Quelle idée ! Oui, l’éveil, quelle idée de vouloir en parler ! On peut le peindre, le feindre, le tenter, le chanter. Sans les mots. La parole est de trop. Elle détourne l’être de sa profondeur — retour direct au monde ordinaire, au quotidien banal, au morne traintrain. Les mots sont usés, brisés, polis comme des galets roulés. Ils se sont affadis, leur saveur est perdue. Leur pouvoir de décrire a disparu. Leur puissance n’est plus. Ainsi finiras-tu…

Pourquoi l’écrit ?

L’éveil n’est pas une chose. L’être éveillé l’est moins encore. Évanescent, diaphane, il perd sa matérialité à mesure qu’il escalade les degrés d’éveil — j’en ai dénombré sept, je suis certain qu’il y en a plein. Bien plus que ça.

Pour évoquer l’éveil, le mental n’est pas idéal. Le cerveau et sa manie de comprendre devient d’un coup ton principal ennemi. L’ego en a fait sa cuirasse, son bouclier, sa lance et son épée. Garde-toi de ses coups. Il vise juste. Il te connaît comme si tu l’avais fait. C’est le cas.

J’aurais pu utiliser un autre media, la peinture, la bd, le cinoche, la musique. Oui. Mais non. J’ai tenu la gageure d’écrire l’indescriptible. De décrire l’impossible. Vouloir cerner l’éveil avec un piège à mots ! Trappe à phrases. Cage à gingin. Honte à toi, on t’affiche. Mets ta tête à la niche, tu t’en fiches.

Ce n’est

Quand les mots m’ont pris par la main
Ils m’ont entraîné dans leur ronde
Jusqu’au cœur de la Bête immonde
Qui va nous dévorer demain

Or si l’on n’a plus de courage
Si l’on n’attend plus que la fin
Nourrir la Bête qui a faim
Me paraît le choix le plus sage

Mais si l’on veut durer longtemps
Face à la mort qui nous attend
Sans un seul joker dans la manche

On peut écrire des sonnets
Ça ne changera rien ce n’est
Qu’un moyen de passer dimanche

 

 

Mes mots

Mes mots racontent ton histoire et tu t’émerveilles. Puis ils deviennent musique et tu les fais vivre avec ta voix. Là ton corps bouge en rythme. Il ondule étonné. Le mental est maté. Ton corps est ton ami. Il saccade ébloui. Tu cours sur l’éboulis.

Qu’il fait bon glisser sur les nuées du temps passé ! Quel plaisir de sentir qu’il fond et se transforme au gré du conte il monte et de la masse informe sort un plaisant tableau. Il est temps d’annoncer le retour du passé. Lassé d’être impossible il se rend accessible et devient familier. En voisin de palier il ouvre ses demeures. Meurt la rumeur tuée par les gens sous les yeux des agents.

Ouvre en grand les persiennes.
Tu n’as qu’à changer de lunettes.
Vois. Je te prête
les miennes.

Reiki d’Isis

Les mots et le langage appartiennent à la sphère mentale. L’éveil est de nature spirituelle. Ces deux espaces ne se rejoignent jamais. Le mental ou l’ego est la seule partie de l’être qui ne connaît pas l’éveil. Pour s’éveiller, il faut d’abord maîtriser l’ego, le tenir en respect, c’est à dire vivre la tête vide. J’ai entrepris voici trente ans le grand œuvre de cette vie présente. Aider systématiquement les candidats à l’éveil. Je m’y suis consacré sans faillir. Engagé dans un djihad permanent contre mes faiblesses, traquant tout ce qui peut encombrer le canal que je suis, j’ai œuvré patiemment jusqu’à l’épanouissement. J’ai reçu monts et merveilles. Je rends ce dont on m’a comblé. Mes mains émettent, ma peau apaise, ma chair guérit, mon corps et mon cœur sont unis. Je suis passant : on passe à travers moi. Je suis le marchepied qui permet de monter l’ultime marche, la plus haute.

