Le double est notre dieu intérieur qui s’incarne en nous après l’éveil.
La ligne de temps plante son hameçon dans mon plexus solaire. Elle me tire par le chakra du cœur, toujours tout droit vers l’avant. Parfois l’avant est dans le passé, d’autrefois dans le futur. Je ne choisis pas. Je ne sais jamais où elle va m’emmener ni pourquoi. Quand elle me tire, parfois, elle me divise. Un moi s’en va, l’autre reste là. Je suis double. En astral, je me sens multiple et ne sais plus dans quel moi je dois redescendre.
Ici et ici
Où que ce soit, il faut que j’y aille, il faut que j’y sois, il faut que j’y reste. Sur la ligne de vie, seul importe le temps. Celui qu’on met à comprendre, à réagir, à bouger. Le temps me court aux trousses, me bouscule et mon ombre s’éparpille.
Sur la ligne de temps ne compte que la vie. Le temps ne compte pas, il faut pourtant que l’instant dure. Ça ne s’explique pas, ça se voit. Il faut que la session se poursuive jusqu’à ce que je comprenne où je suis et ce que j’y fais. Faut que je pige qui je suis. Que je réalise pourquoi je me trouve là où je suis, quelque part dans le multivers ou dans un multivers parallèle. Il y en a des milliers. La ligne de vie ouvre une brèche entre les mondes, entre les ères. Elle me fait voyager gratos là où personne ne va. Ça ne s’explique pas, ça se vit.
Le don d’ubiquité m’attise et m’accompagne. J’apparais à certains qui en témoignent. Pourtant pendant l’apparition, je n’ai pas bougé de chez moi. Peut-être ai-je ressenti un léger vide, signe annonciateur du dédoublement. Parfois rien du tout, je suis égal à moi-même. Mon benefactor appelait ça ici et ici.
Bilocation
Rêver, c’est vivre un dédoublement de soi, une bilocation. Vous êtes à la fois endormi et éveillé, à la fois ici et là. L’un des deux est un double, mais votre conscience est dans l’un comme dans l’autre. Pas en même temps. En alternance. Étrange sensation.
Il y a quelques années, j’ai voulu prendre un bain de mer sous la pleine lune de février. Suicidaire, ma vie ne ressemblait à rien. Comme on s’en doute, la Manche était glaciale, mais je n’ai rien senti. J’étais ailleurs. En grand danger. J’ai nagé vers le large, c’était marée descendante, je me sentais bien. Détaché… Je me souviens m’être dit « arrête, dès que tu vas dépasser la pointe, tu seras pris par le courant, tu vas te noyer. »
C’est resté lettre morte. J’ai continué à nager vers le noir, la nuit sans fin, vaste comme la mer et froide aussi. Plus tard, quand le courant m’a pris, je me suis répété « tu vas te noyer ». C’était une simple constatation comme s’il s’agissait d’un autre, d’une fourmi, d’un insecte sans importance, et tout était bien ainsi.
Clin de lune
Alors j’ai eu l’image d’un de mes lieux de pouvoir derrière moi sur la côte. Un rocher magique où j’aimais m’asseoir face au large. Soudain je me suis retrouvé sur ce rocher. Frissonnant. Halluciné. Sans savoir comment, je m’étais arraché à l’étreinte de l’eau glacée, j’avais fait un bond de plusieurs kilomètres, jusqu’à ce rocher sur la falaise.
Non, c’est encore pire que ça. À la même seconde où je me laissais couler bas dans l’eau glacée, j’étais aussi sur cette falaise, assis face à la nuit noire, écoutant le bruit monotone des vagues en contrebas. Oui, j’aurais pu me dire que j’avais rêvé toute l’histoire… Pourtant j’avais le souffle court, rapide. J’étais essoufflé, épuisé comme après un effort soutenu. Mes vêtements étaient trempés. Je frissonnais sans pouvoir m’arrêter.
