Le chemin qui a du cœur? La formule vient du Nagual Juan Matus, le benefactor de Castaneda. Sa philosophie m’a inspiré, je la pratique encore. Philosophie ou sagesse, le nagualisme n’a rien d’une secte. Il n’est ni moral, il n’est ni altruiste, ni charitable au sens chrétien. Quoique… Souvenons-nous que Jésus a dit de ne pas faire la charité pour le bien de notre âme.
Je cite de mémoire l’apocryphe de Thomas. Les gens ont quasiment tout oublié, la mémoire n’est plus à la mode, comme si on pouvait s’en passer! Le proche passé est ringardisé, quant au passé lointain, on croit qu’il ne sert à rien. Erreur : on en vient. Et si tout se passe bien, on y retourne. Si tout se passe mal, ça fera du joli! On pourra faire une croix sur cette planète avec l’inscription: Ci-gît l’humanité qui l’a bien mérité.
Ne jeûne pas, tu feras du mal à ton corps. Ne fais pas la charité, tu feras du mal à ton âme.
À chaque époque, il est fécond de réviser nos positions morales ou idéologiques. Elles ne sont souvent que des réflexes conditionnels. Des comportements familiaux ou tribaux acquis par mimétisme, sans l’accord de l’être profond. L’obéissance aveugle explique bien des guerres.
En matière d’altruisme et de charité, il y a des modes. Les générosités d’hier sont insultes aux yeux d’aujourd’hui. Les générosités de demain nous sembleraient inconcevables. En bien ou en mal ? Ces modes-là ne suivent pas la courbe idéale du progrès. Ces temps-ci elles régressent. Ça ne vous a pas échappé.
D’autre part, ce qui est charitable pour toi est intrusion pour une autre. C’est l’histoire de Castaneda et de son escargot. Je la raconte plus loin.
Mal à l’aise à cause de son éducation chrétienne, il pose l’inévitable question de l’altruisme à son benefactor. Il n’y a pas de morale dans la Règle, répond Juan Matus. C’est évident. Un Nagual ne fait pas l’aumône, la voie du guerrier n’est pas une église, l’impeccabilité n’a rien à voir avec la sainteté.
Dans le nagualisme comme dans le bouddhisme, l’adepte assure son salut individuel sans se soucier du sort des autres. Une fois de plus, Castaneda se rebiffe. Don Juan précise sa pensée : « Sur la voie du guerrier, le choix t’appartient. J’ai connu un nagual implacable qui ne faisait jamais de cadeau à quiconque. C’était sa façon d’être impeccable. Et j’ai aussi connu le nagual Elias, très différent. Il suivait le chemin qui a du cœur. C’est le chemin que j’ai toujours suivi. »
Rien dans la philosophie du nagual ne pousse à se soucier des autres, ni à écouter son cœur. Tout se passe comme si Castaneda avait ajouté cette notion pour faire passer la pilule amère : sa philosophie est au-delà de toute sensiblerie. Le nagualisme n’a pas de cœur. À notre époque de sensiblerie triomphante, une telle infamie ne pardonne pas. Partout, sur tous vos écrans, l’étalage obscène de la gentillesse commerciale fait ruisseler les yeux et cascader la monnaie.
Le charity business rapporte un max. Ça paye, le cœur de beurre qui fond sur le radiateur. Mamours, câlinous, bisouillages réitérés, cérémonies molles des genoux parmi tous ces petits cœurs volants qui battent à qui mieux-mieux, stop l’overdose ! N’en jetez plus ! Finis les faux sourires, bannis les bisous vides, cascades de câlins raides, torrent de banalités sur-aimables, archi-nullissimes et gerbantes de niaiserie.
Avoir du cœur, ce n’est pas en faire étalage. La bonne place pour le cœur, ce n’est pas sur la main, mais dans la poitrine. Que ta main droite ignore la charité que fait ta main gauche. Ne t’en attribue pas les mérites. Ne te crois pas supérieur parce que tu fais montre de générosité. Aider en donnant, est-ce généreux ? Y a-t-il du cœur dans l’argent ? On le cherche vainement.
L’argent n’est pas une fin en soi. C’est un moyen. L’argent sert à entreprendre. À construire. Pour vivre on n’en a pas besoin, le troc suffit.
Il faut avoir pour agir et non agir pour avoir.
J’ai souvent évoqué cet escargot dans mes textes, mais je vais rafraîchir les mémoires défaillantes. Cheminant avec Juan Matus, Carlos Castaneda ramasse un escargot dans le sentier et il le dépose à l’abri. Matus s’insurge : jamais un guerrier n’impose son « aide » à quiconque, fût-ce un escargot.
Qui sommes-nous pour décider du destin d’un autre être ? En déplaçant cet escargot, Castaneda lui a peut-être volé une victoire qui l’aurait rendu meilleur. « Je vais le remettre où je l’ai pris », répond l’apprenti penaud. « Non, dit Matus. La bêtise est faite, n’en ajoute pas une deuxième. »
En déplaçant cet escargot, Carlos Castaneda fait preuve de compassion. Il marche donc sur le chemin qui a du cœur, comme son modèle Juan Matus. Et pourtant ce dernier le réprimande.