Pendant vingt ans, j’ai initié les jeunes adultes aux Petits Mystères, premier volet des Mystères d’Isis. Par le reki d’Erquy, les massages, l’intériorisation, la transe profonde, j’amenais le sujet à revivre certaines séquences de son passé. Une longue tradition de passants a pratiqué cette technique. Un passant est le passage par lequel l’impétrant peut atteindre l’autre monde. Son propre univers intérieur. Les merveilles de ses profondeurs.

Le passant que je suis ne dirige pas la remémoration, il se contente de prêter son énergie au sujet qui l’utilise à son gré. Mais j’ai refermé cette porte-là. D’autres besoins ont émergé, je me dois d’y répondre. Pendant un temps, je me suis consacré au soutien et au nettoyage subtil des guérisseurs, qui par leur pratique ramassent des tas de cochonneries psi ou autres qu’il importe de purger. Les psychanalystes se soumettent à une analyse didactique et sont suivis par un aîné pour débriefer les séances avec leurs patients. Il me semble utile que les guérisseurs et assimilés puissent jouir du même soutien.

 

Soyez passants

Je me consacre maintenant au deuxième volet des Mystères d’Isis. Mes stagiaires ont la quarantaine à quelques exceptions près. Ce qui entre en jeu dans ces stages, c’est la montée de kundalini de l’arcane XV Le Diable, et l’effusion dans la lumière blanche de l’arcane XVI Maison Dieu. Pour celles et ceux qui ont goûté au bain astral resplendissant, celles qui ont goûté à la lumière blanche inexplicable, ceux qui ont bu sans modération à la source bouillonnante au risque de rester luminescents dans la pénombre, tout ce que je raconte est une aide précieuse.

C’est pour eux que j’écris. Mes images aussi leur sont dédiées.

Je pose des jalons inédits et rassurants dans cet autre monde dont ils commencent l’exploration. Mes mots leur sont bénéfiques, voire décisifs. Ils ont traversé la fournaise, ils ont sauté là où les flammes étaient les plus hautes, ils sont remontés des enfers. Eux les héros d’aujourd’hui, elles baroudeuses de l’Esprit. Pour elles, pour eux, aucune contradiction entre le langage et l’éveil. L’aspect égotique du mental et des mots est transcendé par le sujet même du discours. Ils y adhèrent avec bonheur. J’ai la joie de leur être utile.

Comprenne qui sait

Pour ceux qui n’en sont pas à ce stade, le risque est grand. La confusion entre être et comprendre est forcément entretenue par mon discours, comme par n’importe quel texte. Aussi essayé-je de court-circuiter cette confusion en utilisant les mots non pour leur sens mais pour leur sonorité. Pour les images secrètes qu’ils suscitent. Ou bien je pars en live dans un poème surréel, à la manière d’un koan zen. Ainsi je m’adresse au ventre, pas à la tête. Au corps, pas au cerveau. Oh ça ne dure pas, un paragraphe ou deux, puis je reviens au discours cohérent. Je m’enferme à nouveau dans la logique, à mon grand dam. Qu’y puis-je ? Roseau, le vent me plie. Le présent souffle. Je m’incline.

Aujourd’hui je vous propose un autre usage des mots. À travers trois sujets choisis, vous allez avec moi toucher du doigt les étroites limites du langage et de sa fille unique la pensée. Vivre la tête vide, se couper la tête, tel est mon usage. Je vous le recommande si vous aimez la sérénité. Mais si vous vous plaisez dans le stress et la peur, allez plutôt sur We keep aid, ya !

 

 

La pensée est la fille unique du langage. Ou bien serait-ce le contraire ? La parole précède-t-elle la pensée ? Aujourd’hui je veux bien le croire. Au commencement était le Verbe (logos) et les verbe était Dieu (Zeus-Theos). La parole est une façon de percevoir le monde. Ou de l’assembler… La parole est magie. Ce qui la rend très supérieure à la pensée, qui n’est que logique à la portée d’un pc. Question de programme. Mais qui a fait le programme ? Qui anime ma parole si ma pensée ne vient qu’après elle ? Il faut bien que quelqu’un anime la marionnette que je suis.

Voyons voir les limites du langage. Place aux exemples.

