Il existe un dernier espace où l’aventure frissonne encore. Où les risques multiples sont toujours inattendus. Là-bas, pas de route, pas de carte, pas de GPS, pas de jalons, pas de trace. Là-bas, tu tiens ta vie entre tes mains. Tu regardes ta mort dans les yeux. Quel est ce lieu ? Cherche en toi.
Tu es l’espace inconnu où s’enfoncent les gouffres, apprends la spéléo de l’âme, arpente les surplombs vertigineux de l’être intime, côtoie ton insondable profondeur. Connais-tu l’abîme au fond duquel brille la lumière douce de Tempérance ? Si tu le connais, y habites-tu vraiment ? Dans ta jungle labyrinthique, songe aux merveilles qui t’attendent. Des terreurs y sont tapies aussi, surgies des sous-bois terrifiants de ta mémoire enfantine. Que cela ne te dissuade pas. Avance en toi. Scrute les abîmes du dedans. Explore les forêts noires et les riants sentiers. Saute les cascades, franchis les mers, erre dans ton désert intérieur.
Le spectacle est saisissant. Une étendue inexplorée qui le restera si tu ne fais pas le job. Une plaine fertile à cultiver. Un paysage intact qui s’étend à perte de vue sur les montagnes de ton cœur. De la poudreuse vierge où tu vas pouvoir laisser ta trace, pour qu’enfin il y en ait une. La tienne. Aucune autre.
Il y a mille façons de chercher en toi. Prends déjà l’habitude de la solitude et du silence. Tout bruit te distrait, en te maintenant à la surface de toi-même. Accumuler autour de toi les sources de sons et d’images est le plus sûr moyen de ne jamais entrer en toi. Marche, non dans la ville, mais dans la nature. Marche, et ne cours pas.
Quand tu pars en balade, prends ton temps. Inutile de revêtir une tenue de jogger, habille-toi normalement. Perds aussi l’habitude de porter un uniforme. Tu as les mêmes fringues qu’un trop grand nombre de gens. Inutile de te munir de bâtons de marche scandinave, libre aux Vikings de compenser leur alcoolisme avec des tuteurs, mais les gens sobres n’en ont pas besoin pour tenir debout. Et toi tu n’as pas besoin d’enrichir Décathlon.
La marche tranquille se passe aussi de podomètre. Perds encore l’habitude de tout mesurer, tout nombrer, tout dénombrer. Le nombre et le nom t’enferme dans une case sociale où tu n’as rien à faire. La marche paisible, la flânerie, la balade nez au vent se passe de tout ce qui dit : « Hé ! Vous avez vu ? Je marche ! » Perds encore l’habitude des selfies. Le guerrier n’en a cure. Se photographier sans arrêt est une inflation de l’ego qui ne frappe que les gens ordinaires, sans personnalité ni colonne vertébrale.
Avachis dans leur tête et dans leur corps, ils font du sport comme d’autre font de l’albumine. Un réflexe biologique sur lequel ils n’ont ni prise, ni opinion. Ce ne sont pas des candidats sérieux pour le grand jeu du Cherchentoi. Je n’ai rien contre le sport, je le récuse dans l’hégémonie qu’il a pris sur le corps. Faire du sport est la preuve ultime que l’on prend soin de son corps, peut-on entendre derrière les clichés de la pub parisienne.
Mais non, c’est tout le contraire. Faire du sport abîme le corps. Déclencher des poussées d’adrénaline par l’effort est aussi nul que de se shooter à l’héro. On fait du sport pour le shoot gratos, donc pour le bien-être mental et psychique. Où est l’intérêt du corps là-dedans ? Je ne parle pas des stimulants et autres drogues dures que prennent les sportifs de haut niveau. Les malheureux.
L’idéal sportif n’est pas le mien. Le dépassement que je poursuis ne se joue pas au plan physique. Car le physique passera, pas moi. Il ne se joue pas non plus au plan mental. Car l’intellect passera, pas moi. Il ne se joue pas non plus au plan artistique, je n’ai pas cet ego-là, ayant eu la chance de connaître et d’aimer de nombreux artistes véritables.
Le Cherchentoi se joue seul. Ne compare pas tes résultats avec ceux d’un autre, compare tes progrès d’aujourd’hui à ceux d’hier. Nous avons tous un chemin en ce monde, peu d’entre nous ont le même. Tes défauts ne sont pas ceux de tous. Tes qualités pareil. Les deux forment un bouquet personnalisé, ton bouquet. Avec tes qualités et tes défauts, tu vas te battre, tailler ta voie en toi, jusqu’à l’effusion. La rencontre entre ton petit moi de tous les jours et ton Moi supérieur. Va ton chemin, reste sincère, n’écoute les conseils de personne, même pas les miens.
« N’écoute les conseils de personne, sinon du vent qui passe et qui te raconte l’histoire du monde »
Un jour viendra, tu te seras coupé la tête, les voix qui parlent en toi se seront tues, un grand silence frisé sera descendu dans ton crâne et dans ton corps. Ce jour-là sera le premier jour de ta nouvelle vie. Il te faudra du temps pour le comprendre. Je n’ai pas réalisé ce qui m’arrivait, quand c’est venu. Il m’a fallu du temps, combien ? Je n’en sais rien. Un jour je me suis dit : « ouaaah ! ma tête est vide !! » mais ça faisait sans doute un bon moment que c’était le cas.
Alors tu pourras te tenir debout sur la vague. Alors tu seras totalement incarné. Complet. Comme au jour de ta mort. Mais la vie continue. Elle ne se déroule plus tout à fait sur le même plan, mais elle va encore.
Être soi-même, alors, devient facile. Il n’y a plus rien à chercher, plus rien à attendre, tout est là à portée de main, tu n’as qu’à te servir. Les branches se penchent vers toi pour que ta main puisse cueillir les fruits sans effort. Les oiseaux t’apportent ta pitance. Du fond du ciel, Dieu te sourit. Qu’importe qu’il existe ou non, du moment qu’il sourit.