Chef Cerf Boiteux Lame Deer est né en 1903. John Fire est le nom donné par les visages pâles. Ce Sioux préférait son nom Lakota Tahca Ushte, Cerf Boiteux. J’ai connu son fils Archie Fire dans les années 80. Voyant guérisseur Lakota, Archie nous a honoré de sa présence au Rocher Bleu, chez Flornoy en Mayenne. Sa tradition forme encore des voyants guérisseurs.
De mémoire indienne
Farouchement attachés à la tradition lakota, le grand père et surtout son fils ont marqué à jamais mon engagement pour l’éveil de tous. Archie Fire fut notre ange gardien tandis que faisions nos onikaghe, huttes de sudation à la mode lakota, sur les berges de la Mayenne. Ses interventions nous ont tous subjugué.
Mais ici c’est l’histoire de son vénérable père, John Fire Cerf Boiteux, Tahca Ushte en lakota, que je vais vous conter. En partie élevé chez les Blancs, Tahca Ushte se confie dans un livre remarquable, De mémoire indienne. Dès l’enfance, il connait une première catastrophe.
Rouge dehors, blanc dedans
À quatorze ans, on lui dit qu’il doit aller en pension. Un non-indien n’imagine pas ce que nous ressentons en pension. Chez eux, les petits indiens sont entourés de leur famille qui les couve. Si les enfants appellent leur tante « mère », ce n’est pas par politesse, mais parce qu’une tante traite ses neveux comme une mère.
De ses années d’école, il a dit plus tard : « Ils n’ont pas pu me changer en pomme – rouge dehors et blanc dedans. »
Jouer de la harpe
Pour l’enfant indien, la pension chez les Blancs est une épreuve affreuse.On l’arrache à l’intimité familiale de son foyer et on l’introduit dans un endroit bizarre et glacial. C’est comme de quitter la chaleur d’une cuisine pour être jeté dans une tempête de neige.
En 1920, quand sa mère meurt, il découvre qu’elle sera enterrée en terre chrétienne, à la manière des Blancs. Il en est dégoûté. « Nous autres Indiens ne croyons pas à l’éternité« , dit-il au prêtre. « Quand viendra mon temps, je veux aller où sont allés mes ancêtres. » Le prêtre rétorque: « Peut-être est-ce l’enfer. » Tahca Ushte s’en fout. « Je préfère rôtir en compagnie de ma grand-mère sioux ou d’un de mes oncles plutôt que de m’asseoir sur un nuage à jouer de la harpe avec un visage pâle inconnu. »
Putain de boîte
Après un silence, il ajoute : « Ce nom chrétien de John, ne me le donnez pas quand je ne serai plus. Appelez-moi Tahca Ushte, Cerf Boiteux. » Les Indiens donnent aux nouveaux nés le nom d’un événement ou d’un animal qui survient au moment de la naissance. Un de ses oncles était dans les bois quand il a vu un cerf qui boitait. Ainsi fut nommé le nourrisson.
Quand il fut un jeune homme, il rejoignit une équipe de visages pâles qui faisaient des rodéos de ville en ville. Il rencontre un Indien aussi fauché que lui qui refuse de quitter sa tente traditionnelle. Les Visages Pâles disent qu’il serait mieux sous un toit. Sa vieille tente est insalubre, il devrait la brûler. « J’en veux pas de votre foutue maison. Je veux pas vivre dans une boîte. Allez vous faire foutre avec votre putain de frigo. Foutez-moi cette chaise par la fenêtre. S’asseoir sur la terre, y a que ça de vrai. Balancez-moi ce machin pissoir, je m’en servirai pas. Et votre poisson rouge, vous pouvez vous le foutre au cul. Tuez-moi cette vache et bouffez-la. Y a pas de lendemain dans votre putain de boîte de merde ! »
Wakan Tanka
Je me sentais fier de ce vieillard. Il exprimait ce que je ressentais. Toutes ces âneries des visages pâles me foutaient la colique. Je suis allé voir un de mes oncles qui était voyant guérisseur.
« Parle-moi du Grand Esprit », je lui demande. Voici ce que le voyant a répondu à Cerf Boiteux :
–Wakan Tanka n’est pas un genre d’être humain, comme le dieu blanc.
