Géant reptilien mâtiné de mammifère, le Bélier d’Armor est tapi, invisible, à l’orée de l’histoire admise. L’immense Rama veille en deçà du seuil où la mémoire ne parvient pas. Son mode de vie, sa façon d’être, son ère, ses exploits, son règne et son empire ont échappé aux souvenirs humains. Le temps vient de reconnaitre les dieux d’avant. Et à leur tête, de retrouver Rama aux mille visages.
Ramos le Druide, Ram le Bélier, Rama l’innombrable, l’innomé, l’oublié se rappelle à la mémoire du monde. Cet homme divin l’a façonné tel qu’il est, ce monde où nous vivons dans l’ignorance. Premier empereur de Terra, il a fait l’unité des nations dont nous rêvons encore — mais sans y croire. Rama y a cru. Ce dieu-là m’exalte. Il me touche plus que je ne saurais dire. Ça fait des années que ça dure.
Il a tenu tête à la dictature implacable des Matriarches, héritières dégénérées de la Grande Déesse, Ana d’Alcor, Anne Ama, Notre Dame qui est descendue sur Terra et montée au ciel le 15 août. Chérie d’elle, comblé par ses dons maternels, le fils unique de la Reine Vierge a régné sur le globe, ses sept mers et ses huit continents.Six plus l’Antarctique et Hyperborée Prince d’Atlantide, Major d’Hyperborée, le premier fils du Soleil Invaincu a jeté le feu sur le monde et l’a attisé jusqu’à ce qu’il embrase les cœurs et les courages.
Son règne terrestre a duré huit mille ans. Les Antiques ont nommé ce règne l’âge de bronze. En Asie, c’est Dvapara Yuga. Et quand l’ombre du Kali Yuga est descendue sur le monde antique, Rama s’est effacé. Son nom fut oublié en occident, remplacé par beaucoup d’autres noms. Son règne fut confondu avec cent autres de moindre importance. Son enseignement fut presque oublié. Il n’a survécu que dans le secret des Druides et des Enchanteurs Celtes, ceux du Clan du Sanglier et ceux du Clan du Loup auquel j’appartiens. Sa mémoire a été précieusement gardée en Asie, où son enseignement se confond au Tibet avec le Lamaïsme.
Qui parmi vous se souvient du géant cornu dont l’ombre immense a couvert la terre entière? Qui a gardé l’empreinte de sa puissance? Parmi tant de réussites, un échec a terni son jeune âge. Si le druide Ramos connut de grands succès comme guérisseur, il a échoué dans son grand projet d’unir les sexes, ardemment opposés.Comment le lui reprocher? Il avait dix mille ans d’avance. On n’y est toujours pas arrivé à cette heure.
Je ne peux pas dire l’effet qu’il me fait. Sa vie, son œuvre! Incroyable. Après s’être fait remonter les bretelles en Avalon, le druide a défroqué. Rama s’est fait général. Indésirable en Hyperborée, il a dû fuir les terres celtiques. Avec ses braves et leurs armes magiques, il a conquis l’Afrique, l’Amérique et l’Asie. Dans sa marche triomphale, il s’est détourné de l’Europe.
Loin de Rama le Juste, l’Europe a gémi sous la poigne des sorcières, fossoyeuses du Matriarcat. Par leur sale magie, les sorcières ont gommé Rama de la mémoire occidentale, effaçant jusqu’à son nom, sa trace, son aura magnifique et son pur destin. Comment avons-nous pu oublier l’inoubliable?
Renégates, relapses, elles ont signé la nouvelle alliance. Les sorcières ont fricoté avec les géants mâles. Ce sont les Patriarches de la Bible, les Héros Grecs, les Devas de l’Hindouisme. Tous bâtards des anges bibliques, descendus sur Terra pour s’accoupler avec les humaines. Les anges déchus. Les élus des sorcières. Nos aïeux.
La Grande Déesse nous ressemble un peu. Son anatomie est humanoïde, mais sa peau écailleuse et son crâne lisse ôtent le moindre doute. Ana est une reptilienne pur jus. Si elle appartient à l’Ordre des Reptiles, Ana n’est pas un dragon.
