Dans les années 60-70, si tu avais les cheveux longs, tu connaissais Castaneda. Forcément. Cet anthropologue étasunien a passionné toute une génération de jeunes à travers la planète entière. Ses bouquins sont moins des traités d’anthropologie que des contes initiatiques. Mais quelles histoires à vivre!
Je me suis tout de suite trouvé à l’aise avec sa forme d’esprit. Il proposait une philosophie de l’action très rafraîchissante… et terriblement efficace !
J’ai pratiqué Castaneda comme on pratique Nietzsche ou Platon. Je l’ai aimé comme on aime Nizan, Joyce ou Proust. Et puis d’autres héros de plume lui ont pris la vedette : Tolkien, Kerouac, Faulkner, Bukowski… En fait je l’aimais encore, même si j’avais cessé de pratiquer sa philosophie.
Aussi, vingt ans après, quand j’ai retrouvé ce cher Castaneda au domaine de Rochefort où officiait mon benefactor, je l’ai fêté comme un vieil ami et sa philosophie fut une redécouverte ahurissante. Par la pratique, enfin, je pouvais comprendre de quoi il parlait.
Jean-Claude Flornoy, mon benefactor, a su enrichir sa pratique avec ses propres découvertes sur la voie du Nagual. Les années Rochefort ont été pour moi l’épreuve du feu. Dans le vivant, par l’action quotidienne, j’ai pu vérifier le bien-fondé de cette philosophie si décriée. C’est en pratiquant une philosophie qu’on la sait bonne ou mauvaise. Pour mon goût, celle de Castaneda est parfaite. Cette pratique me tient aux tripes. À vrai dire, je ne l’ai plus jamais lâchée…
Pour pratiquer un auteur mort, on n’a que son œuvre. Ou la ligne de temps. On le lit, on le médite, et un jour sa pensée devient la nôtre. On s’est castanédisé. C’est exactement ce qui m’est arrivé. Castaneda est un penseur, aucun doute là-dessus. Il est aussi acteur engagé dans sa propre pratique, celle du nagualisme.
Cette pratique est la reconnaissance de sa suprématie. À côté de lui, tous les philosophes sont off. Aucun sage ne surnage. Nul penseur ne persiste. Au-delà du cerveau qu’il relativise, Castaneda est la tête, le cœur et le ventre. Il fait jouer les muscles subtils, libère la magie de l’esprit et enseigne les prouesses du corps. Pas besoin de yoga quand on a Castaneda. Pas besoin de Bouddha…
On pue de la tête.
Attention, n’idolâtrez personne! Aucun vivant ne mérite qu’on s’humilie devant lui. S’il l’exige, il le mérite moins encore. Mais c’est ma façon de dire que je kiffe ce mec. Castaneda, je te kiffe grave. Je tenais à ce que tu le saches, où que tu sois, même si tu t’en tapes. Même si trop d’inconnus te l’ont dit. Même si là où tu es, tu es devenu sourd à ce qui se passe là où je suis encore.
L’Herbe du diable est son premier livre, un péché de jeunesse. C’est aussi le seul qui fait état des drogues comme partie intégrante des pratiques magiques des sorciers mexicains. Et encore, Juan Matus lui révélera plus tard que l’usage répété des substances psychotropes était réservé aux abrutis : « J’ai dû me servir des drogues parce que tu étais trop bouché pour comprendre autrement. Il fallait bien ça pour t’ouvrir la tête. Mais tu es le seul de mes apprentis à les avoir utilisées. Les drogues ne servent qu’aux abrutis comme toi. »
Des abrutis trop fermés pour avoir nettoyé comme il convient les portes de la perception.
Si les portes de la perception étaient nettoyées, tout apparaîtrait à l’homme tel qu’il est, infini. Car l’homme s’est enfermé, jusqu’à ce qu’il voie toutes choses par les fentes étroites de sa caverne.
Journal d’études anthropologiques ou bien suite romanesque, les bouquins de Carlos Castaneda sont d’intérêt variable. En français, Gallimard a publié les seuls qui témoignent d’une maturité et d’une force de conviction de bon aloi. Voir, Le voyage à Ixtlan, Histoires de pouvoir, Le second anneau de pouvoir, Le don de l’aigle, Le feu du dedans, La force du silence. Voilà les sept titres qui méritent d’être lus, relus, étudiés et pratiqués. Avec ses autres livres on court le risque de se fourvoyer comme il s’est fourvoyé lui-même.
Un jour, Castaneda a quitté le chemin qui a du cœur. Le génial auteur a soudain laissé place à un bouffon mytho-mégalo-érotomane, qui ne se soucie plus de tirer ses lecteurs vers le haut, mais plutôt de leur soutirer du pognon. Voilà pourquoi ses derniers bouquins pourraient s’intituler L’impeccabilité perdue. L’impeccabilité, pour le guerrier ou le sorcier, consiste à faire le mieux possible la tâche qui lui incombe, sans autre considération ni parasitage d’aucune sorte.
