Il y a longtemps, je courais partout. J’avais un avis sur tout, je regardais tout, je comprenais tout, je ne savais rien. A force de m’ouvrir à tort et à travers, j’ai bien failli dilapider mes dons. Du Pakistan, un sage a stoppé ma course. « Tu donnes beaucoup, tu donnes mal.  Apprends à donner la fleur, pas la plante. »

J’avais, j’avoue, le cœur sur la main. Ce qui n’est pas sa place. J’étais de ces gens-là qu’a chanté le grand Jacques, j’aurais donné ma chemise pour des pauvres gens heureux. Avec cette bonne vieille demoiselle Larousse, je semais à tous vents. Seulement le pissenlit c’est juste de la mauvaise graine. Le geste auguste du semeur, mon cul. C’est l’ouvrier agricole qui brade ses bons de la Semeuse.

Quand on s’aime, on ne compte pas. Quand on sème, ne risque-t-on de jeter son cœur avec la poignée de grain ? La bonne place pour le cœur n’est pas sur la main, mais dans la poitrine.

« Charité bien ordonnée commence par soi-même » n’est pas banale avarice en mode Balzac. C’est admettre l’évidence qu’un aveugle ne peut guider personne. Commence par soigner ta vue, tu pourras te guider pour un jour en guider d’autres.

 

 

Je ne veux pas blâmer le don. Je le pratique à chaque inspir. J’ai bâti ma vie sur ce fil. J’y encourage chacun. Je me suis toujours senti redevable. Nous le sentons tous, ce « merci la vie » qui fait battre le cœur. J’ai vécu cent vies, magiques, magnifiques. J’ai connu tant d’êtres beaux. Tant d’esprits, tant de grands cœurs battants. J’ai été gâté par les fées, par la vie.

Qui a beaucoup reçu se doit de donner sans compter. Mais pas n’importe comment, pas se défausser à la sauvage dans la première poubelle venue. Donner sincère, mais sensé. Donner la fleur, qui repousse, et garder la plante en son cœur.

Tous et toutes ne sont pas dignes d’un don.  Ne donne pas tes perles aux pourceaux, ni ta confiture aux dindons. Garde les fleurs pour ceux qui savourent leur senteur, leur grâce et leur couleur.

Ne donne pas non plus à ceux qui te volent. De telles gens existent, voleurs d’attention, voleurs de vie, voleurs de souffle, d’envie, de temps et d’énergie. Ce sont les psychopompes. Pour une raison ou pour une autre, ces êtres sont privés de l’activité énergétique du chakra de base, qui nous alimente sans cesse en bio-énergie ou vril.

Sous peine de mort, ils n’ont pas d’autre choix que de pomper l’énergie vitale chez d’autres, ce qui est ressenti par ces autres-là comme une intense fatigue. En fait la solution consiste à réparer le chakra de base, et la demande d’attention cesse aussitôt ainsi que le pompage énergétique. Malheureusement les réparateurs de tuyauterie subtile ne courent pas les rues. Ils préfèrent courir la terre nue.

Il y a une autre raison de se méfier du don systématique. N’est-ce pas une façon d’acheter l’affection ? Par démagogie, désir de plaire, besoin d’être aimé ?

Qui donne beaucoup s’en veut beaucoup. Donner pour s’acheter une bonne conscience, comme ces PDG de mon enfance à la messe du dimanche, rasés de frais, portant beau, émus par l’organiste, qui balançaient les billets de 500F à la quête. En prenant l’air modeste. Les mêmes PDG, dès le lendemain, n’allaient pas se gêner pour exploiter leurs employés, ni pour ruiner leurs concurrents. Une morale pour le dimanche, une réalité pour la semaine.

La règle du guerrier contient en bonne place cet article non-écrit : « respecte le guerrier en chacun ». Tiens toute personne, tout être, pour ce qu’il est vraiment : un vent d’énergie pure, une étincelle divine, une lumière parfaite. C’est la base de l’impeccabilité. Nul guerrier n’a besoin de rien qui s’achète ou se vend. Tout est déjà présent pour le guerrier, y compris l’avenir.

 

 

Juan Matus l’enseigne à l’apprenti nagual Carlos Casteneda avec la parabole de l’escargot. Ce n’est pas vraiment une parabole, plutôt une histoire de pouvoir. Mais quelle leçon !

N’interviens pas dans le destin de quiconque, tu n’es pas la providence, tu risques d’aggraver la situation avec ton don tombé du ciel. Qu’il soit roi, mendiant ou escargot, le guerrier ne doit compter que sur lui. Il fuit comme la peste les cadeaux propitiatoires ou les cadeaux qui obligent. La liberté ultime n’a que faire des dons matériels. Or le guerrier ne cherche qu’elle, absolument.

Si tu donnes, tu achètes avec ce don. Donc tu fausses la donne. Si tu écoutes, tu donnes mieux que de l’or. Et si tu guéris, qu’as-tu donné ? Le don se donne et c’est toi qui reçois.

Xavier Séguin

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