N’oublions pas que les reptiles doivent dormir beaucoup. Pendant le sommeil reptilien, qu’on nomme la dormance,et non l’hibernation réservée aux animaux à sang chaud le métabolisme des animaux à sang froid est quasiment à l’arrêt. Les fonctions cérébrales, notamment, sont extrêmement ralenties. Une vipère peut dormir trois ans de sa vie. Sachant qu’elle peut vivre entre 6 et 30 ans, elle peut donc dormir entre le tiers et le dixième de sa durée de vie. L’impératrice reptilienne a été couronnée il y a 66 millions d’années. Elle a donc pu dormir entre 22 et 33 millions d’années sans inconvénient pour sa santé. S’agissant de la santé de son empire, c’est une autre affaire. On comprend mieux pourquoi ça merde si fort en kali yuga. Ana roupille.
La Grande Impératrice règne sur mille étoiles et dix mille planètes. Le kali yuga les concerne toutes, car il s’agit d’une phase de sommeil de la Grande Hibernante. Les quatre yugas correspondent aux quatre phases successives de l’activité de la Grande Déesse. Ou de son inactivité…
Les mammifères hibernent aussi. Voyez les ours. Mais nous ne tenons pas des ours. Nous possédons des gènes en commun avec le porc et le bonobo. L’un et l’autre non hibernants. L’homosexualité du bonobo et sa propension au coït –à tous les coïts– se retrouvent chez nous. Quant aux mœurs porcines, nous les avons toutes. Pour reptiliens qu’ils fussent, les dieux d’avant les avaient aussi. Dieux ou hommes, certains les ont même poussé jusqu’au paroxysme.
Son fils Rama ne lui ressemble qu’à peine. Il porte des cornes pour voir l’invisible, ouïr l’inaudible, saisir le ténu, capter le subtil. Cet attribut n’est pas un trait marquant des reptiles. Certes, il y a des vipères à cornes. Mais les cornes de Rama sont celles du bélier. Son caractère aussi. Comme son goût pour la bagarre et sa manie de foncer dans le tas tête baissée, au sens propre comme au figuré.
Ses cornes sont sa couronne. Les deux mots sont jumeaux. Osiris nous rappelle ce que sont les couronnes. Outre le signe extérieur de la puissance royale, ce qu’elles sont aujourd’hui devenues, elles furent jadis des instruments doués de grands pouvoirs. Preuves de noblesse et de grandeur d’âme, elles furent aussi des engins de mort et d’éveil.
Rama que les Grecs appellent Dieu, car ils ont oublié son vrai nom. Dieu, c’est à dire Theos, qu’on traduit aussi par Zeus. Rama que les Scythes appellent Mithra, le dieu des dieux pour ces peuples errants, et sa parèdre Héra qu’ils nomment Tabiti, déesse du feu primordial d’où viennent toutes choses et tout ce qui vit.
Les Scythes sont les Peuples de la Steppe comme les gens de Rama sont les Peuples de la Mer. Et les Scythes sont les Peuples de Tabiti comme les Tuatha d’Irlande sont le peuple de la déesse Ana. Tabiti Héra, grande déesse des Scythes, est l’image de la grande Ana, la Vierge Mère. Tabiti est l’incarnation de la Suprême Déesse dont le règne infini se perd dans les lointaines nébuleuses et se poursuivra jusqu’à la consommation des siècles. Tandis que les dieux d’avant sont morts ou mourants, Ana est la déesse d’avant, de maintenant et de toujours, car son règne n’aura pas de fin.
Rama tenait-il du Bélier? Venait-il du Bélier?
D’où il vient, on le sait. D’Hyperborée, comme tous les dieux d’avant. Rama est le retour d’Ama, comme on peut le voir dans son nom. Il est aussi l’union de Ra, principe masculin solaire, avec Ma, la Grande Déesse, la Vierge Mère, Notre Dame d’Alcor qu’on appelle aussi Ana, Anne ou Dana. Oui, Rama est notre père. Nous sommes nombreux de son sang. Mais parfois, et c’est gênant, je comprends combien je tiens à lui. Alors, et c’est encore plus gênant, je me demande ce que je tiens de lui.