Ses errements sont autant de jalons pour l’adepte. On en apprend autant en tâchant de ne pas les répéter à sa suite. Personne n’est à l’abri de la médiocrité. Quelle que soit l’altitude atteinte, la chute guette le grimpeur comme un châtiment de la moindre erreur. L’impeccabilité ne consiste pas à imiter servilement, mais à interpréter chaque donnée de nos vies à la lumière d’une philosophie de l’action qui s’adapte au mieux à toutes les situations, même les plus invraisemblables, telles celles qui attendent les guerriers de lumière.
Si la lumière voit cent mille personne, elle ne descend que sur celui dont l’essence est lumière.
En pratiquant cette impeccabilité dans chacun des actes de sa vie quotidienne, le chercheur de vérité reçoit des aides impersonnelles qui émanent du vivant. Un peu ce que les chrétiens appellent la grâce divine, mais sans dieu. J’ai mentionné le sorcier. En Europe, ce mot a pris un sens péjoratif. Sous d’autres cieux, le sorcier, chamane ou nagual est respecté pour la hauteur de ses ambitions et la totalité de son engagement. Il est avant tout le guérisseur de l’âme et du corps.
Pour sortir du contexte chrétien qui est inapproprié, disons que les aides reçues par le guerrier impeccable s’apparentent à ce que le psychanalyste Carl Jung appelait des synchronicités. Juan Matus les désigne sous le nom générique de pouvoir personnel.
L’impeccabilité, pour le chercheur ou le voyant, c’est la condition de toute interprétation du voir, comme de celle des vestiges, des ruines ou des textes anciens. Elle exige la prudence et l’ouverture d’esprit.
L’impeccabilité du chercheur consiste à ne pas projeter dans ce qu’il voit son conditionnement d’homme du 21e siècle. Il doit avancer libre de préjugés, formuler ses hypothèses avec toutes les ressources de son imagination créatrice pour parler comme Bergson, ou de son voir pour parler comme Castaneda, et les valider ou corroborer avec la plus impartiale rigueur.
Ce qui représente beaucoup de qualités, dont certaines sont contradictoires. Se souvenir que l’impeccabilité n’a rien à voir avec la morale. Pour le guerrier elle est juste le meilleur moyen d’augmenter son pouvoir personnel.
Un jour, Carlos chemine avec Juan Matus. Soudain l’apprenti ramasse un escargot qu’il dépose à l’abri. Matus s’insurge : jamais un guerrier n’impose son « aide » à quiconque, fut-ce un escargot. Qui sommes-nous pour décider du destin des autres êtres ? En déplaçant cet escargot, Castaneda lui a peut-être volé une victoire. « Je vais le remettre où je l’ai pris », répond l’apprenti penaud. « Non, dit Matus. La bêtise est faite, n’en ajoute pas une deuxième. »
Paradoxalement, alors qu’ici Juan Matus respecte le libre-arbitre d’un escargot, à d’autres reprises il fait montre d’un manque total de respect pour le libre-arbitre de ses élèves. Parmi ses tours, Matus possède le coup du Nagual. C’est une tape légère sur la luminosité du sujet, qui a pour effet de faire bouger le point d’assemblage.
Jamais il ne demande la permission avant d’intervenir ainsi, posant un acte lourd de conséquences pour le futur apprenti. C’est ainsi que le sorcier met dans son sac les êtres qui l’intéresse. Il arrive que ces derniers se rebellent : Juan Matus a quitté son benefactor pendant dix ans, j’ai quitté le mien pendant dix ans aussi… Mais la durée de l’absence importe peu : il faut juste le temps que le disciple comprenne l’enjeu.
A proprement parler, il n’y a pas de dieu ni de morale pour les sorciers, mais un pouvoir aveugle, inépuisable, universel, qui est l’Energie, et un principe impersonnel réactif, l’Intention. Avec son intention propre, le guerrier attire l’Intention impersonnelle, qui fait pleuvoir sur lui des flots d’Energie. L’intention attire l’énergie comme un paratonnerre attire la foudre. Quand il reçoit l’énergie cosmique, le guerrier est relié : il est uni avec le Tout. Alors il accumule coups de pot et synchronicités.
A chacun de nous d’apprendre à attirer la chance.
Et le moyen, c’est l’impeccabilité. Pas la sainteté.
Nous nous rendons pitoyables ou nous nous rendons fort. La quantité de travail à fournir est la même.
Que peut avoir un homme en dehors de sa vie et de sa mort ?
Vous venez de lire mon deuxième article sur Carlos Castaneda. Posté en 2010, il a été actualisé plusieurs fois avant la présente version. Fervent adepte, j’ai consacré à Castaneda et au nagualisme de nombreux articles :
Il n'y a pas quatre éléments, mais cinq. Le premier s'appelle l'éther. On l'a oublié…
Oui, perdu. Mais qu'on ne s'inquiète pas, le remplaçant est prévu.
Je vous demande un ultime effort pour sauver Eden Saga. C'est maintenant !!
L’aventure Eden Saga aura duré dix huit années. Reste encore UNE chance, la toute dernière.
Le Yi King nous est parvenu incomplet. J'ai restauré un hexagramme.
L'histoire humaine commence en Afrique avec les australopithèques, des Noirs.