Il est un pouvoir. Ce pouvoir peut se tenir dans une tasse de café.
Le Grand Esprit n’est pas un vieillard barbu.
Pas tendres
La vie de cet homme n’a pas été facile, pareille à celle de ses nombreux semblables. Les Étatscomme on dit au Québec n’étaient pas tendres avec l’Indien dans ces temps-là. À moins que ce ne soit une motoIndian !… Même si les choses ont évolué, je ne crois pas que les Indiens actuels se sentent beaucoup mieux.
La mentalité indienne et celles des visages pâles est trop différente. Incompatible en fait. Ils ont évolués chacun sur une branche de l’arbre des espèces, comme s’ils n’étaient pas des frères humains. La population blanche des USA est faite de bric et de broc. Il y a des Européens de tous les pays, ainsi que des Asiatiques et des Africains. Ces gens-là vivent en proximité, tandis que les Indiens sont parqués dans des réserves.
Toute la différence
Prisonniers d’un passé révolu, les Indiens deviennent des clochards dans la ville. Perdus sans le sou au milieu des blancs méprisants voire hostiles, ils ont sombré dans l’alcoolisme. Parfois l’un d’eux avait la chance que des frères s’occupent de lui. Tandis que la plupart des étasuniens blancs déteste tous les autres, les Indiens vivent en frères et sœurs. Ce qui fait toute la différence. L’éducation indienne faite d’amour et de respect se heurte au culte de l’indifférence et de la méfiance, tendances typiquement blanches.
Le culte du dollar est aussi une différence absolue entre ces deux peuples étrangers l’un à l’autre. Indiscutablement le dieu dollar rassemble le plus grand nombre de fidèles au sein de la population blanche des États, comme Tahca s’en explique.
La peau de grenouille verte
La peau de grenouille verte, c’est le nom que je donne au dollar en papier. Mes grands-parents ont grandi dans un monde indien où l’argent n’existait pas. Juste avant le combat contre Custer, les soldats blancs avaient touché leur paye. Leurs poches étaient pleines de billets verts et ils ne savaient pas où les dépenser.
Le combat corps à corps a recouvert le champ de bataille d’un immense nuage de poussière où les peaux de grenouille verte des soldats tourbillonnent comme des flocons dans la tempête. Et que font donc les Indiens de cet argent ?
Ils le donnèrent à leurs enfants pour qu’ils s’amusent à plier ces bizarres morceaux de papier coloré, pour qu’ils en fassent des jouets, de petits chevaux, de petits bisons. Au moins cette fois l’argent servait à se distraire.
Ça l’a rendu fou
Les livres disent qu’un soldat survécu, mais il devint fou. Le voici, accroupi dans un ravin. Il voit les gosses jouer avec l’argent et en faire des papillotes. Les femmes s’en servent pour chauffer la bouse de bison. Les hommes allument leur pipe avec les peaux de grenouille verte. Il voit ces beaux billets de banque voleter dans la poussière puis s’éloigner au gré des vents. Ça l’a rendu fou.
Pour l’homme blanc, chaque brin d’herbe et chaque source est étiquetée selon son prix. Quand il les regarde, il ne les voit pas. Tout ce qu’il voit, ce sont des peaux de grenouille verte.
C’est le point de vue d’un Indien qui n’est jamais sorti des Etats Unis. Ailleurs, il existe une proportion non négligeable de gens qui ressemblent aux Indiens. Le dégoût du dollar et de ses méfaits me tient aux tripes. Ainsi que tous les miens.
Premier amour
Autrefois il n’était pas facile pour un garçon et une fille de faire connaissance. Rien ne favorisait leur intimité dans le tipi familial. Et dehors dans les hautes herbes, ils risquaient de se faire scalper. Si les garçons tentaient quelque chose dans le tipi, furtivement, les mères avaient noué autour de la taille de leurs filles une ceinture de cheveux qui passait entre les jambes : « Voie interdite ».
Il n’existait vraiment qu’une seule façon de se rencontrer. La jeune fille devait se tenir debout au centre du tipi familial avec une grande couverture. Le garçon s’approchait et elle l’enroulait dans la couverture. Toujours debout, ils se frottaient le nez. Ceux qui les voyaient faisaient semblant de les ignorer et ça s’arrêtait là.