Tant bien que mal, je me lève, je pars dans une course hésitante à travers les arbres. Comment ai-je fait ? Je claquais des dents, mes vêtements pesaient comme du plomb glacé, mais des suées m’inondaient le visage et le torse. Un nuage est passé sur la face ronde de la lune. J’aurais juré qu’elle m’avait fait un clin d’œil. (extrait de l’article Ici et ici)
Le dieu Double
Ici et maintenant au fin fond du passé ou tout au bout du futur, je suis double. Et je connais mon double. Et le double est en moi. Il me ressemble, ou plutôt c’est moi qui lui ressemble.
Il est mon moule, dans lequel j’ai été façonné lors de mon incarnation. Il est mon modèle et mon dieu. Sa parole m’éclaire de ses précieux conseils et je vais dans la direction qu’il m’indique.
Il y avait chez les Romains un dieu double nommé Janus, et l’une des sept collines de Rome portait son nom, le Janicule. Il avait deux visages et de très grands pouvoirs. Le poète latin Ovide-43 av.à +18 EC évoque le dieu qu’il rencontre en rêve :
« Tout ce que tes yeux embrassent, les cieux, l’Océan, les nuages et la terre, c’est à ma main qu’il est donné de les fermer ou de les ouvrir ; c’est à moi qu’on a confié la garde de cet univers immense ; c’est moi qui le fais tourner sur ses gonds.
Je garde les portes du Ciel avec l’aimable cortège des Heures : pour sortir et pour rentrer Jupiter lui-même a besoin de mes services. Apprends maintenant la raison de mon apparence, bien que tu la connaisses déjà en partie.
Toute porte possède deux faces : l’une regarde les gens vers l’extérieur, l’autre le Lare de la maison vers l’intérieur.
Et de même que votre portier, assis près du seuil de la maison, voit les entrées et les sorties, de même moi, portier du palais céleste, j’examine en même temps l’Orient et l’Occident.
Pour ne pas perdre de temps à tourner la tête, je peux suivre des yeux sans bouger le corps. » (Fastes, livre I, vers 117-144)
Notre face divine
Est-ce à dire que le double est notre face divine? J’en suis persuadé, même si parfois j’en doute. Voyez l’arcane XVI du Tarot initiatique. C’est la Maison-Dieu, et non la Tour, comme l’appelle les Britanniques. Ou encore la Tour de Destruction, comme la nomment certains tarots anglophones.
Quelle destruction? Contresens total. La Maison Dieu, comme son nom l’indique, représente ce moment béni où notre corps mortel reçoit la visite divine qui le transforme en lumière, connaissance et amour.
Observez l’image. Tandis que la montée de kundalini s’opère le long du canal central sushumna, représenté par le vide intérieur de la tour, la couronne sommitale bascule enfin. Il nous a fallu d’abord ouvrir les six premiers chakras lors de l’arcane précédente, XV Le Diable.
La couronne est celle de l’ego. Son basculement permet à l’énergie de la kundalini d’ascensionner vers l’énergie divine. L’éveil est la fusion des deux courants énergétiques, celui qui monte en nous et celui qui descend du ciel.
Le cercle de lumière blanche
Cette fusion nous fait monter au ciel dans l’éclatante lumière blanche de gwenwed. L’éclat de cette lumière est représentée par les boules de couleur dans le ciel blanc. Si l’encre fluo avait existé, ces boules l’auraient utilisé.
Gwenwed est le cercle de Dieu dans la religion druidique. Seul Dieu peut s’y tenir. L’éveillé ne fait qu’y passer. Il ne s’y attarde pas, l’arcane XVI ne dure qu’un bref instant.
L’âme de l’éveillé redescend en tourbillonnant jusque dans le corps physique, mais voyez le double à moitié caché par la tour couleur chair, devenue la Maison Dieu depuis que Dieu l’habite. Le double nous guide depuis toujours, de là-haut, dans le plan astral. Chaque nuit il nous informe, nous transforme et nous prépare à la journée qui vient.
Maintenant il ne se cache plus. Il est incarné, nous le portons en nous, et ses sages conseils nous sont immédiatement accessibles à chaque instant. D’où je conclus que le double est bel et bien notre dieu intérieur. J’ajouterai qu’avant l’éveil, tous les croyants qui prient leur dieu ne font que s’adresser à lui, le double individuel, qui plane sans cesse au-dessus de leurs têtes jusqu’au moment béni où il s’incarnera.