Henri Vincenot, quand il écrivit son roman majeur, Les étoiles de Compostelle, s’est posé les mêmes questions. Il éprouve un tel attachement pour son héros Jehan le Tonnerre, Vincenot se souvient si parfaitement de tous les détails de l’odyssée de Jehan à travers le cher pays de France, au Moyen Âge encore plus cher à son cœur, dans cette époque où tout se joue, les anciens Celtes, les nouveaux bâtisseurs, Vézelay et son Montjoie, la Maison Dieu, la Vieille religion des Druides, les Compagnons Passants du Devoir qu’il appelle aussi Dévorants, une foultitude de petits riens qui font un si grand tout… Henri Vincenot se demande avec raison s’il n’est pas un retour de Jehan le Tonnerre.
Et moi, si comparable à lui, je me demande si je ne suis pas un retour de Rama. Un petit Rama, un simili dieu en mode mineur, un témoin futile — t’es moins fut-il? Même dans une version minuscule, je ne peux l’admettre tant c’est excessif. Rien qu’à l’évoquer, tout mon être se révulse. À moi, sainte humilité! Comment prétendre être un retour de ce géant? Ce sage, ce héros qui fit de si grandes choses, si louables, si durables! Ce dieu chéri de tous, et que tous ont oublié si vite après sa mort. Sur ce point seul je le dépasse, moi qui suis oublié de mon vivant.
Pardonne-moi, grand Rama, toi qui me fais l’honneur insigne d’habiter mes lignes. Pardonne-moi si parfois je me prends pour toi. En écrivant ces mots impies, je me souviens des étranges paroles de mon benefactor : Entre l’âge de trois mois et trois ans, parfois plus tôt, parfois plus tard, le nourrisson connait la fracture originelle — et non son péché originel! Quel péché pourrait-on commettre à un si jeune âge? — le jeune enfançon subit son premier engramme. Cet engramme-mère lui fait perdre la mémoire de ce qu’il fut, et la connaissance de ce qu’il deviendra.
-Ta différence, poursuit Flornoy, est une évidence: tu n’as jamais connu d’engramme de base. Tu as miraculeusement coupé à cette fracture originelle. Tu es ce que les lamas appellent un Tulkou, la réincarnation d’un grand lama ou d’un prophète. Dans notre tradition druidique, tu es un Retour, celui d’un ancien initié.
Quand mon benefactor m’a dit ça, je n’y entendais que du charabia. Il y avait là-dedans trop de mots inédits, trop de situations incompréhensibles. Précipité dans l’autre monde à l’âge de 42 ans, il a fallu d’abord que je renoue le fil brisé de mon enfance. Vers mes quinze ans, j’ai perdu tous mes pouvoirs. Bilocation, guérison, clairvoyance, rêve prophétique, science infuse, voyage astral, voyage dans le temps… Ces dons fabuleux m’avaient accompagné depuis ma naissance. Un à un, ils se sont évaporés. Leur souvenir s’est perdu. Les événements extraordinaires de mon jeune âge sont devenus de la même nature que les rêves: irréels. Trompeurs.
Cette foutue réalité ordinaire m’a bouffé des pieds à la tête, et j’ai grimpé mes arcanes comme tous les endormis. Jusqu’à la Maison Dieu où mes yeux se sont décillés. Trente années s’étaient écoulés.
Peut-être Flornoy a-t-il raison. Peut-être n’ai-je pas eu de fracture originelle. Qu’à celà ne tienne! À la place, j’ai connu une fracture adolescente. Patiemment, lentement, j’ai dû la combler pour reconquérir mes dons l’un après l’autre.