La compassion systématique n’est pas un bon programme pour un guerrier de lumière. Elle n’est souvent qu’un masque qui cache la supériorité. En faisant preuve de compassion, on envoie ce signal : je suis plus avisé que toi. Je vois que tu as besoin d’aide, et je vois que tu n’oses pas la demander. J’en sais plus long que toi, je peux t’aider, vois: je t’aide déjà.
La règle d’or serait de ne jamais intervenir sans une demande préalable, dûment circonstanciée. C’est ma règle et j’y tiens. La demande faite pour un autre, ou la demande faite du bout des lèvres ne suffit pas. Cette recommandation est valable pour les guérisons, elle l’est aussi pour de plus petites choses, comme déplacer un escargot.
Mais nulle étude logique ne vient à bout de l’irrationnel, de l’inconnu, du surhumain qu’est le nagual.
Paradoxalement, alors qu’ici Don Juan respecte le libre-arbitre d’un escargot, à d’autres reprises il fait montre d’un manque total de respect pour le libre-arbitre de ses élèves. Parmi ses tours, Matus possède le coup du Nagual. C’est une tape légère sur la luminosité du sujet, qui a pour effet de faire bouger le point d’assemblage. Jamais il ne demande la permission avant d’intervenir ainsi, posant un acte lourd de conséquences pour le futur apprenti.
C’est ainsi que le sorcier met dans son sac les êtres qui l’intéresse. Il arrive que ces derniers se rebellent : Juan Matus a quitté son benefactor pendant dix ans, j’ai fait de même. Mais la durée de l’absence importe peu : il faut juste le temps que le disciple comprenne l’enjeu.
Je ne suis pas un sorcier de ce type, mais je sais être implacable. Mon benefactor me l’a enseigné à la dure, j’avais 42 ans. J’allais vivre la transe profonde de l’arcane XIII, qui consiste à retrouver le souvenir perdu des traumatismes de l’enfance. Au cours de cette régression, il m’est arrivé de tourner autour du pot. C’est alors que Jean-Claude Flornoy m’a foutu à la flotte. Quand j’ai touché le fond, il m’a maintenu la tête sous l’eau jusqu’à ce que je me noie.
Si tu ne meurs pas de ton vivant, tu mourras en mourant.
Il avait les moyens de me faire parler, ça a marché à merveille. Sans cette volonté de fer qui est la sienne, je serais encore à tergiverser devant la flotte. Plongera? Plongera pas? Il a décidé pour moi et je lui en sait gré.
Bien sûr, je parle ici au sens figuré. La mare aux canards était en moi. C’est au cœur de mon inconscient qu’il m’a fait plonger. Je m’y suis noyé, j’ai vu mon engramme de base, les souvenirs me sont revenus en cascade intarissable, la guérison a suivi son chemin.
Il est des circonstances où la sensiblerie peut s’avérer mortelle. Alors seule l’implacabilité permet de traverser la mauvaise passe en évitant les embûches.
À proprement parler, il n’y a pas de dieu ni de morale pour les sorciers, mais un pouvoir aveugle, inépuisable, universel, qui est l’Énergie, et un principe impersonnel réactif, l’Intention. Avec son intention propre, le guerrier attire l’Intention impersonnelle, qui fait pleuvoir sur lui des flots d’Énergie.
L’intention attire l’énergie comme un paratonnerre attire la foudre. Quand il reçoit l’énergie cosmique, le guerrier est relié : il est uni avec le Tout. Alors il accumule coups de pot et synchronicités. Chacun de nous peut apprendre à attirer la chance. Le seul moyen, c’est l’impeccabilité. Pas la sainteté.
Implacabilité, impeccabilité se ressemblent. Le guerrier impeccable ne prend pas de gants avec lui-même. Il ne supplie pas une entité quelconque de lui accorder ceci ou cela, il l’exige. Aucune entité ne lui accorde ce qu’il demande. Son inconscient se plie à son exigence et lui laisse le passage.
Descendre au fond de soi-même est la première tâche que doit accomplir le guerrier de lumière. La première fois est ardue, c’est pourquoi Flornoy m’a fait plonger de force.
J’ai failli m’éveiller. Ça m’aurait fait enjamber Tempérance, j’en avais trop besoin. J’ai donc regagné mon corps physique en pleine catharsis de l’arcane XIII.
Une fois complet, j’ai pu, à mon tour, faire passer l’arcane XIII à de nombreux candidats à la complétude. Aujourd’hui je ne pratique plus ce rituel devenu superflu. Les nouvelles générations réussissent ce nettoyage émotionnel sans aide extérieure. Une grande chance.