La tétée
J’ai déjà conté cet épisode tiré de la toute petite enfance de mon benefactor. C’est arrivé « alors qu’il n’était qu’un nourrisson tétant sa mère. Le lait ne venait pas bien, le bébé « s’est endormi sur le rosbif », selon la formule élégante de l’ami Flornoy. Dans son sommeil, il a mordu le téton nourricier, réveillant sa mère qui somnolait aussi. Elle pousse un cri de douleur, et, à moitié endormie, jette le bébé dans son berceau.
Ahuri, apeuré, hagard, le petit se met à hurler. C’est alors qu’il se voit alternativement dans le giron de sa maman et au fond de son berceau. Exactement comme Don Juan Matus dans le fleuve et sur la rive. De sa vie, il n’a jamais fait le rapprochement entre les deux anecdotes. Mais il venait d’expérimenter une constante du castanédisme : l’importance du point d’assemblage et la réalité des lieux de conscience qu’il détermine.
Des années après cette aventure, Flornoy a baptisé le vécu du nourrisson ici et ici. Ici et là ne conviendrait pas, car le berceau et le sein de sa mère n’étaient pas vécus comme des lieux différents, mais comme un même lieu visité alternativement par le bébé. » (extrait de l’article Ici et ici)
Éveillé de naissance
Des vécus semblables, j’en fais collection depuis l’enfance. Selon mon benefactor, ça montre que je suis éveillé de naissance. Car, selon lui, la bilocation est un signe d’éveil, seuls les éveillés peuvent la vivre en conscience. Je lui ai répondu que lui aussi était éveillé de naissance. La scène de la tétée est une bilocation vécue consciemment. Il m’a dit que oui, le nourrisson qu’il était manifestait des signes d’éveil, mais, ajouta-t-il, tous les nourrissons sont éveillés. Ils sont dans l’arcane I Le Bateleur, avec son chapeau d’infini il se souvient de ses vies précédentes, il connaît son avenir. Son double est en lui.
Et puis, entre l’âge de trois mois et trois ans, parfois plus tôt, parfois plus tard, le nourrisson connait la fracture originelle — et non son péché originel! Quel péché pourrait-on commettre à un si jeune âge? — le jeune enfançon subit son premier engramme. Cet engramme-mère lui fait perdre la mémoire de ce qu’il fut, et la connaissance de ce qu’il deviendra.
Un Retour
-Ta différence, poursuit Flornoy, est une évidence: tu n’as jamais connu d’engramme de base. Tu as miraculeusement coupé à cette fracture originelle. Tu es ce que les lamas appellent un Tulkou, la réincarnation d’un grand lama ou d’un prophète. Dans notre tradition druidique, tu es un Retour, celui d’un ancien initié.
Quand mon benefactor m’a dit ça, je n’y entendais que du charabia avec trop de mots inédits, trop de situations incompréhensibles. Précipité dans l’autre monde à l’âge de 42 ans, il fallait d’abord que je renoue le fil brisé de mon enfance. Vers mes douze ans, j’ai perdu tous mes pouvoirs. Bilocation, guérison, clairvoyance, rêve prophétique, science infuse, voyage astral, voyage dans le temps… Ces dons fabuleux m’avaient accompagné depuis ma naissance. Un à un, ils se sont évaporés. Leur souvenir s’est perdu. Les événements extraordinaires de mon jeune âge sont devenus de la même nature que les rêves: irréels.
Cette foutue réalité ordinaire m’a bouffé des pieds à la tête, et j’ai grimpé mes arcanes comme tous les endormis. Jusqu’à la Maison Dieu où mes yeux se sont décillés. Si Flornoy a raison, je n’ai pas eu de fracture originelle, mais bien une fracture adolescente. Il m’a fallu la combler patiemment pour reconquérir mes dons l’un après l’autre.
Et nous voilà ce soir. (source)Jacques Brel, Mon enfance
Allons, le chanteur! Fais pas le jacques! Te conduis pas comme une brèle! On a encore rudement besoin de toi par ici. Fais ton retour d’urgence.