est bon, juste et beau, point final.

L’âge d’or fut comme un point final interminablement prolongé. Donc ni point, ni final. Des points de suspension…