Et nous voilà ce soir. (source)Jacques Brel, Mon enfance
Si ce n’est de Rama, de quel grand initié pourrais-je être le retour? De Merlin? On me l’a dit. Nous avons, c’est vrai, quelques points communs. Ne croyez pas que Merlin fut un druide. Il était enchanteur et maître passant. Comme moi. Son clan n’était pas celui du Sanglier, mais celui du Loup. Comme moi. Il a aimé une fée beaucoup plus jeune que lui. Moi aussi. Il savait mener ses combats en guerrier. J’ai essayé. Le monde entier fut sous son charme. Là, grosse différence. Je cultive l’isolement, l’humilité, la petitesse. On se souvient de lui depuis des siècles, et tous l’adorent. Je n’aspire pas à un tel destin. Même si c’était le cas, trop tard pour y prétendre.
De tous les héros initiés dont j’ai vanté les mérites, un seul sort du lot. Celui qui me touche davantage, que je connais le mieux et dont j’ai le plus parlé, sans hésitation, c’est Rama. Et là je cale. Je serais son retour? Impossible. Mon humilité s’y oppose. Comment accepter un fait si écrasant? Suis-je un conquérant? Non, une fourmi plutôt. Suis-je un combattant? Le seul djihad que je mène avec ténacité est dirigé contre moi-même. Il vise à corriger mes innombrables défauts. Comment un retour de ce dieu d’avant aurait-il tant à faire pour s’améliorer ici et maintenant? Ai-je la vocation de changer la face du monde et ses croyances, comme l’a fait Rama? Il est le bélier d’Armor, je suis la chèvre de monsieur Séguin.
Qu’importe. Flornoy s’est trompé quelquefois. Je suis heureux de lire dans le grand Rama, de le voir de l’intérieur, comme si j’étais en lui, dans son cœur, son corps et son esprit. Ça me comble. Et ça me suffit.
La montagne vacille et s’entrouvre. Juché sur le sommet d’un pic, un prophète me regarde. Autour de moi s’ammassent des milliers de personnes, mais le prophète n’a d’yeux que pour moi. Il est très loin, très haut, et pourtant si proche que je peux le toucher. Mille ans, cheveux crépus, la peau noire comme l’aile d’un corbeau. Je l’aime. Nous l’aimons tous. Il est si grand!
Une foule énorme ondule au pied du pic en forme de pyramide. Le prophète lévite. Je vois ses pieds quitter la roche et je m’élève aussi. La chaleur, la lumière et la joie me portent. La foule gronde son admiration. Je vois les bras levés, les bouches ouvertes et je n’entends pas un cri. Toute la montagne est sacrée, aussi recueillie qu’une église.
Montant toujours, je contemple le monde. Au-dessus, le ciel s’ouvre. Un aigle plane très haut dans le silence. Je n’entends plus la foule en transe. Je suis dans le cœur du prophète, je danse avec sa danse. En même temps, je suis un enfant perdu dans la foule.
Au sommet du pic éclate une boule de feu blanc. Dix mille bouches jettent un cri. Un deuxième soleil vient de s’allumer. Le prophète a rejoint le monde d’en haut. Où suis-je? La foule vacille, hébétée. On me bouscule.
Je me réfugie dans le cœur brûlant du prophète. Au fond du ciel, l’aigle plane en cercle. Tantôt là-haut, tantôt là-bas, moitié mort et moitié vivant, je suis perdu dans la foule, perdu dans le ciel. Le soleil s’ouvre pour accueillir le prophète. Ra me prend dans ses bras et nous quittons Terra.
Brouhaha de cris et de larmes. Dans une atmosphère de fin du monde, mon père cherche ma main, mais la foule nous presse et nous entraîne. Au pied de la montagne coule un grand fleuve. De longs navires y sont amarrés que la foule prend d’assaut. J’ai peur. Mon père a disparu. Un inconnu me serre la main à la broyer. J’ai envie de pleurer, plus perdu dans cette cohue qu’au fond d’une jungle inconnue. (source)xs, extrait de: Le chemin de l’étoile, inédit
J’ai tant écrit sur toi, Rama! Tant cheminé à tes côtés! Si je ne puis être ton retour, au moins suis-je celui de ta mémoire. Toi qui a semé des petits tout autour de la Terre, tu m’accordes cet héritage: être ce fils qui se souvient de toi.
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