Et le gage de réussite au cours des épreuves suivantes. Comme l’arcane XVI Maison Dieu, étape de l’éveil. C’est ici que le bât blesse à présent. Pour franchir cette étape décisive, l’énergie semble manquer aux guerriers. Je reçois en stage initiatique de nombreuses personnes des deux sexes autour de la quarantaine. Ils sont déjà éveillés, mais n’assument pas leur statut. Ils s’attardent dans l’adolescence. Ils ont encore un pied dans l’insouciance et cultivent leur irresponsabilité.
J’ai passé vingt ans à faire le passant. Porte ouverte sur le chemin montant. Je suis toujours passant du Devoir. Il mérite ce D majuscule, ce devoir d’aider les guerriers à s’ouvrir en deux. Quand cette ouverture a lieu, le double astral qui les a guidé chaque nuit s’incarne en eux. Sa voix est là, toujours présente, à leur suggérer la piste à suivre.
Alors ? Ce chemin qui a du cœur, où se cache-t-il ? Finalement, je n’en sais trop rien. Est-ce une coquetterie de langage ? Don Juan Matus veut-il atténuer un peu l’image rébarbative que donne l’impeccabilité, et surtout l’implacabilité ? Ces notions sont des actes, elles n’admettent pas de marge d’erreur.
Un sorcier implacable ne fait pas de cadeau. Il sait ce qu’il veut même s’il ignore ce qu’il cherche. Son but est sa vie. L’atteindre est un absolu. Toutes ses actions sont centrées sur son but, même s’il sait qu’elles n’ont aucune influence sur le résultat, il agit comme si sa vie ou sa mort en dépendaient.
Le bouddhisme a la même priorité : toute action doit être efficace, et tendue vers un seul but, l’éveil. Les philosophes disent que le bouddhisme est une religion sans dieu. Cette blague! Dans le bouddhisme, le dieu c’est toi. Suis ta voie, pratique tes exercices spirituels, tu éveilleras le dieu en toi.
Comme le nagualisme, le bouddhisme est une discipline auto-centrée. Les autres importent peu, la charité n’est pas au programme, ni l’amour du prochain. En témoigne ce farouche adage bouddhiste : « Si tu croises Bouddha sur ta route, tue-le. »
Et moi, ce que j’en pense ? En confidence, rien du tout, j’ai la tête vide depuis des années. Vide. Comme je vous le dis. Quand j’écris, seuls mes doigts savent où se poser sur le clavier. Je découvre après coup en lisant l’écran. Je ne juge pas ce que je reçois. Je ne pense plus.
Après 60 ans d’efforts, je me suis coupé la tête. Enfin ! L’absence de pensée ouvre les portes de la perception et les fenêtres de la contemplation.
Il est des choses connues et des choses inconnues, entre les deux s’ouvrent les portes de la perception.
Avoir la tête vide permet de rester côté gauche, c’est à dire se maintenir dans la conscience claire et totale, sur la voie du milieu. C’est ma loi. Loin de la raison castratrice, aussi loin de la folie schizophrène qui m’a traqué jadis, j’avance démasqué. Le roi est nu. N’y pensons plus…
Ne pensons plus à rien. Au delà de la réflexion, il y a l’action. Au delà du mental, il y a le nagual. C’est une règle, une force, une essence hors du monde, une intention permanente, une réalisation. N’est pas nagual qui veut. Ça dépend ce qu’on entend par vouloir. La volonté vient du mental. Elle est faible, voire timorée. L’intention vient du corps. Du ventre. Rien ne peut lui résister. Encore faut-il la mettre en place.
Quand on est éveillé, cette mise en place s’effectue tout naturellement. L’éveil est un mot galvaudé. Pour le guerrier de lumière, il signifie les retrouvailles avec sa nature profonde. Avec son statut originel. Avec l’état de puissance et de certitude qui est le nôtre en tant qu’humains. C’est ainsi que les créateurs de notre corps physique nous ont fait. Ensuite la créatrice de notre supra-conscience nous a donné les moyens d’y parvenir et de s’y maintenir.
Mais attention, qui veut tuer le mental devra d’abord renoncer au nagual. La vie dans la matière cultive cet équilibre instable. La matière se fout de la morale. Le corps se fout du mental. Le tonal ignore le nagual. Et tout est pour le mieux dans le pire des non-mondes impossibles.
Si les portes de la perception étaient nettoyées, tout apparaîtrait à l’homme tel qu’il est, infini. Car l’homme s’est enfermé, jusqu’à ce qu’il voie toutes choses par les fentes étroites de sa caverne.
Marcher sur le chemin qui a du cœur n’est pas une condition nécessaire. Chaque guerrier fera selon ses convictions personnelles. Nous avons tous le même but mais nous sommes tous différents.
Nous vivrons, Oncle Vania. Et dans notre vieillesse, nous travaillerons pour les autres. Et quand notre heure viendra, nous mourrons soumis.
Il n'y a pas quatre éléments, mais cinq. Le premier s'appelle l'éther. On l'a oublié…
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L'histoire humaine commence en Afrique avec les australopithèques, des Noirs.