1- L’aperception

A. Chez Leibnitz, « conscience ou connaissance réflexive de l’état intérieur » qui constitue la perception simple.
B. Chez Kant, action de rapporter une représentation à la conscience de soi.
C. Chez Maine de Biran, conscience ou connaissance intérieure de l’acte par lequel le moi pose son existence dans l’effort musculaire. (source)Vocabulaire technique et critique de la philosophie par A. Lalande, PUF 1976

…et ça continue sur le même mode pendant quelques lignes absconses. Rassurez-vous, la débilité ne vous a pas atteint subitement. Ce charabia ne prend sens que pour les empêtrés dans l’ego, les poussah pensifs et les penseurs poussifs. Je le cite pour illustrer l’adéquation entre pensée et ego, pour ne pas dire l’identité des deux. Plus les mots sont simples et le style dépouillé, plus le ventre est à l’œuvre et le cœur est touché.

Plus la pensée est confuse, plus l’ego est ravi. Le coupage de cheveux en quatre, le mépris des réalités spirituelles, la ratiocination de l’Esprit, la rabbinisation des données légendaires et autres œillères mentalo-égotiqueset non pas : menthe à l’eau et gothique ont mené cette civilisation au bord du gouffre où elle vacille, indécise.

Le voyant n’en a cure. Il se moque de la pesante pensée discursive(Logique) Qui passe d’une proposition à une autre par le raisonnement. (Linguistique) Qui est relatif au discours. qui lui brise les ailes. Le rêveur lucide a une toute autre définition de l’aperception. Plus claire sans doute. Plus pertinente assurément.

D. à Y. Ad libitum.

Z. Pour certains psychologues, l’aperception globale est le mode de perception du rêve. Dans le rêve, il n’y a pas de temps ni d’espace –les deux marchent ensemble. Contrairement à l’état de veille, le rêve présente ensemble tous les éléments constitutifs. C’est au réveil, quand il va s’agir de raconter le rêve ou de le consigner, que le temps et l’espace vont faire un retour obligé. Dans notre monde, sur ce plan-ci, le temps et l’espace sont des données constitutives dont on ne peut s’affranchir. Pour Kant, ce sont des moyens intellectuels de comprendre ce monde. Ils les nomme les catégories de l’entendement. (source)Ouambibi Mezigh, extrait de son Journal de l’Homme, inédit.

Tandis que le rêve nous présente toute une histoire peuplée d’être composites, sa narration devra traduire cette aperception globale par une succession d’événements qui s’échelonnent dans le temps et se répartissent dans un espace imaginaire. Pourtant le rêveur n’a perçu qu’une image complexe présentant en une seule vision une infinité de détails signifiants ou absurdes. Voilà pour le rêve ordinaire. Cette capacité d’apercevoir un tout complexe d’un seul regard de l’esprit, c’est cela, l’aperception globale. Du verbe apercevoir.

En conclusion, l’aperception serait donc… Comment dirais-je ?

 

2- Valeur d’un guerrier

Transparence & Opacité
Lâcher-prise et Ténacité
Droiture & Traque
Force & Tendresse
Courage & Humilité
Endurance & Explosivité

Ainsi mesure-t-on la valeur d’un guerrier sans peur. Tant que la peur est là, le guerrier n’y est pas. Sur le chemin qui a du cœur, on mesure la valeur par la culture des contraires. Par l’équilibre des excès. Par la balance des différences. Ce mécanisme paradoxal permet de… Comment dirais-je ?

 

 

3- Dialogue angélique

…entre l’Angénue ♀ et l’Angénieur ♂

 

♀ Vous croyez que Dieu est mort ?
♂ Pardon ?!
♀ Dieu ? Vous croyez qu’il est mort ?
♂ J’ignorais qu’il était malade.
♀ Pourtant ça se voit ! Quand je regarde ce monde, je crois qu’il est mort.
♂ Le monde ?
♀ Dieu. Et le monde. Et nous.
♂ …

 

Ce dialogue montre bien le… qui… Comment dirais-je ?

 

Xavier Séguin

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