On lui a donnée
Si le garçon en voulait davantage, il allait voir un voyant-guérisseur du Clan de l’Élan qui lui faisait une flûte pour lui apprendre une musique magique qui tournerait la tête de sa bien-aimée. Bec ouvert sur une tête d’oiseau, cette flûte pouvait se révéler très efficace.
Quand la jeune fille entendait la flûte du charmeur d’élan, elle ne pouvait s’empêcher de courir jusqu’à lui. Il faut croire que sa flûte charmait aussi les élans du cœur.
On ne pouvait pas se marier sans le consentement des parents. La meilleur façon de faire consiste à rassembler les deux familles qui arrêtent leur décision. Il en coûte plusieurs chevaux au jeune homme, sauf s’il est trop fauché pour donner rien qu’un cheval. Alors il ne reste que la cérémonie dite : « Il l’aimait tellement, on lui a donnée« . Et ça fait un excellent mariage.
Mariage en ville
Entre ses multiples activités, rodéos, artisanats divers, Cerf Boiteux n’a rien perdu de sa culture indienne. Devenu chef de tribu, il fut un des derniers hommes rouges à vivre si imprégné de sa tradition ancestrale. C’est ainsi qu’on grandit jusqu’à toucher le ciel. À la fin de sa vie, il a célébré des mariages selon le rite lakota. Parfois dans les réserves indiennes mais souvent, déjà, dans des villes de blancs.
« J’ai posé une couverture rouge sur ce jeune homme et cette jeune fille navajos. Je leur ai fait tenir le calumet dans les mains. Je leur ai noué les poignets avec l’étoffe. J’ai chanté au-dessus d’eux les anciennes prières. »
Fumons le calumet
Ils habitaient un appartement au huitième étage dans une ville de Blancs. Voici ce que je leur ai dit : « Je veux que vous vous imaginiez chez vous pendant ce mariage. Oubliez cette vieille ville, souvenez-vous qu’il existe une cime, une colline qui vous attire, un coin de terre qui vous fait éprouver la puissance des esprits.
Vous vous tenez là comme au sommet du monde. Oubliez la circulation, tout ce bruit de la ville et concentrez-vous. Et des quatre extrémités du monde, du ciel au-dessus, de la terre au-dessous, la bénédiction de Wakan Tanka le Grand Esprit viendra sur vous.
L’esprit est sur toi et sur elle qui vous tenez liés sous cette couverture, il vous donne une vie nouvelle. Il bénit le nid que vous construisez. À présent fumons le calumet chanunpa. He Hechetu.
Un testatement spirituel
Comme je l’ai dit dans l’intro, j’ai connu son fils Archie Fire. Il a tenu à ajouter au livre de Cerf Boiteux les recommandations que son père lui a fait avant de mourir. C’est un testament spirituel pour que vive longtemps encore la culture indienne aux Étatssalut les Québécois! comme ailleurs dans le reste du monde.
« Enseigne à notre peuple qu’aucun fils ne peut être comme son père, aucune fille comme sa mère. L’homme ne doit pas tenter de façonner son fils à son image. Où mes pas s’arrêtent, les tiens commencent. Et où tes pas s’arrêteront, commenceront ceux de ton fils.
« Ne t’attache pas aux choses matérielles. Même à la Pipe Sacrée qui n’est que matière.
J’ai vu les Esprits
« Mon fils, j’ai été dans le Monde des Esprits et tes aïeux m’ont forcé à rebrousser chemin. Mais je les ai vus. Nous sommes Chefs, mon fils, depuis des temps immémoriaux. Quand j’étais dans le Monde des Esprits, j’ai demandé à mon père : « Où est mon fils ? »
-Le voilà, au sommet de la montagne. Il ira plus loin que toi dans le monde physique. Il est le dernier voyant-guérisseur que tu devras former. le 24ème. Alors ta vie sera achevée.
-Prends-moi dans tes bras, mon fils. Mets-moi sur mon lit. J’ai sommeil, je suis fatigué. Aide-moi à me reposer.
C’est ainsi que pour la dernière fois, j’endormis mon père le 14 décembre 1976. Mitakuye Oyasin.Au nom de tous les miens«
Témoignage d’Archie Fire Lame Deer, Santa Barbara, janvier 1985.
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